La réunion débute à 17 h 00.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
J'ai le plaisir d'accueillir Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice. Nous avons déjà eu avec vous, madame la ministre, des échanges fructueux lorsque vous êtes venue nous présenter, au mois de juillet, les deux lois pour la confiance dans l'action politique.
La justice étant au centre de nos préoccupations, la Commission souhaitait débattre avec vous de vos orientations. L'audition vient à point nommé puisque vous avez lancé, il y a une quinzaine de jours, les cinq chantiers de la justice. Chacun est animé par deux référents, au nombre desquels deux anciens présidents de notre Commission, MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg. Les référents vous remettront leurs conclusions le 15 janvier 2018 au plus tard.
Pour tenir compte de ces chantiers et conformément à une orientation présentée au bureau de la Commission et que je souhaite généraliser, les questions porteront sur des thèmes déterminés.
Je suis heureuse de me trouver à nouveau parmi vous, après avoir eu l'occasion, cet été, d'évoquer avec votre Commission les questions liées à la moralisation de la vie publique. Je viens aujourd'hui vous présenter les chantiers de la justice, qui constituent le coeur de ce que je compte mener à bien avec les directeurs de l'administration centrale qui sont à mes côtés ; je vous dirai aussi un mot des autres dossiers sur lesquels mon attention sera appelée cette année. Un an ne suffira d'ailleurs pas à régler toutes les questions liées à la justice, et j'ai déjà en tête d'autres chantiers pour les années suivantes.
Le fondement des cinq chantiers que nous allons entreprendre, c'est l'exigence de justice de nos concitoyens, une demande de nature presque philosophique. De multiples enquêtes montrent que notre système judiciaire, parce qu'il manque de rapidité, de lisibilité et d'efficacité, ne répond pas suffisamment aux attentes. Nous ne pouvons l'ignorer, car tout corps social a besoin d'une justice efficace et présente, lien puissant qui permet de vivre ensemble. Je m'attacherai par des mesures tangibles à ce qu'il en soit ainsi. Certains parmi vous se sont certainement rendus dans des tribunaux, des établissements pénitentiaires ou des établissements liés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il faut rassurer les magistrats et le personnel de la justice sur les moyens, mais aussi leur donner des certitudes quant au sens de leur mission. C'est ce que je veux faire.
De mes rencontres avec magistrats, personnels administratifs et greffiers, j'ai tiré deux enseignements. Le premier est que ce sont les acteurs de notre justice qui détiennent les clés de sa transformation ; sans eux, rien n'est possible, et ce sont eux qui peuvent nous apporter les solutions pour faire évoluer l'exercice de l'acte très délicat qu'est celui de juger, eux qui, par leurs contacts avec les justiciables, leur expérience et leur façon de concevoir la justice, seront les premiers acteurs du changement.
J'ai aussi retenu que la transformation de la justice ne peut ni ne doit être un enjeu idéologique. Notre responsabilité politique est de trouver des solutions opérationnelles permettant d'améliorer l'organisation de la justice, dans le respect des principes constitutionnels qui la guident. Les défis à relever sont extrêmement nombreux. Il ne faut pas les considérer comme des obstacles qui se dressent devant nous, mais comme des leviers qui nous permettront de mettre fin à la complexité et aux archaïsmes de procédures qui ne répondent plus aux exigences d'une justice diligente et cohérente. Une organisation judiciaire qui devra peut-être être repensée suppose en tout cas des procédures plus simples et plus efficaces, propres à faire que le citoyen retrouve confiance en la justice.
Une partie de la réponse proviendra nécessairement de la remise à niveau des moyens de la justice. J'aborderai ce volet lors de l'examen du budget de la chancellerie, la semaine prochaine ; je vous indique simplement que le budget de la justice augmentera de près de 4 % en 2018 et que mille emplois seront créés. Au printemps prochain, je vous présenterai la loi de programmation, qui traduira un accroissement sur cinq ans des moyens donnés à la justice. C'est la traduction tangible de la volonté du Président de la République et du Premier ministre de faire de la justice une priorité.
Mais, je l'ai déjà dit, les moyens ne suffisent pas à eux seuls à permettre la transformation en profondeur que nous souhaitons, et qui suppose d'une part l'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice, d'autre part l'efficacité des peines. Ces deux objectifs justifient les chantiers dont je vais vous entretenir, en commençant par vous dire la méthode que nous avons retenue.
Nous avons souhaité une première étape de concertation ouverte et opérationnelle pour chacun des cinq chantiers que j'ai lancés et dont les thèmes sont les suivants : la transformation numérique ; la simplification et l'amélioration de la procédure pénale ; la simplification et l'amélioration de la procédure civile ; l'adaptation de l'organisation territoriale ; le sens et l'efficacité des peines. La méthode collaborative sera la règle.
Pour l'amélioration et la simplification des procédures pénale et civile, nous interrogerons les personnels de la justice dans chaque ressort de cour d'appel – et, pour ce qui concerne spécifiquement la simplification de certaines parties de la procédure pénale, nous leur demanderons de travailler avec les services de police et de gendarmerie. Nous souhaitons également établir des liens étroits avec les avocats et d'autres professions du droit. Ainsi aurons-nous les remontées des praticiens qui assument les tâches quotidiennes de la justice.
La méthode pourra varier selon les chantiers considérés. Ainsi, pour ce qui est de la transformation numérique, la concertation se fera par le biais d'une enquête numérisée. Pour ce qui a trait à l'adaptation du réseau judiciaire, j'ai demandé, comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, à deux anciens présidents de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, MM. Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, de conduire la réflexion en s'appuyant sur des consultations de magistrats, d'élus territoriaux ou encore de parlementaires. La concertation sera donc large, ouverte, sans présupposé. Les résultats qui nous seront transmis seront analysés par les services du ministère de la justice et, pour chaque chantier, par deux chefs de file qui nous feront part de leurs perspectives, nous donneront des contrepoints et permettront de classer les informations par ordre de priorité. Je vous dirai qui ils sont si vous le souhaitez.
Cette méthode collaborative globale, adaptée à chaque chantier, s'appliquera dans un calendrier resserré : j'ai souhaité que l'ensemble des remontées du terrain nous parviennent le 15 janvier prochain au plus tard. Pourquoi cette date ? Parce qu'au printemps vous seront soumis le projet de loi de programmation et le projet de loi visant à mettre en oeuvre une partie des réformes attendues, notamment en matière de procédure pénale. Si l'on veut véritablement transformer la justice, ce calendrier doit donc être respecté – et que l'on ne me dise pas que la concertation est impossible dans un délai aussi court. De très nombreuses études ont déjà été réalisées sur ces thèmes ; nous nous appuierons sur ces travaux, sans refaire ce qui a déjà été fait. Je souhaite aboutir à des solutions pragmatiques traduisant des réflexions déjà connues et le délai relativement bref que j'ai fixé le permet.
L'ensemble de ces chantiers ne pourra être conduit sans une réflexion sur les ressources humaines du ministère. Je lancerai ce travail avec les organisations syndicales lors d'un comité technique ministériel la semaine prochaine.
Ces chantiers ne résument pas les seuls dossiers dont je traiterai cette année. Il va de soi qu'en ma qualité de garde des Sceaux je porterai la révision constitutionnelle dont nous avons parlé cet été lorsque je vous ai présenté les projets de loi pour la confiance dans l'action politique, certains d'entre vous insistant sur la nécessité de prolonger ce travail par des évolutions constitutionnelles. Le Président de la République a annoncé la révision constitutionnelle devant le Congrès. Des groupes de travail ont été installés par le président de votre Assemblée, et leurs conclusions auront des traductions dans le domaine constitutionnel pour ce qui est du travail parlementaire ; d'autres dossiers seront ouverts, dont celui de l'indépendance de la justice et du statut des magistrats du parquet. J'aurai donc l'occasion de travailler ce dossier avec vous.
