D'après son programme, le Conseil national de la Résistance comptait « assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances de l'argent et des influences étrangères ».
Née de cet objectif, la loi Bichet a fait de la presse et, surtout, de l'accès à la presse par sa distribution un outil pour développer la démocratie, au travers du pluralisme des idées et des opinions. Elle a permis une égalité d'accès à l'information dans tout le territoire. Chaque titre se voyait ainsi assuré d'atteindre son lecteur, sans qu'aucune discrimination liée à sa ligne éditoriale ou à ses opinions politiques ne puisse lui être opposée.
Ce modèle a permis à la France d'avoir un paysage médiatique très étoffé, avec 4 400 titres diffusés aujourd'hui, contre à peine 2 500 au Royaume-Uni et 1 600 en Allemagne.
Il est vrai que le secteur de la presse a subi de profondes mutations – et nous savons que ce n'est pas fini. On observe des changements d'usages, de culture. La baisse de la lecture de la presse papier au profit de la presse numérique, ainsi que les difficultés qu'éprouvent nos concitoyens à accéder à la presse papier du fait de la fermeture des kiosques et des maisons de la presse, sont autant de difficultés à affronter.
Dès lors, nombreux sont ceux qui sont favorables à l'élaboration d'une grande réforme de la presse et de la communication.
Or ce texte, qui prétend faussement maintenir le système coopératif, bouleverse en réalité totalement l'équilibre de la loi Bichet. C'est à une réécriture de la loi que vous procédez – il faut que vous l'assumiez – , avec l'objectif à peine masqué d'ouvrir les messageries aux capitaux extérieurs, pour désengager l'État de Presstalis.
Pourtant, le système coopératif français est moins coûteux et plus efficace que ceux dans lesquels les entreprises de messageries sont régies par la seule loi du marché – tel est le cas partout ailleurs. La Synthèse comparative de la distribution de la presse en Europe, éditée par le Conseil supérieur des messageries de presse, prouve que le système français est le plus économique. Cette supériorité du système coopératif sur les entreprises de messageries strictement commerciales est une réalité, qui certes contrevient au principe de la concurrence libre et non faussée.
L'article 1er du projet de loi reflète cette déstructuration et remet en cause la philosophie de la loi Bichet en s'attaquant à deux de ses fondements essentiels : la coopération entre les titres et donc, de fait, l'égalité qui existe entre eux. Cela préfigure une mise en concurrence des sociétés distributrices, puisque n'importe quelle société pourra se positionner sur le marché de la distribution de la presse. Cette ouverture à différentes entreprises privées fragilisera considérablement l'ambition d'une information équitable de tous les citoyens, où qu'ils vivent, en mettant en danger une diffusion jusque-là égalitaire dans tout le territoire.
Vous faites le pari qu'une société commerciale serait mieux à même de préserver le pluralisme et la liberté de la presse qu'une société coopérative, dont les ressorts plus naturels sont l'égalité et la solidarité. Chers collègues, ce pari fou ne serait tenable qu'aux dépens des éditeurs indépendants et de leurs salariés. Les marchands de presse, déjà exsangues, pourraient figurer aux rangs des victimes collatérales de ce projet. Presstalis est pointé du doigt, mais le projet de loi ne semble pas résoudre le problème ; il l'aggrave, au contraire.
De plus, ce texte mettra à mal le pluralisme de l'information, principe inscrit à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La diffusion des titres hors IPG doit faire l'objet non pas d'une première et unique proposition des diffuseurs aux points de vente, mais d'un véritable accord entre les deux parties.
Par « pluralisme », on entend souvent uniquement le pluralisme des opinions. Or le pluralisme de la presse repose aussi sur le pluralisme des entrées thématiques, des formats, des cultures. Le fait de passer par un accord permettrait d'éviter toute censure ou, plus simplement, le rejet d'un titre de la part d'un point de vente. Cela s'inscrirait dans la continuité de la philosophie de la loi Bichet et permettrait à tous les citoyens d'accéder aux titres de presse sans entrave, ni censure d'aucun acteur.
Loin d'adapter les principes fondateurs de la distribution de la presse aux enjeux du XXIe siècle – ce qui est pourtant nécessaire – , ce projet de loi s'inscrit dans une suite de mesures qui affaiblissent la liberté d'expression et d'opinion, telles que la loi relative à la protection du secret des affaires, la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information et la casse annoncée de l'audiovisuel public.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne votera pas ce texte qui démantèle la loi Bichet, justement qualifiée de « joyau législatif de la Résistance ».