Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner un texte de bon sens, sur lequel nous avons su travailler en bonne intelligence et nous entendre en commission mixte paritaire.
La loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, est issue des travaux du Conseil national de la résistance. Elle a rendu possible, depuis plus de soixante-dix ans, la diffusion, chaque jour, sur l'ensemble du territoire, de la presse, dans des conditions garantissant la non-discrimination et l'égalité. Notre démocratie lui doit, assurément, beaucoup.
Cette loi historique avait malgré tout besoin d'être dépoussiérée, compte tenu des tensions dans la filière, de la concurrence d'internet mais aussi de l'érosion des ventes de journaux – alors que le nombre d'exemplaires vendus a été stable, autour de 7 milliards, pendant près de vingt ans, il connaît une dégradation continue depuis 2009 et s'établit aujourd'hui en deçà de 4 milliards ; la diffusion de la presse au numéro a été divisée par plus de deux entre 2000 et 2017, principalement en raison de la baisse des ventes de la presse nationale ; le réseau des diffuseurs de presse est largement pénalisé – environ 1 000 points de vente ferment chaque année.
En décembre 2014, lors des débats sur la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, nous alertions déjà sur la crise profonde que traverse le secteur de la presse.
Nous avons aussi tous en tête le cas Presstalis qui a récemment fait éclater au grand jour la fragilité de loi Bichet. En déficit chronique, la société a accumulé plus de 400 millions d'euros de fonds propres négatifs. À cause d'une succession d'erreurs de gestion et de choix stratégiques discutables, elle a été proche de la faillite en début d'année 2018 et n'a dû sa survie qu'à une aide massive des éditeurs et de l'État.
L'enjeu était donc de faire évoluer le système sans le détruire, en s'appuyant sur de multiples auditions parlementaires et sur le rapport commandé par Françoise Nyssen à Marc Schwartz, dont le constat fut sans concession.
Ce texte atteint aujourd'hui un bon équilibre. Le nouveau système préserve une diffusion sur l'ensemble du territoire des titres d'information politique et générale, garantie par le Conseil constitutionnel ; il redonne une place centrale aux diffuseurs de presse, tout en créant les conditions d'un équilibre économique durable du secteur ; il s'attache aussi, de manière plus mesurée, à prendre en compte l'évolution de la presse liée à la place grandissante du numérique. Nous pourrions aller plus loin en la matière, mais, je l'ai déjà dit, je ne suis pas sûre que ce texte soit le meilleur véhicule législatif pour cela.
Ce texte a pu être amendé, tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale, dans un vrai souci de coconstruction législative – à cet égard, je tiens à saluer le travail du rapporteur. Nous pouvons tous être légitimement fiers du chemin parcouru. Rappelons-nous, il y a un an, les positions des uns et des autres – coopératives, éditeurs, distributeurs – semblaient inconciliables et marquées par la plus grande défiance.
Des mesures utiles ont été introduites : la possibilité pour le Parlement de saisir l'ARCEP pour avis de toute question relative au secteur de la distribution de la presse ; la consultation du maire de la commune par la commission du réseau avant une décision d'implantation d'un diffuseur de presse ; le compromis sur le schéma territorial publié par l'ARCEP.
Je me réjouis également du vote de mon amendement visant à limiter les prises de participation étrangère dans les sociétés agréées de distribution de la presse afin de garantir la libre circulation des idées et l'expression de la pluralité des opinions et de protéger la distribution de la presse nationale de toute velléité d'influence étrangère trop importante. L'examen en CMP a conduit à déplacer cet article pour des raisons de cohérence et à en revoir la rédaction pour tenir compte à la fois de la disparition de la Communauté européenne au profit de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, le fond restant inchangé. Les sociétés de distribution de presse sont des atouts stratégiques pour notre pays. Compte tenu des enjeux démocratiques majeurs, je suis convaincue que nous devons encadrer les investissements étrangers dans les organes de diffusion et distribution.
Enfin, même si ce texte va dans le bon sens, vous vous en doutez, la vigilance reste de mise sur plusieurs points. Il conviendra ainsi de surveiller l'application de cette loi. Des fragilités demeurent, au premier rang desquelles la situation financière de Presstalis. Avec 400 millions d'euros de fonds propres négatifs, la principale messagerie, la seule à assurer la distribution des quotidiens, est toujours dans une situation très critique. La période qui s'ouvre est pour elle celle de la dernière chance : l'État ne viendra plus à son secours. Il serait bienvenu de suivre l'utilisation des 90 millions d'euros que nous avons octroyés à Presstalis et d'exiger des garanties de gestion. Le système qu'instaure le projet de loi ne s'appliquera qu'en 2023. D'ici là, il ne faut pas se contenter de maintenir Presstalis sous perfusion, mais remettre la société à flot après le récent départ de sa dirigeante.
Vous l'aurez compris, le groupe Les Républicains salue l'équilibre du texte et le succès de la CMP.
Notre objectif est, je le crois, commun et transpartisan : garantir en France la pluralité de l'information et l'égalité entre les éditeurs, pour une diffusion libre et impartiale de la presse écrite sur l'ensemble du territoire national, tout en tenant compte des enjeux de rentabilité.
La diversité et pluralité de la presse sont une richesse et doivent être préservées. La refonte de la loi Bichet y concourt.