Je compte également traiter de dossiers particulièrement liés à la vocation protectrice de la justice, qui est aussi une manière d'être aux côtés des plus démunis. Pour ce qui est de la visée protectrice, la justice est un acteur puissant de la lutte contre le terrorisme. Nous devrons sans doute réfléchir à nouveau à l'organisation de la justice antiterroriste : elle fonctionne selon des règles particulières qui devraient peut-être être renforcées ; je vous en reparlerai.
Un travail sera d'autre part engagé sur l'aide juridictionnelle. Nous nous sommes engagés cette année à tenir les promesses du précédent Gouvernement concernant la rétribution des avocats, et les crédits destinés à l'aide juridictionnelle progressent de 32 millions d'euros à cette fin, mais il faut trouver une source pérenne de financement de cette aide – c'est indispensable pour garantir l'accès au droit. Aussi ai-je chargé conjointement l'inspection générale des finances et l'inspection générale de la justice de trouver une solution.
Je travaillerai également sur la question des mineurs dits « non accompagnés », sujet d'une grande actualité dont les départements nous saisissent de toutes parts, tant sont grandes les difficultés dues à l'afflux de ces jeunes gens.
Enfin, la politique d'aide aux victimes est un axe important de mon action depuis qu'une déléguée interministérielle à l'aide aux victimes a été nommée à mes côtés en la personne de Mme Elisabeth Pelsez. Elle a engagé dès sa prise de fonctions des actions concrètes, pour le retour à l'emploi des victimes comme en d'autres domaines.
Je vous remercie, madame la garde des Sceaux. Je vais donner maintenant la parole à ceux de mes collègues qui souhaitent vous interroger, en abordant successivement les quatre thématiques suivantes : la réforme de la procédure pénale, puis celle de la procédure civile, puis l'adaptation du réseau des juridictions, enfin la question pénitentiaire et le sens et l'exécution des peines.
Je n'appartiens pas à la majorité, mais ces chantiers de la justice, que vous avez présentés à Nantes, me semblent très positifs. Le code de procédure pénale fera-t-il ou non l'objet d'une révision ? Enquêteurs et magistrats se plaignent d'un formalisme rigide et d'une complexité toujours croissante qui obèrent le temps d'enquête, parfois si lourdement que les enquêteurs peuvent en être découragés. Qu'en sera-t-il ?
Assassinats islamistes à Marseille, échos du procès Merah, ensauvagement de notre société : de nombreux sujets de société viennent malheureusement intéresser notre Commission. En lançant les chantiers de la justice, le 6 octobre dernier, vous avez annoncé la construction de 15 000 places de prison. Notre ancien collègue Georges Fenech rappelait régulièrement, au sein de cette Commission, qu'il en manquait entre 20 000 et 30 000. En 2015, Mme Taubira annonçait la création de 6 500 places. Ne peut-on définir une politique de construction de places de prison qui soit en adéquation avec l'exécution des peines, quitte à reprendre l'excellente proposition de mes collègues du groupe Les Républicains consistant à demander aux détenus une participation financière pour leurs frais d'incarcération ?
L'un des chantiers vise à améliorer la procédure pénale. Quel regard portez-vous sur les travaux qui demandent l'amélioration de la place de la victime dans cette procédure, notamment le droit d'appel de la victime en cas d'acquittement par une cour d'assises, proposé par M. Xavier Bébin et l'Institut pour la justice ?
Enfin, l'affaire dite du « mur des cons » continue à interroger sur la politisation de la justice ; au-delà des caricatures, tiendrez-vous compte, dans votre réflexion, du lien de confiance entre l'institution judiciaire et la société ?
L'article 11 du code de procédure pénale dispose que « la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète ». Que le secret ne soit pas respecté entame la confiance en la justice, car c'est nuire à la conduite de l'enquête et à la présomption d'innocence des personnes mises en cause. Pourtant, des fuites ont lieu, et sont médiatisées ; cette question sera-t-elle traitée ?
Nous souscrivons à la présentation ambitieuse que vous venez de faire, madame la garde des Sceaux, et qui vise à servir le justiciable le mieux possible. C'est ce que nous avons tenté de faire avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Le justiciable veut des délais courts, une peine prononcée et exécutée. Quant à la simplification des procédures, tout le monde en rêve, et l'on sait qu'un lourd travail s'annonce. Mais il faut aussi, madame la garde des Sceaux, prévenir la récidive, ce qui allégera le travail des magistrats. À cet égard, quel sort sera fait à la justice restaurative consacrée par la loi du 15 août 2014 ? D'autre part, d'informatif le site « justice.fr » peut devenir applicatif ; quels sont vos projets à cet égard ? Enfin, quand pensez-vous présenter le projet de loi portant réforme de la procédure pénale ?
Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, de lancer ces chantiers en suivant une méthode qui ne peut que convenir à tous. Le justiciable attend des décisions rapides en matière civile comme en matière pénale. S'agissant de la procédure pénale, et même si cette procédure est maintenant très peu utilisée, le procureur travaillant désormais beaucoup plus largement que le juge d'instruction sur les enquêtes, envisagez-vous des mesures relatives aux délais de recours sur les décisions de première instance dans le cadre de l'instruction ? Les cours d'appel travaillent très largement à vide en matière pénale : de nombreux condamnés, présents lors de leur condamnation en première instance, font appel à titre conservatoire et ne se présentent pas à l'audience alors qu'ils ont effectivement reçu une convocation. La cour est alors contrainte de recommencer à tout examiner, ce qui n'est pas le cas dans bien d'autres pays européens. Examinerez-vous cette question ?
Je reviens sur une question posée par mon collègue Masson concernant le code de procédure pénale. Vos réformes visent à apporter le meilleur service possible au justiciable. Pour cela, vous indiquez vous appuyer sur tous les professionnels de la justice, y compris les policiers et les gendarmes qui travaillent en amont. Nous sommes nombreux à recevoir les messages d'alerte et les doléances des enquêteurs, aux prises avec d'énormes difficultés de mise en oeuvre des procédures d'instruction. Ainsi, les officiers de police judiciaire (OPJ), par exemple, souffrent d'une terrible désaffection pour leur métier : les lourdeurs de la procédure pénale détournent la plupart des policiers de cette fonction, pourtant considérée comme la plus intéressante au sein de la police.
Dans le cadre de votre réforme, allez-vous toucher à ce qui pénalise au quotidien ces fonctionnaires dans l'exercice de leur métier ?
Quand on parle de l'amélioration de la procédure pénale, on ne peut pas exclure, d'emblée, de discuter des moyens. Bien entendu, les moyens seuls ne suffisent pas, mais nous sommes l'un des pays européens les moins bien classés quant au nombre de juges par habitant, très loin derrière beaucoup d'autres. Nous avons ainsi près de deux fois moins de juges par habitant que nos voisins allemands.
Où en est-on sur ce sujet ? Certes, le Gouvernement fait un petit effort budgétaire pour 2018 mais, au regard des coupes de cet été, c'est finalement une augmentation en trompe-l'oeil, clairement insuffisante. Ne faut-il pas d'abord donner plus de moyens à la justice pour améliorer la procédure pénale ?
