Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 18 octobre 2017 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Je suis heureuse de me trouver à nouveau parmi vous, après avoir eu l'occasion, cet été, d'évoquer avec votre Commission les questions liées à la moralisation de la vie publique. Je viens aujourd'hui vous présenter les chantiers de la justice, qui constituent le coeur de ce que je compte mener à bien avec les directeurs de l'administration centrale qui sont à mes côtés ; je vous dirai aussi un mot des autres dossiers sur lesquels mon attention sera appelée cette année. Un an ne suffira d'ailleurs pas à régler toutes les questions liées à la justice, et j'ai déjà en tête d'autres chantiers pour les années suivantes.

Le fondement des cinq chantiers que nous allons entreprendre, c'est l'exigence de justice de nos concitoyens, une demande de nature presque philosophique. De multiples enquêtes montrent que notre système judiciaire, parce qu'il manque de rapidité, de lisibilité et d'efficacité, ne répond pas suffisamment aux attentes. Nous ne pouvons l'ignorer, car tout corps social a besoin d'une justice efficace et présente, lien puissant qui permet de vivre ensemble. Je m'attacherai par des mesures tangibles à ce qu'il en soit ainsi. Certains parmi vous se sont certainement rendus dans des tribunaux, des établissements pénitentiaires ou des établissements liés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il faut rassurer les magistrats et le personnel de la justice sur les moyens, mais aussi leur donner des certitudes quant au sens de leur mission. C'est ce que je veux faire.

De mes rencontres avec magistrats, personnels administratifs et greffiers, j'ai tiré deux enseignements. Le premier est que ce sont les acteurs de notre justice qui détiennent les clés de sa transformation ; sans eux, rien n'est possible, et ce sont eux qui peuvent nous apporter les solutions pour faire évoluer l'exercice de l'acte très délicat qu'est celui de juger, eux qui, par leurs contacts avec les justiciables, leur expérience et leur façon de concevoir la justice, seront les premiers acteurs du changement.

J'ai aussi retenu que la transformation de la justice ne peut ni ne doit être un enjeu idéologique. Notre responsabilité politique est de trouver des solutions opérationnelles permettant d'améliorer l'organisation de la justice, dans le respect des principes constitutionnels qui la guident. Les défis à relever sont extrêmement nombreux. Il ne faut pas les considérer comme des obstacles qui se dressent devant nous, mais comme des leviers qui nous permettront de mettre fin à la complexité et aux archaïsmes de procédures qui ne répondent plus aux exigences d'une justice diligente et cohérente. Une organisation judiciaire qui devra peut-être être repensée suppose en tout cas des procédures plus simples et plus efficaces, propres à faire que le citoyen retrouve confiance en la justice.

Une partie de la réponse proviendra nécessairement de la remise à niveau des moyens de la justice. J'aborderai ce volet lors de l'examen du budget de la chancellerie, la semaine prochaine ; je vous indique simplement que le budget de la justice augmentera de près de 4 % en 2018 et que mille emplois seront créés. Au printemps prochain, je vous présenterai la loi de programmation, qui traduira un accroissement sur cinq ans des moyens donnés à la justice. C'est la traduction tangible de la volonté du Président de la République et du Premier ministre de faire de la justice une priorité.

Mais, je l'ai déjà dit, les moyens ne suffisent pas à eux seuls à permettre la transformation en profondeur que nous souhaitons, et qui suppose d'une part l'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice, d'autre part l'efficacité des peines. Ces deux objectifs justifient les chantiers dont je vais vous entretenir, en commençant par vous dire la méthode que nous avons retenue.

Nous avons souhaité une première étape de concertation ouverte et opérationnelle pour chacun des cinq chantiers que j'ai lancés et dont les thèmes sont les suivants : la transformation numérique ; la simplification et l'amélioration de la procédure pénale ; la simplification et l'amélioration de la procédure civile ; l'adaptation de l'organisation territoriale ; le sens et l'efficacité des peines. La méthode collaborative sera la règle.

Pour l'amélioration et la simplification des procédures pénale et civile, nous interrogerons les personnels de la justice dans chaque ressort de cour d'appel – et, pour ce qui concerne spécifiquement la simplification de certaines parties de la procédure pénale, nous leur demanderons de travailler avec les services de police et de gendarmerie. Nous souhaitons également établir des liens étroits avec les avocats et d'autres professions du droit. Ainsi aurons-nous les remontées des praticiens qui assument les tâches quotidiennes de la justice.

