Plus de soixante-dix ans nous séparent de l'adoption de la loi Bichet, un texte crucial qui a déterminé l'organisation de la distribution de la presse sur notre territoire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, le monde a changé, mais aucune adaptation structurelle majeure du secteur ne nous avait été proposée jusqu'à aujourd'hui.
Il est inutile de rappeler la crise profonde que traverse le système de distribution de la presse vendue au numéro – nombreux ont été à le faire – , due, notamment, au vieillissement continu du lectorat, à la réduction régulière du nombre de points de vente et, bien sûr, à l'avènement d'internet et de la presse en ligne.
Or toutes ces difficultés ne sont, ni plus ni moins, que la conséquence de l'arrivée à bout de souffle d'un système qui a échoué à prendre en considération les évolutions du secteur et les pratiques du lectorat. La situation de Presstalis en apparaît comme la triste illustration : le dernier plan de sauvetage dont a bénéficié l'entreprise, déjà en cessation de paiement en 2010, remonte à 2018, tandis que son chiffre d'affaires accuse aujourd'hui un déficit de 100 millions d'euros.
Malheureusement, la présentation du projet de loi est venue heurter de plein fouet le business plan, bloquant tout développement commercial et provoquant une année blanche pour Presstalis. Le départ très récent de sa présidente-directrice générale, Michèle Benbunan – dont vous avez rappelé les qualités, monsieur le ministre – n'est pas de nature à nous rassurer sur l'avenir de l'entreprise.
Si le calendrier de ce projet de loi nous trouble, sa nécessité ne peut toutefois être remise en cause. Alors oui, prenons en considération les nouveaux enjeux – celui du numérique en premier lieu – et adaptons la loi Bichet. Entendons l'appel de tous les acteurs du secteur, entravés par des obstacles devenus quasi-insurmontables. Je pense aux coopératives de presse, obligées d'être actionnaires des messageries de distribution, ce qui va jusqu'à créer de véritables conflits d'intérêts. Je pense aussi aux marchands de journaux, qui n'ont aucun contrôle sur les titres qu'ils doivent vendre, ni sur leur quantité.
Aujourd'hui, un consensus s'est dégagé, signe que cette loi repose sur un équilibre qui va dans le bon sens. Le groupe Libertés et territoires est rassuré, car la modernisation n'a pas été obtenue à tout prix et n'a pas fait table rase du passé.
En effet, le système coopératif est sauvegardé – point sur lequel nous étions absolument intransigeants. C'est grâce à lui que nous avons réussi jusqu'ici à assurer l'équité et la solidarité. Cette organisation collective des moyens de distribution, avec une mutualisation des coûts, garantit une égalité de diffusion.
Par ailleurs, les marchands de journaux auront une plus grande marge de manoeuvre dans l'assortiment des titres de presse qu'ils proposent, et pourront être ainsi plus en phase avec les besoins territoriaux. Cela répond à un impératif de proximité, de liberté et de diversité cher à notre groupe.
Il importait également de réguler et de responsabiliser les plateformes numériques en les soumettant aux mêmes exigences que les kiosques matériels en matière de diffusion de la presse d'information politique et générale.
Peut-être aurions-nous pu aller plus loin encore dans le renforcement des principes fondamentaux, en apportant des garanties supplémentaires, telles que la transparence et le pluralisme.
À ce sujet, monsieur le ministre, je vous rappelle votre engagement d'ouvrir à d'autres acteurs la commission paritaire des publications et agences de presse, celle-ci n'étant composée à ce stade que de représentants de l'État et de professionnels de la presse. En première lecture, nous avions proposé cette ouverture par un amendement, pour plus de transparence et de diversité. Nous espérons sincèrement que vous respecterez votre engagement sur ce point.
Quant à l'ouverture du secteur de la distribution à de nouveaux acteurs, elle devrait permettre de trouver des solutions optimales, dont certaines se dessinent déjà – la presse régionale est en première ligne sur cette question. Mais il était essentiel de préserver notre souveraineté. Sur ce point, nous nous félicitons de l'adoption de notre amendement visant à ce que les nouveaux acteurs ne soient pas extra-européens.
Toutefois, le Gouvernement devra faire face à la situation de Presstalis. Ouvrir à la concurrence ne suffira en effet pas à régler tous les problèmes. Nous comprenons la logique sous-jacente ; il n'en demeure pas moins que, dans l'attente de ces nouveaux acteurs, la question de l'avenir de Presstalis se pose toujours, de manière plus aiguë encore – je pense en particulier à ses salariés, qui sont plus de 1 200. C'est une préoccupation majeure.
Veillons également à garantir la continuité territoriale de la distribution de la presse, y compris avec l'arrivée de ces nouveaux acteurs. À ce sujet, nos deux assemblées se sont attachées à ce que leur cahier des charges tienne compte du maillage territorial. Notre groupe salue cette attention : il faut veiller à ce que les journaux et publications de toutes les tendances soient présents et accessibles, en quantité suffisante, dans l'ensemble du territoire.
Cependant, la réaffirmation et le renforcement de tous ces principes fondamentaux se révélera un exercice vain si la régulation du secteur, confiée à l'ARCEP, n'est pas efficace. Il sera donc indispensable de doter l'ARCEP de moyens humains supplémentaires.
En définitive, saluons ce qui a été sauvegardé et accueillons avec optimisme et espoir les nouveautés qui ont été introduites, tout en restant vigilants sur la situation de Presstalis et de ses salariés. Le groupe Libertés et territoires votera ce texte, avec l'espoir sincère que l'ensemble des mesures de modernisation apporteront des solutions à la distribution de la presse dans son ensemble.
Notre vote sera donc favorable, mais nous veillerons à ce que l'État joue son rôle en matière d'accompagnement social, sans se dérober d'ici à 2023, et nous resterons attentifs aux réponses apportées par le Gouvernement au plan de filière présenté par les principaux éditeurs de la presse d'information politique et générale.