Par ailleurs, quel est l'état de vos travaux et de vos discussions avec le ministère de l'intérieur sur la simplification des procédures ? M. Collomb, ministre de l'intérieur, a des demandes un peu particulières… On entend par exemple parler de « procès-verbaux de synthèse », qui pourraient remplacer différents actes aujourd'hui consignés par les OPJ. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Il y a à peine une heure et demie, le Président de la République, s'adressant aux forces de sécurité intérieure, a appelé de ses voeux l'harmonisation des procédures et la simplification des actes de procédure pénale, afin que l'action de la police soit plus efficace, tout en préservant les libertés individuelles fondamentales, dont le code de procédure pénale est l'un des socles.
À l'heure actuelle, le droit français reste un droit inquisitoire, mais il est de plus en plus mâtiné de procédure accusatoire. Or, les services de police sont souvent en difficulté du fait de la lourdeur de leurs tâches. Madame la ministre, avant que votre ministère et le Parlement ne commencent à travailler, avez-vous déjà quelques pistes concrètes concernant l'évolution du code de procédure pénale sur cet aspect particulier ?
Ma question s'inscrit dans la prolongation de celles de mes collègues Masson et Viala sur la nécessité de simplifier et de clarifier un certain nombre d'éléments de la procédure pénale. Vous avez notamment évoqué l'élargissement de la procédure du plaider-coupable, d'inspiration anglo-saxonne. L'oralisation de la procédure constitue un autre élément intéressant : tout en garantissant les droits de la défense, elle permettrait d'alléger les OPJ d'un travail très administratif, souvent par ailleurs source de contentieux en cours de procédure… Les OPJ passent beaucoup de temps à rédiger des procès-verbaux, mais, par carence du logiciel ou manque d'actualisation de certaines fiches, ces procès-verbaux sont parfois à l'origine de vices de procédure.
Vous avez par ailleurs évoqué la forfaitisation d'un certain nombre de peines liés à des délits. Il s'agit d'un outil intéressant pour désengorger les tribunaux, mais cela ne risque-t-il pas d'éloigner la justice de la délinquance quotidienne ? Cela n'altérera-t-il la perception de la réalité de la délinquance ? Quand on ne juge plus de la délinquance ordinaire, ce sont les délits les plus graves qui font le quotidien des tribunaux. Comment préserver une forme d'équilibre ?
Madame la ministre, je souhaiterais avoir votre avis sur la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, dont j'ai été le rapporteur. Cette loi est importante puisque c'était la première fois depuis 1808 que l'on modifiait le régime de prescription pénale. Son application pose un certain nombre de questions. À la demande du Sénat, un « délai butoir » de douze ans en matière délictuelle a été fixé à l'exercice des poursuite en cas de report du point de départ du délai de prescription de l'action publique des infractions occultes et dissimulées. Il est de trente ans en matière criminelle. Quelles conséquences doit-on en tirer pour les dossiers en cours ? En particulier, en matière délictuelle, un procès s'arrête-t-il immédiatement à partir du moment où l'on atteint ces douze ans ?
Ainsi, pour ne prendre que le dossier de l'amiante – qui concerne notamment ma circonscription –, il a été ouvert en 1998, n'est toujours pas clos, et l'on s'oriente vraisemblablement vers un non-lieu, selon les derniers échos dans la presse. Quoi qu'il en soit – non-lieu ou renvoi devant le tribunal correctionnel –, cela fait près de dix-huit ans que le dossier est en cours d'instruction ! Comment, dans cet exemple, appliquer les règles de prescription telles qu'issues de la loi du 27 janvier 2017 ?
Avec mon collègue Georges Fenech, nous avions rencontré le pôle des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris sur ces questions. Tous, notamment le juge Renaud Van Ruymbeke, nous avaient fait part de l'incidence des nullités sur les délais de jugement. Ne doit-on pas arrêter de traiter séparément les nullités et renvoyer globalement, au fond, l'ensemble des nullités ? Faute de quoi, les procès sont reportés à des dates extrêmement éloignées, surtout lorsque sont mis en cause d'anciens ministres – la Cour de justice de la République peut alors être compétente.
Cette question des nullités pollue notre droit pénal. Certes, le droit pénal et le droit de la procédure pénale préservent les libertés, mais, à partir du moment où la date d'un procès n'est toujours pas fixée au bout de quinze ans, où est la liberté des victimes ?
Madame la ministre, je vous remercie pour cette présentation. Je reviendrai sur la simplification du code de procédure pénale. Effectivement, le Président de la République vient de s'exprimer. Il est revenu sur les interventions de la police de proximité. Il veut forfaitiser la répression d'un certain nombre de délits qui sont aujourd'hui traités par la voie judiciaire, longue et fastidieuse pour nos forces de l'ordre, mais aussi pour les magistrats.
Comment percevez-vous la création de cette nouvelle alternative aux poursuites, alors que certaines alternatives, notamment la transaction pénale, sont actuellement largement écartées dans les procédures ?
Par ailleurs, comment comptez-vous renforcer le lien police-justice, dans le contexte actuel de tensions entre les deux institutions ? Si je comprends bien, les procédures d'amendes forfaitaires seraient principalement réservées aux primodélinquants. Cela suppose de pouvoir identifier les récidivistes. Or, à ce jour, du fait de la séparation entre les fichiers des deux institutions, la police a du mal à les identifier. Je pense notamment à la question sensible des stupéfiants : êtes-vous prête à vous engager pleinement dans ce travail de restauration des liens entre la police et la justice ?
Je vous remercie, chers collègues, d'avoir joué le jeu et d'avoir posé des questions assez brèves sur le thème choisi. Madame la garde des Sceaux, je vous laisse répondre le plus complètement possible.
Le chantier d'amélioration et de simplification de la procédure pénale sera conduit par MM. Jacques Baume, procureur général honoraire, ancienne membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), auteur d'un rapport sur la procédure pénale en juillet 2014, et Frank Natali, avocat au barreau de l'Essonne et ancien bâtonnier. En faisant travailler ce binôme, nous disposerons de précieux éléments venus du terrain.
Nous souhaitons disposer d'une procédure simplifiée, pour que la justice soit mieux et plus vite rendue, mais également d'une procédure garante des droits de chacun. Ancien membre du Conseil constitutionnel, je sais pertinemment que nous devons respecter les grands principes constitutionnels. Toutefois, des améliorations puissantes sont envisageables grâce à diverses simplifications.
Monsieur Masson, cela aboutira-t-il à une réforme du code de procédure pénale ? La réponse est bien évidemment positive. Le code ne sera pour autant pas intégralement réécrit. Hier, devant vos collègues du Sénat, j'ai défendu un projet de loi de ratification dans le domaine du droit des contrats. J'espère pouvoir le défendre prochainement devant vous, mais il a fallu plus de dix ans pour réécrire une partie substantielle de ce droit. Je ne suis pas dans cette optique, car je souhaite que nous travaillions efficacement, concrètement, mais plus rapidement. Seuls seront révisés les articles ou les alinéas dont la modification permettra de faire avancer la simplification de la procédure.
Madame Lorho, si vous me le permettez, je répondrai à votre question sur les places de prison lors de nos échanges sur le dernier chantier évoqué par Mme la Présidente.
L'amélioration de la place de la victime dans la procédure est, à mon sens, essentielle. J'ai engagé ce travail avec la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes. Nous aurons très prochainement l'occasion de vous faire des propositions concrètes. Un comité interministériel d'aide aux victimes se tiendra par ailleurs le 12 novembre sous la présidence du Premier ministre, au cours duquel j'annoncerai différentes mesures.