La méthode pourra varier selon les chantiers considérés. Ainsi, pour ce qui est de la transformation numérique, la concertation se fera par le biais d'une enquête numérisée. Pour ce qui a trait à l'adaptation du réseau judiciaire, j'ai demandé, comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, à deux anciens présidents de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, MM. Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, de conduire la réflexion en s'appuyant sur des consultations de magistrats, d'élus territoriaux ou encore de parlementaires. La concertation sera donc large, ouverte, sans présupposé. Les résultats qui nous seront transmis seront analysés par les services du ministère de la justice et, pour chaque chantier, par deux chefs de file qui nous feront part de leurs perspectives, nous donneront des contrepoints et permettront de classer les informations par ordre de priorité. Je vous dirai qui ils sont si vous le souhaitez.

Cette méthode collaborative globale, adaptée à chaque chantier, s'appliquera dans un calendrier resserré : j'ai souhaité que l'ensemble des remontées du terrain nous parviennent le 15 janvier prochain au plus tard. Pourquoi cette date ? Parce qu'au printemps vous seront soumis le projet de loi de programmation et le projet de loi visant à mettre en oeuvre une partie des réformes attendues, notamment en matière de procédure pénale. Si l'on veut véritablement transformer la justice, ce calendrier doit donc être respecté – et que l'on ne me dise pas que la concertation est impossible dans un délai aussi court. De très nombreuses études ont déjà été réalisées sur ces thèmes ; nous nous appuierons sur ces travaux, sans refaire ce qui a déjà été fait. Je souhaite aboutir à des solutions pragmatiques traduisant des réflexions déjà connues et le délai relativement bref que j'ai fixé le permet.

L'ensemble de ces chantiers ne pourra être conduit sans une réflexion sur les ressources humaines du ministère. Je lancerai ce travail avec les organisations syndicales lors d'un comité technique ministériel la semaine prochaine.

Ces chantiers ne résument pas les seuls dossiers dont je traiterai cette année. Il va de soi qu'en ma qualité de garde des Sceaux je porterai la révision constitutionnelle dont nous avons parlé cet été lorsque je vous ai présenté les projets de loi pour la confiance dans l'action politique, certains d'entre vous insistant sur la nécessité de prolonger ce travail par des évolutions constitutionnelles. Le Président de la République a annoncé la révision constitutionnelle devant le Congrès. Des groupes de travail ont été installés par le président de votre Assemblée, et leurs conclusions auront des traductions dans le domaine constitutionnel pour ce qui est du travail parlementaire ; d'autres dossiers seront ouverts, dont celui de l'indépendance de la justice et du statut des magistrats du parquet. J'aurai donc l'occasion de travailler ce dossier avec vous.

Je compte également traiter de dossiers particulièrement liés à la vocation protectrice de la justice, qui est aussi une manière d'être aux côtés des plus démunis. Pour ce qui est de la visée protectrice, la justice est un acteur puissant de la lutte contre le terrorisme. Nous devrons sans doute réfléchir à nouveau à l'organisation de la justice antiterroriste : elle fonctionne selon des règles particulières qui devraient peut-être être renforcées ; je vous en reparlerai.

Un travail sera d'autre part engagé sur l'aide juridictionnelle. Nous nous sommes engagés cette année à tenir les promesses du précédent Gouvernement concernant la rétribution des avocats, et les crédits destinés à l'aide juridictionnelle progressent de 32 millions d'euros à cette fin, mais il faut trouver une source pérenne de financement de cette aide – c'est indispensable pour garantir l'accès au droit. Aussi ai-je chargé conjointement l'inspection générale des finances et l'inspection générale de la justice de trouver une solution.

Je travaillerai également sur la question des mineurs dits « non accompagnés », sujet d'une grande actualité dont les départements nous saisissent de toutes parts, tant sont grandes les difficultés dues à l'afflux de ces jeunes gens.

Enfin, la politique d'aide aux victimes est un axe important de mon action depuis qu'une déléguée interministérielle à l'aide aux victimes a été nommée à mes côtés en la personne de Mme Elisabeth Pelsez. Elle a engagé dès sa prise de fonctions des actions concrètes, pour le retour à l'emploi des victimes comme en d'autres domaines.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.