Pendant soixante-dix ans, la distribution de la presse écrite a été soumise à la loi dite Bichet du 2 avril 1947. Ce texte historique a contribué à forger notre démocratie dans l'après-Seconde Guerre mondiale et à garantir la liberté d'expression sur l'ensemble de nos territoires, y compris les plus isolés. En cela, cette loi fit l'honneur de son auteur, ainsi que celui de la France.
Depuis, l'écosystème de la presse, de la production d'information à la vente en passant par l'acheminement, s'est vu bouleversé par l'essor du numérique. Une réforme du système de distribution de la presse est donc devenue indispensable afin d'adapter le secteur aux changements de notre société, à l'évolution de nos modes de consommation et aux nouvelles contraintes que celle-ci lui impose. Ce sera bientôt chose faite.
Face à la disparition, chaque année, de près de 800 points de vente de presse, une intervention législative devenait particulièrement urgente. Nous l'accueillons, somme toute, positivement, puisqu'elle maintient les principes fondateurs de la loi Bichet : le système coopératif est préservé, la liberté de distribution est garantie, tandis que l'égalité de traitement est confirmée. Ces principes guideront toujours la distribution de journaux : il ne pouvait en être autrement si nous souhaitions des débats constructifs et apaisés.
Par ailleurs, nous accueillons d'un oeil bienveillant la fin du système qui faisait des éditeurs de presse à la fois des actionnaires et des clients de messageries. Source de conflits d'intérêts, cette situation se concrétisait par des réductions de prix systématiques accordées aux plus puissants et participait de la faillite des messageries et plus particulièrement de Presstalis – j'y reviendrai.
Malgré le consensus obtenu en commission mixte paritaire sur un texte destiné à moderniser un système économiquement à bout de souffle, certains écueils demeurent.
Tout d'abord, il y a fort à parier que l'ouverture du secteur à la concurrence, qui constitue un des points majeurs du projet de loi, s'effectuera au détriment des acteurs historiques de la distribution. Cette perspective a d'ailleurs déjà brisé l'élan de redressement de Presstalis, à en juger par le renoncement de sa présidente à exercer ses fonctions. Une telle situation, fruit d'une prise de conscience trop tardive et des échecs rencontrés dans le passé, ne peut nous réjouir. À cet égard, le calendrier choisi pour l'examen de ce texte ne semble pas des plus opportuns, d'autant qu'un défaut de cette société historique aurait des conséquences dramatiques pour toute la filière.
Ensuite, la régulation de ce secteur par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en lieu et place du Conseil supérieur des messageries de la presse et de l'Autorité de régulation de distribution de la presse ne semble pas particulièrement adaptée. Instance de régulation économique dont les missions principales correspondent à une analyse du marché, l'ARCEP n'apparaît ici pas à sa place, malgré l'encadrement de ses attributions. En effet, en matière de distribution de la presse, les enjeux ne sont pas uniquement économiques, ils sont aussi démocratiques. Aussi la vigilance sera-t-elle de mise.
Nous avons mené un important travail de coordination de l'ensemble des dispositions du texte. Ainsi, alors que le périmètre des publications portées permettant de bénéficier d'exonérations de charges sociales est aujourd'hui identique pour les vendeurs-colporteurs de presse et les porteurs salariés, le projet de loi tendait à rompre cet équilibre. Un salutaire travail collectif a été fourni afin de rétablir un traitement égalitaire entre tous les réseaux de portage.
Je tiens également à saluer certaines avancées et garanties obtenues par les sénateurs socialistes lors de l'examen du texte par la chambre haute. Ainsi l'ARCEP, nouveau superviseur du secteur, verra fort heureusement ses attributions encadrées. Les mentions, dans le cahier des charges des futures messageries, du respect des principes d'indépendance, de pluralisme, de non-discrimination et de continuité territoriale, ainsi que la publicité des barèmes établis par les sociétés agréées, permettront également de garantir certains objectifs constitutionnels. En outre, le champ d'intervention de l'ARCEP sera limité à la distribution groupée de presse, garantissant une indépendance totale aux éditeurs qui s'autodistribuent, notamment à la presse quotidienne régionale.
Le secteur de la distribution de la presse traverse une crise dont nous avons toutes et tous conscience. En nous emparant de ce sujet, nous avons choisi de faire preuve de responsabilité et nos débats ont traduit l'attention que nous portons à la liberté et à l'indépendance de la presse. Cependant, malgré certaines avancées significatives contenues dans le texte, et conformément aux positions qu'il a défendues, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra sur ce projet de loi et fera preuve de la plus grande vigilance quant à la situation inquiétante de l'acteur historique Presstalis.