Vous m'avez interpellée sur le lien de confiance envers la justice. C'est une question extrêmement délicate. Vous avez également soulevé la problématique de la mise en accusation de certains hommes ou femmes politiques. Ces questions relèveront pour partie de la révision constitutionnelle que j'ai annoncée. Dans ce cadre, nous travaillerons d'une part sur le statut des magistrats du parquet, mais également, à nouveau, sur la réforme du CSM. Il faudra que nous en rediscutions ensemble.
Monsieur Breton, je vous l'ai dit, je recherche des voies concrètes d'amélioration. Je ne reviendrai donc pas sur le secret de l'instruction, qui fait partie des grands principes de notre procédure pénale.
Madame Untermaier, vous avez évoqué le travail réalisé dans le cadre du vote de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Je n'en ignore rien. Bien au contraire, nous nous appuyons sur ces dispositions, nous aurons l'occasion d'y revenir. Je ne souhaite ni supprimer des peines existantes, ni en créer de nouvelles, notre arsenal étant suffisamment puissant.
Dans le cadre de la lutte contre la récidive, la justice restaurative m'intéresse beaucoup. Des expériences intéressantes sont menées en la matière dans certains établissements pénitentiaires – je pense notamment à Val-de-Reuil. Un colloque fera très prochainement le point sur ce sujet, avec la présence de scientifiques. Je ne sais pas si je pourrai m'y rendre, mais je suis très attentive à cette problématique.
Concernant notre site internet, je rêve qu'un jour « justice.fr » soit aussi efficace que « impôts.gouv.fr », dans un autre registre. Dès l'année prochaine, sur la base d'un identifiant, les justiciables pourront suivre en temps réel et de manière dématérialisée leur procédure sur justice.fr. Mais notre ambition en la matière va bien au-delà.
Quand déposerai-je le projet de loi sur la procédure pénale ? Comme je l'ai précisé, nous souhaitons que vous l'examiniez au printemps. Je crois que nous disposons d'un ou de deux créneaux législatifs, le premier pour le projet de loi réformant la procédure pénale et le second pour le projet de loi de programmation. J'ai une préférence pour deux textes distincts, mais nous aviserons en fonction des créneaux disponibles.
Madame Vichnievsky, vous avez évoqué un sujet qui me préoccupe beaucoup : la question des voies de recours, qui est finalement celle de la puissance du juge de première instance et de la manière dont la décision peut, ou non, être contestée. Ce sujet sera débattu dans le cadre de la concertation engagée. Des évolutions sont déjà intervenues. Vous savez que l'appel peut actuellement être limité s'agissant des peines correctionnelles. Faut-il prévoir cette limitation s'agissant des procès d'assises ? La question est ouverte, j'espère que nous y apporterons la meilleure réponse.
Monsieur Viala, vous m'avez interrogé sur le rôle des OPJ et la désaffection pour ces postes, qui serait liée aux lourdeurs des différentes procédures auxquelles les policiers doivent faire face. Certains d'entre vous étaient à l'instant à l'Élysée. Ils ont entendu le discours du Président de la République aux forces de sécurité intérieure. Indépendamment des réformes concernant ces forces, qui ne font pas partie de mon domaine de compétences, le Président de la République a été très clair : je dois conduire la réforme de la procédure pénale en lien extrêmement étroit avec mon collègue Gérard Collomb.
De nombreuses réunions ont eu lieu entre nos différents services. Hier, j'ai directement travaillé avec M. Gérard Collomb sur les questions très ouvertes qui vont être transmises aux magistrats et, bien entendu, aux personnels de police et de gendarmerie, sur la première phase de la procédure pénale, autour de l'enquête. Nous étudierons ensuite ensemble les remontées du terrain et c'est évidemment ensemble que nous verrons de quelle manière nous pouvons simplifier ce premier temps de la procédure pénale.
Nos relations avec le ministre de l'intérieur sont empreintes à la fois de confiance, de volonté de travailler ensemble de manière extrêmement fluide, et de la certitude que chacun est porteur des singularités liées à son champ de compétences. Il n'y a ni confusion, ni hostilité. C'est, me semble-t-il, la manière dont on doit travailler. J'espère et je souhaite profondément que cela produira les effets attendus.
Monsieur Bernalicis, je vous rejoins concernant les moyens. Je n'ai jamais dit que nous n'avions pas besoin de moyens supplémentaires. D'ailleurs, le Gouvernement a fait de la justice une priorité. Il nous a donné ces moyens : mon budget augmentera de 4 %, pour atteindre près de 7 milliards d'euros en 2018. La somme est loin d'être négligeable, notamment en comparaison du gel budgétaire de cet été, qui portait uniquement, je vous le rappelle, sur 160 millions d'euros de crédits non engagés.
Le Gouvernement a également mis en place une nouvelle procédure budgétaire. Désormais, les crédits gelés le seront à moindre hauteur. Par ailleurs, j'espère qu'ils ne seront pas annulés. En tout état de cause, ce budget nous permettra, cette année et surtout les années suivantes, de déployer un programme ambitieux. Pour autant, je l'ai dit et le maintiens : cela ne doit en aucun cas nous empêcher de réfléchir à d'autres moyens de fonctionner.
Monsieur Paris, pourriez-vous me rappeler votre question ?
Je voulais juste savoir si vous aviez d'ores et déjà quelques pistes de simplification de la procédure pénale. Elle est aujourd'hui très lourde, notamment pour les forces de police.
Des pistes ont déjà été formulées, l'un d'entre vous les a rappelées. Ces hypothèses figurent dans un tableau qui sera envoyé dès demain à l'ensemble des juridictions afin de servir de base à leur réflexion, ce qui ne les empêchera pas de faire d'autres propositions. Il serait intéressant que je vous communique ce tableau.
Parmi les pistes envisagées, certaines concernent la phase d'enquête, comme la reconnaissance de la plainte en ligne ou les procès-verbaux de synthèse. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, avait déjà permis des avancées, mais nous pouvons certainement aller plus loin. La dématérialisation nous y aidera. L'extension et la simplification des procédures de transaction pénale figurent également parmi nos pistes de réflexion.
Monsieur Schellenberger, vous avez évoqué l'oralisation de la procédure. Elle fait également partie de cette liste. Vous avez soulevé la délicate question de la forfaitisation. Cette question est si délicate qu'une mission d'information a été créée par votre Commission. J'attends ses conclusions avec une grande impatience. La forfaitisation ou la verbalisation de certaines procédures ont beaucoup d'avantages, notamment ceux de la simplicité et de la rapidité, par rapport à des procédures classiques. Nous y travaillons pour les infractions relatives au permis de conduire, sans avoir complètement abouti. Nous l'envisageons également pour la consommation de stupéfiants. Mais nous devons nous assurer que cela ne sera pas trop discriminant pour ceux qui, parmi les personnes condamnées, ne pourraient pas répondre immédiatement à cette verbalisation et qui, par suite de non-réponse, se retrouveraient devant les tribunaux. Un autre risque de discrimination existe, entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas. Je serai très attentive à ce que me dira la mission d'information sur ces points. Mais il est évident que nous souhaitons avancer dans cette démarche.
Monsieur Tourret, vous avez évoqué la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. J'avoue que c'est un sujet technique sur lequel je n'ai pas d'éléments de réponses précis. J'espère que vous m'en excuserez. Mais je m'engage à vous répondre. La problématique des nullités fait partie, comme les éléments précédemment évoqués, de nos pistes de réflexion pour améliorer la procédure.
Monsieur Reda, vous soulignez la nécessité du renforcement du lien police-justice. Je pense vous avoir répondu en exposant dans quel état d'esprit nous travaillons avec le ministère de l'intérieur.
Je souhaite que nous puissions examiner toutes les idées qui remonteront du terrain, afin de les intégrer, autant que faire se peut, dans le projet de loi qui vous sera présenté au printemps. Mon objectif, je dirais même mon obsession, c'est bien le justiciable : il faut qu'il puisse avoir la certitude que la justice prend en compte ce qui lui a été transmis et qu'il obtienne une réponse dans des délais raisonnables.
Pour votre information, la mission d'information relative à l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants est co-rapportée par notre collègue Éric Poulliat, du groupe La République en Marche, et M. Robin Reda, ici présent, du groupe Les Républicains. Ils ont terminé leurs travaux, ont procédé à trente-deux auditions et à deux déplacements. Le sujet s'est avéré passionnant, et ils s'attellent désormais à la rédaction de leur rapport. Nous avons effectivement tous, comme vous, madame la garde des Sceaux, hâte de le découvrir.
La deuxième thématique de questions concernera la procédure civile, un autre de vos grands chantiers.
Madame la garde des Sceaux, vous annoncez qu'est à l'étude une éventuelle limitation des cas d'ouverture d'appel. Alors que certains contentieux mineurs s'étalent sur une dizaine d'années et vont jusqu'en Cour de cassation, ne faudrait-il pas également réétudier les conditions du pourvoi en cassation, pour permettre à la Cour de devenir une véritable cour suprême qui se consacrerait uniquement aux enjeux les plus importants ?
La justice civile fait face à un encombrement de plus en plus dramatique. À Paris, le délai moyen d'une procédure de divorce se situe entre un an et dix-huit mois. Même une action en référé au tribunal d'instance du XVIe arrondissement prend neuf ou dix mois. Il va donc assurément falloir recruter plus de magistrats et de greffiers. Sans doute la numérisation contribuera-t-elle aussi à réduire les délais de traitement des procédures civiles. Mais tous les rapports l'ont démontré : il faut absolument prendre des mesures fortes pour responsabiliser financièrement les parties à un procès et éviter ainsi les recours abusifs qui encombrent nos tribunaux. Envisagez-vous de rétablir le droit de timbre, supprimé sous la précédente législature alors qu'il avait fait la preuve de son efficacité ? Envisagez-vous d'aller plus loin encore ? Il existe en Allemagne et en Suisse des systèmes de consignation, mesures qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Madame la garde des Sceaux, je souhaiterais vous interpeller concernant l'un des aspects de la simplification et de l'amélioration de la procédure pénale que vous nous avez présentés : les contentieux du quotidien. Le respect des droits de la défense est un principe fondamental de notre droit, et toute personne a droit à l'assistance d'un conseil. L'accélération de la procédure ne doit pas se faire au détriment de ce droit. Nous ne souhaitons pas que cela conduise à écarter les professionnels de la justice de certains litiges, au détriment des justiciables les plus fragiles.
Plus généralement, vous disiez dans votre intervention liminaire qu'en matière de justice, il ne devait pas être question d'idéologie. Nous vous rejoignons sur ce point, mais l'examen du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme nous a montré qu'une philosophie politique générale devait présider à nos débats. La question de la justice est elle aussi une question de philosophie politique. Il nous semble important que des débats de cet ordre puissent avoir lieu au sein de notre Commission et de notre Assemblée.
Madame la garde des Sceaux, vous avez parlé tout à l'heure d'archaïsme. Parmi les chantiers que vous allez ouvrir dans le domaine de la procédure civile, comptez-vous clarifier la distinction entre procédure écrite et procédure orale ? Aujourd'hui, une pratique répandue dans les juridictions consiste pour les magistrats à tenir des semblants d'audience, auxquels se présentent des avocats qui se limitent à déposer un dossier et parfois à formuler deux ou trois observations plus ou moins utiles, parce qu'il s'agit de procédures écrites et que toutes les pièces et conclusions doivent être transmises à la juridiction par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA). Il faudrait mettre un terme à cet archaïsme consistant à aller en robe dans un palais de justice, parfois situé à deux heures de route, pour simplement y déposer un dossier.
Il avait été prévu, dans une loi votée sous le précédent quinquennat, d'aller un peu plus loin dans la réforme de la procédure civile et de supprimer la postulation. Cette étape n'a finalement été franchie qu'à moitié. On est resté au milieu du gué : la postulation n'est pas supprimée mais renvoyée aux cours d'appel. Sachant qu'il y a des difficultés administratives, puisque l'enregistrement se fait sous forme de boîte aux lettres pour beaucoup d'avocats et que la procédure coûte assez cher au client, serait-il envisageable de reprendre plusieurs des chantiers qui avaient été ceux de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ? Ces chantiers concernaient la postulation, mais aussi la question de l'avocat d'entreprise et celle des sociétés multiprofessionnelles. Seront-elles à nouveau soulevées dans le cadre des réformes que vous allez conduire ?
L'appel allonge beaucoup les délais de la procédure civile. Envisagez-vous de limiter le recours devant la cour d'appel à la production de moyens nouveaux ?
Les justiciables attendent une justice plus efficace, plus lisible et surtout plus rapide. Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges est une perspective intéressante. En effet, dans certains cas, la conciliation et la médiation peuvent s'avérer des solutions efficaces et plus judicieuses, notamment lorsque le conflit comporte une dimension relationnelle ou qu'il s'agit seulement d'apprécier des faits. Quelle place comptez-vous accorder à ce mode de règlement des litiges dans le cadre de la réforme de la procédure civile ?
Un autre aspect à améliorer concerne les délais d'exécution des décisions de justice. Il arrive que des décisions soient exécutées bien des mois, voire des années plus tard. Quelles sont les perspectives en ce domaine ?
La réforme du divorce par consentement mutuel, adoptée il y a environ deux ans, a entraîné de nombreuses difficultés. Elle a été présentée comme une forme de libéralisation des coûts, mais les couples ont découvert a posteriori qu'ils avaient obligation de prendre deux avocats, ce qui a renchéri les frais de procédure. Surtout, on constate que de plus en plus d'avocats voient leur responsabilité mise en cause par les ex-époux qui s'estiment lésés. Est-il prévu d'évaluer la réforme du divorce par consentement mutuel ?
Je suis d'accord avec M. Sacha Houlié : la postulation soulève une question de procédure qu'il faut se poser. Je le suis un peu moins concernant l'avocat en entreprise, question qui nous emmènerait très loin. Nous savions que le divorce par consentement mutuel allait coûter plus cher, mais notre objectif était de recentrer les missions du juge sur son coeur de métier. Nous étions partis de l'idée que, dès lors qu'il n'y a pas de litige, il n'y a pas besoin de juge. Envisagez-vous encore de nouvelles voies possibles pour bien recentrer les missions du juge sur son coeur de métier et laisser à ce magistrat le temps d'apprécier au fond et de juger ?
Nous avons eu, au cours du dernier quinquennat, un débat sur le rôle et la place de la Cour de cassation. Un projet a été présenté par le président Jean-Jacques Urvoas qui, pour la seule fois de toute la législature, a été battu par l'ensemble de la Commission. Pour résumer la question, faut-il maintenir telle quelle la Cour de cassation, qui rend plusieurs dizaines de milliers d'arrêts par an, ou s'oriente-t-on vers une cour suprême qui ne traiterait qu'une douzaine de cas par an mettant en jeu de grands principes, les décisions des cours d'appel devenant alors inattaquables – ce qui changerait totalement le système ? À l'époque, la commission des Lois n'avait pas souhaité s'orienter dans cette direction, essentiellement parce qu'elle avait été saisie en vingt-quatre heures de cette proposition, soutenue par le premier président de la Cour de cassation.
Une importante réforme de la procédure civile vient déjà d'être menée. On peut donc légitimement se demander comment aller plus loin dans ces conditions. Envisagez-vous d'élargir le champ de la médiation et de la conciliation, la place du juge et des parties devant sans aucun doute évoluer ? D'autre part, envisagez-vous une réelle revalorisation de la première instance pour que la procédure soit plus rapide, plus lisible et plus claire pour des usagers souvent démunis ?
Estimant que la justice ne relevait pas de l'idéologie, vous avez exprimé la volonté de co-construire le plus largement possible les décisions qui vont être prises. Mais l'expérience que nous avons vécue lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique ne me pousse pas à l'optimisme quant à votre volonté de collaborer avec le Parlement. Pourriez-vous réaffirmer cette volonté devant l'ensemble des groupes politiques présents dans cette Commission et à l'Assemblée nationale ?
D'autre part, que placez-vous au coeur de la réforme de la justice que vous souhaitez ? Vous avez parlé tout à l'heure des justiciables : c'est certainement la piste qu'il nous faut suivre. Mais je ne suis pas convaincu que l'on puisse réformer la justice sans parti pris idéologique. Depuis quelques années, on nous a plutôt habitués, de part et d'autre de l'échiquier politique, à des approches différentes de cette réforme.
Enfin, la responsabilité des magistrats n'est pas un sujet anodin. Au cours des années passées, la défiance de nos concitoyens à l'égard de la justice s'est exprimée tant à l'encontre des peines dispensées et de la difficulté à les rendre qu'à celle de cette responsabilité. Comment les magistrats assument-ils les décisions qu'ils rendent ? Comment la République peut-elle leur demander des comptes ?
Le chantier de la procédure civile sera conduit par M. Nicolas Molfessis, professeur des universités, et Mme Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance de Melun.
Je ferai d'abord une réponse d'ensemble à plusieurs d'entre vous. Une importante réforme de l'appel vient d'entrer en vigueur au 1er septembre 2017. Cette réforme est issue de la réflexion sur la justice du XXIe siècle et comporte plusieurs dispositions de simplification et de modernisation, destinées à alléger la charge des greffes et à maîtriser le cours de l'instance. En dépit – ou du fait – de cette réforme, le paysage de la procédure civile en première instance est extrêmement divers. Même si cette procédure obéit à des principes communs – comme le principe constitutionnel du contradictoire –, elle différera selon qu'on se trouve devant les juridictions commerciales, sociales ou civiles, aussi bien au stade de l'introduction de l'instance que dans la procédure suivie. Ces multiples disparités nuisent à la lisibilité du droit et à la compréhension de notre institution. C'est pourquoi nous engageons aujourd'hui une nouvelle réflexion. C'est d'autant plus indispensable qu'on ne peut pas ne pas avoir en ligne de mire la question de la prévisibilité et de l'open data des décisions de justice – que l'on peut craindre, critiquer ou refuser mais qui viendra très rapidement bouleverser la manière dont est rendue la justice.
Mme Degois et M. Tourret m'ont interrogée concernant le pourvoi en cassation. Je ne compte pas rouvrir ce chantier maintenant. Le faire nous entraînerait dans de nombreux débats et risquerait de paralyser notre réflexion sur la première instance et, à la marge, sur celle de l'ouverture de l'appel. Les questions du filtrage des pourvois en cassation et du positionnement de la Cour de cassation sont légitimes : je ne les éluderai pas, mais je ne les traiterai pas cette année car je souhaite que les chantiers que j'ai ouverts aboutissent.
Monsieur Gauvain, vous avez évoqué la longueur des délais de procédure et les recours abusifs, proposé l'institution d'un droit de timbre et soulevé la question de la conciliation. L'objet du chantier de simplification de la procédure civile est bien entendu d'améliorer les délais de traitement des dossiers. Pour ce faire, nous souhaitons engager une réflexion sur la déjudiciarisation de certains dossiers. Lorsque je me suis rendue à Nantes avec le Premier ministre et que des magistrats ont évoqué l'extrême longueur des délais, en particulier devant les juges aux affaires familiales, la question de la déjudiciarisation a été posée, notamment dans le domaine des tutelles où le juge intervient sans que cela soit nécessaire à tous les stades de la procédure. Il y a des dossiers qui, comme cela a été fait pour le divorce par consentement mutuel, peuvent être déjudiciarisés. Je ne souhaite pas réintroduire un droit de timbre : j'en connais les avantages ; j'en mesure également les inconvénients et le sens politique. Je suis d'accord avec vous, monsieur Pradié, les décisions que nous prenons ont parfois un sens politique. En revanche, je souhaite réfléchir à la conciliation et aux procédures de médiation. Nous verrons s'il faut parfois rendre obligatoires ces procédures pour diminuer le nombre de recours contentieux.
Vous avez raison, madame Obono : quand on réfléchit à ce qu'est la justice, on ne peut faire abstraction de la politique. Le travail que je souhaite conduire sera très concret mais n'outrepassera pas les règles constitutionnelles que nous devons impérativement respecter. Je veillerai bien évidemment à ce que la simplification de la procédure pénale ne remette pas en cause les garanties procédurales dont bénéficient les justiciables.
Vous avez évoqué le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Ce n'est pas le sujet aujourd'hui, mais je connais la teneur des débats sur ce texte. Je sais très bien qu'en traitant non pas des infractions mais des comportements susceptibles d'induire des infractions qui n'ont pas encore été commises, on développe une nouvelle manière d'appréhender ces infractions. Je mesure l'intérêt du débat théorique sur ce sujet, mais je me situe, moi, dans une approche plus pragmatique, considérant que la sécurité est un élément important de la justice. De plus, des contrôles seront effectués à plusieurs niveaux. La loi que vous avez adoptée soumet notamment les mesures d'assignation à résidence et de perquisition à des critères et à des conditions précises. Ces mesures font aussi l'objet d'un contrôle préalable du juge judiciaire dans certains cas et d'un contrôle a posteriori du juge administratif dans tous les cas. Le texte prévoit également que dans deux ans, le Parlement pourra de nouveau intervenir à ce sujet. Dans ces conditions, il me semble que ce texte pouvait être adopté à une large majorité.
Monsieur Mazars, vous avez souligné l'archaïsme de nos règles procédurales que vous m'incitez à simplifier. C'est précisément l'objet du travail que nous allons conduire. Nous envisageons deux grands types de procédures : une procédure avec avocat et une autre, sans. M. Molfessis m'a demandé s'il ne fallait pas aussi réfléchir à une procédure numérique. Je ne sais pas encore s'il y aura une distinction à établir, mais la question est ouverte.
M. Houlié a abordé un sujet brûlant sur lequel je ne me prononcerai pas. J'aurai suffisamment d'autres problèmes à traiter. La postulation est une question très sensible. Elle a été bouleversée par la loi Macron. Je ne souhaite pas changer la règle à ce stade, estimant que la profession d'avocat va devoir évoluer en profondeur. Je mesure les craintes et le besoin d'accompagnement des avocats mais cette profession ne fera pas l'économie d'une telle évolution face au numérique, à la simplification des procédures et à la numérisation du ministère de la justice.
Madame Vichnievsky, vous avez évoqué la possibilité de limiter le recours aux moyens nouveaux. Comme je le disais en préambule, on vient juste de modifier les règles de l'appel. Je ne souhaite donc pas faire évoluer le droit en ce domaine cette année, même si je partage à titre personnel vos préoccupations. Je pense que ces dernières pourraient faire partie de notre réflexion plus globale sur les pourvois en cassation.
Madame Louis, je suis tout à fait favorable au développement des modes alternatifs de règlement des litiges et à une réflexion sur les délais d'exécution des décisions de justice.
Vous avez évoqué le divorce par consentement mutuel, monsieur Questel, mais je ne suis pas sûre d'avoir compris votre question.
Ce texte a déjà fait assez considérablement diminuer la présence devant les tribunaux, puisqu'on constate une baisse de 35 % des procédures en cinq mois à Paris, mais nous ferons sans doute une évaluation plus globale. Je sais à quel point il peut être compliqué de prendre deux avocats.
Oui. Cela étant, j'étais membre du Conseil constitutionnel quand a été vérifiée la conformité de cette loi à la Constitution. Nous avons considéré que c'était aussi un moyen de protéger les parties. C'est un peu la question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Je crois que la présence des deux avocats – si je me souviens bien de nos débats que je ne devrais d'ailleurs pas vous livrer (Sourires) – a été un élément déterminant nous conduisant à considérer que les garanties pour les parties étaient préservées.
Mme Untermaier a évoqué la nécessité de replacer le juge au coeur de son métier.
Oui, en réaction au doute que l'on pouvait avoir sur l'action que nous avions déjà engagée.
Nous y veillerons, évidemment, et les procédures de conciliation et de déjudiciarisation s'inscrivent dans cet objectif. Je me suis rendue récemment au tribunal d'instance de Boulogne-Billancourt, où je me suis longuement entretenue avec des juges des tutelles qui m'ont dit être littéralement écrasés par des procédures intermédiaires sans aucun intérêt, les plaçant dans une situation où elles se trouvaient dans l'incapacité de répondre à ce qui constitue leur coeur de métier. Nous nous efforcerons de remédier aux situations de ce type.
Je crois vous avoir répondu, monsieur Paris, sur la nécessité d'aller plus loin sur le champ de la conciliation et de la médiation, ainsi que sur la revalorisation de la première instance, qui constitue l'un des points importants sur lesquels nous allons travailler.
Je vous trouve un peu sévère et pas forcément juste, monsieur Pradié, quand, évoquant le récent examen des lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, vous dites avoir des doutes sur la réalité de mon intention de collaborer avec les parlementaires. Lors du débat sur ces projets de loi, nous avons écouté avec une grande attention les arguments exposés par les différents groupes politiques, et nous avons même répondu favorablement à plusieurs amendements venant de ces groupes, lorsque ceux-ci manifestaient eux-mêmes une sincère volonté de collaborer.
Quoi qu'il en soit, je suis disposée à revenir devant vous quand vous le souhaiterez durant le temps des consultations et à leur issue. L'un des dossiers, celui de l'adaptation, donnera lieu à une consultation des parlementaires, expressément prévue par les deux chefs de file. Enfin, madame la présidente, nous aurons à examiner l'ensemble de vos propositions, et je me tiens à votre entière disposition dans ce cadre.
Pour ce qui est de la question portant sur la responsabilité des magistrats, elle aura également vocation à être évoquée dans le cadre de la future réforme constitutionnelle.
Puisque vous dites être ouverte à la coopération avec les parlementaires, madame la ministre, j'ai une proposition à vous faire. Seriez-vous d'accord pour qu'il y ait un député ou un sénateur parmi les référents de chacun des chantiers, ce qui permettrait d'apporter le point de vue d'un parlementaire ?
Votre suggestion retient toute mon attention, et j'évoquerai ce point avec Mme la présidente. Il me semble que la présence d'un parlementaire pourrait être extrêmement pertinente à l'issue de la phase de consultation, lors de l'étude de la remontée des informations recueillies – car les référents n'effectueront pas eux-mêmes la consultation : cette tâche reviendra aux acteurs de terrain.
Lorsqu'on évoque les questions portant sur la réforme de la justice, les notions de proximité et d'accessibilité immédiate de la justice pour le justiciable paraissent essentielles, et nos concitoyens sont d'ailleurs très vigilants sur ce point.
Derrière les termes que vous employez pour décrire les axes de votre réforme, Madame la garde des Sceaux, se cache très probablement une modification de la carte judiciaire, ce qui constitue un sujet d'inquiétude. Êtes-vous en mesure de nous rassurer sur ce point ? Au cours de ces dernières années, nous avons connu plusieurs réformes, parfois suivies de retours en arrière. Sans vouloir évoquer des sujets liés à des situations locales, je m'interroge sur le devenir des chambres détachées des tribunaux de grande instance, mises en place dans le cadre d'une réforme qui avait provoqué un véritable séisme, notamment dans le département de l'Aveyron, mais aussi sur les juridictions prud'homales, auxquelles nous tenons beaucoup. Pouvez-vous nous préciser si elles font partie des éléments que vous avez l'intention de modifier ?
Au sujet de la redistribution des cours, nous sommes tous conscients de la nécessité de faire évoluer la spécialisation des différentes juridictions, qui existe déjà – je pense notamment à la cour d'appel de Rennes, spécialisée dans la question de la propriété intellectuelle.
Cela dit, je garde le souvenir d'une triste réforme intervenue en 2007 : la garde des Sceaux de l'époque, Mme Rachida Dati, nous avait alors mis devant le fait accompli, en l'occurrence la suppression de nombreux tribunaux d'instance – ce qui m'avait valu de m'entendre dire un jour par l'un de nos concitoyens qu'il n'y avait plus de justice, puisqu'il n'y avait plus de tribunaux. Vous comprendrez que cette expérience m'incite aujourd'hui à une certaine prudence quant à la façon dont la réforme sera menée. Si je me félicite que vous ayez confié une mission de réflexion à deux anciens présidents de la commission des Lois, qui nous seront précieux dans la conduite de nos travaux, je m'interroge cependant sur les orientations qui pourront être prises. Il y a, en gros, deux types de contentieux : ceux touchant au domaine des affaires et ceux relatifs aux personnes. Si l'on peut concevoir que les premiers fassent l'objet d'une localisation prédéterminée, les seconds me semblent devoir bénéficier d'un principe de proximité plus adapté à la justice des personnes, d'autant que certains litiges nécessitent la présence de la personne concernée aux côtés de son avocat. À mon sens, toute carte d'une nouvelle organisation judiciaire doit intégrer cette double dimension de proximité et de lisibilité par nos concitoyens.
Madame la ministre, puisque vous avez travaillé sur la carte des cours d'appel, je me permets d'appeler votre attention sur la cour d'appel de Colmar. L'implantation de cette juridiction, qui remonte à la fin du Moyen Âge, a été confirmée par Louis XIV lors du rattachement de l'Alsace à la France, puis reconfirmée par Napoléon, en dépit de la pression exercée par les Strasbourgeois. Enfin, les Prussiens ont à leur tour confirmé cette juridiction en construisant un magnifique bâtiment néogothique en 1909.
Aujourd'hui, nous savons que la cour d'appel de Colmar est menacée, qu'elle risque de disparaître purement et simplement, et qu'elle est également convoitée par nos voisins strasbourgeois. Madame la ministre, j'espère que vous aurez à coeur de vous inscrire dans l'histoire singulière de notre région, l'Alsace, qui a été durement malmenée lors du dernier quinquennat, en faisant en sorte d'assurer la pérennité de notre cour spécialisée en droit local : en d'autres termes, je compte sur vous pour ne pas faire ce que même les Allemands n'ont pas osé faire !
Comme vous le savez, madame la ministre, la question de l'adaptation de l'organisation judiciaire soulève beaucoup d'inquiétudes, mais nous prenons acte de votre engagement à ce qu'aucune juridiction ne soit fermée.
J'ai bien compris la démarche faite de concertation et de collaboration à laquelle vous vous référez, mais j'aimerais savoir si la nouvelle carte régionale entrera dans le cadre de cette démarche.
Par ailleurs, parmi les cinq principes que vous avez évoqués, pourriez-vous nous donner un peu plus de détails au sujet de la spécialisation des compétences matérielles des juridictions ?
Rejoignant les inquiétudes exprimées par certains de mes collègues au sujet du devenir des juridictions présentes sur nos territoires, je me souviens que, lors d'une séance de questions au Gouvernement, vous aviez indiqué qu'aucun lieu de justice ne ferait l'objet d'une fermeture. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par l'expression « lieu de justice », et s'il faut l'entendre comme un synonyme de « juridiction » ?
Le département du Tarn comprend deux tribunaux de grande instance – à Albi et Castres –, qui fonctionnent très bien, et le fait de supprimer l'un des deux au profit de l'autre n'aurait aucun sens, car aucune des deux juridictions n'est en mesure d'absorber l'autre. Quel est votre avis sur ce point ?
Comme M. Arnaud Viala, je suis élu de l'Aveyron, où la question de l'organisation judiciaire sur le territoire constitue un sujet brûlant, notamment en raison du fait que notre département fait partie de ceux ayant été les plus touchés par la réforme de la carte judiciaire, avec la suppression d'un tribunal de grande instance, qu'avait précédée la suppression de deux tribunaux d'instance, de conseils de prud'hommes et de tribunaux de commerce. Il s'y ajoute la création des pôles d'instruction, qui fait que pour les affaires criminelles, les justiciables doivent désormais parcourir un trajet de plus de deux heures en voiture pour se rendre devant le magistrat instructeur lorsqu'ils sont prévenus, accusés, mis en examen ou victimes dans une affaire criminelle.
Nous sommes donc très inquiets de la nouvelle réorganisation judiciaire et, si vous avez affirmé lors des questions au Gouvernement qu'aucun lieu de justice ne serait fermé, je m'interroge également sur le sens de cette expression. Un travail fait au Sénat à la suite de la réforme de la carte judiciaire mise en oeuvre par la garde des Sceaux Rachida Dati durant le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy avait mis en évidence le fait que cette réforme avait abouti à la création de véritables déserts judiciaires. Afin de remédier à cette situation, une mission avait été confiée par Mme Christiane Taubira au conseiller d'État Serge Daël, et c'est sur la base de son excellent travail qu'il avait été procédé à un remaillage judiciaire du territoire, dont avait bénéficié l'Aveyron – on avait ainsi créé une chambre détachée dans le sud du département, à l'emplacement de l'ancien tribunal de grande instance.
Pouvez-vous nous rassurer sur les effets de la réorganisation judiciaire, et nous préciser si une réflexion a été engagée au sujet des pôles de l'instruction ? Ce dernier point pourrait, à mon sens, faire l'objet d'une mission d'évaluation, car nous avons tous en tête des dossiers que nous savons avoir été mal gérés en raison de l'éloignement créé entre le lieu de l'instruction et celui où résident les justiciables concernés, notamment les victimes.
L'un des enjeux importants d'une réforme judiciaire est celui de l'accès au droit, notamment par la mise en place des points d'accès au droit et des maisons de la justice et du droit. Nous savons que ces lieux permettent aux justiciables de disposer d'un service plus proche où se trouvent présents à la fois des magistrats, des avocats, des notaires et des huissiers. Est-il envisagé de créer de nouvelles maisons de la justice durant les cinq années à venir et, plus largement, quelle est la politique de déploiement de ces lieux ?
Le projet très ambitieux que vous portez m'inspire deux questions, madame la garde des Sceaux.
Pour ce qui est de la recherche de l'amélioration du fonctionnement quotidien de la justice, on évoque systématiquement un rapprochement de la justice et du justiciable. La réorganisation des juridictions au sens large doit-elle comprendre, selon vous, celle des juridictions administratives, dont on sait qu'elles sont très éloignées, très décharnées et même désincarnées, puisqu'elles n'existent plus localement ? Envisagez-vous de faire en sorte de rapprocher ces juridictions des administrés ?
Par ailleurs, dans la mesure où votre programme de réformes constitutionnelles et institutionnelles devrait comprendre l'examen à la fois de lois organiques et de lois constitutionnelles, avez-vous déjà défini un calendrier, ou du moins un ordre de priorité pour la mise en oeuvre de ces réformes ?
J'ai deux questions à vous poser, madame la ministre, qui vont malheureusement sortir un peu du cadre de l'organisation judiciaire car, en raison de leur caractère transversal, elles concernent aussi certains des autres thèmes de votre présentation – ce qui était sans doute inévitable compte tenu du choix qui a été fait de segmenter cette présentation en quatre parties.
Le fait que la compétence des OPJ dépende du ressort des cours d'appel crée un effet de frontière administrative qui est régulièrement à l'origine de problèmes dans le déroulement des enquêtes. Qu'envisagez-vous pour y remédier, étant précisé que le ressort de la cour d'appel en matière d'accès au droit ne doit pas être vu comme un obstacle à cet accès ? Je considère pour ma part que maintenir une justice de proximité – même pour l'appel – est l'un des moyens de préserver l'accès au droit pour les justiciables.
Par ailleurs, je dois vous dire que nous sommes un peu circonspects quant à la transformation numérique, qui ne saurait compenser intégralement le recul de la justice de proximité. Si vous la concevez comme un moyen d'apporter de la valeur ajoutée en matière de compréhension de la procédure et d'accès aux pièces du dossier, vous pourrez compter sur notre soutien. En revanche, si elle n'est mise en oeuvre que dans le but de faire disparaître les lieux de justice des territoires, notamment du ressort des cours d'appel, nous ne sommes pas d'accord, car nous savons bien comment cela va se terminer : après avoir créé une maison de service public et posé un ordinateur dans un coin, on considérera que le besoin des habitants de disposer d'un service public de proximité est satisfait – or, la justice ne saurait évidemment se résumer à cela.
Je perçois dans vos différentes interventions que nombre d'entre vous ont à coeur de relayer les inquiétudes ressenties au sein des territoires, ce que je peux entendre. Au-delà, les interrogations portant sur le thème de l'accès au droit qui ont également été exprimées me paraissent tout à fait essentielles. Comme je vous l'ai dit, le dossier de l'adaptation du réseau des juridictions a été confié à MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, qui vont travailler en étroite concertation avec les avocats, les magistrats et les élus locaux et nationaux.
M. Arnaud Viala a employé les mots « vigilance », « carte » et « inquiétude », trois mots qui ne me paraissent pas convenir à la situation. Je le dis très clairement, il ne s'agit pas pour moi de prendre une carte et de décider, d'un trait de crayon, de garder, de supprimer ou de déplacer telle ou telle juridiction : ce n'est pas du tout mon objectif ni ma façon de procéder. Je sais que la publication, dans je ne sais quel journal, d'une carte datant de 2015 avait suscité un grand émoi, totalement injustifié : l'administration fait des propositions, mais la responsabilité de les accepter ou non appartient toujours à l'autorité politique. Je ne vous mens pas en vous disant que je n'ai aucune carte, et que ce n'est pas de cette façon que j'entends mener à bien ce chantier.
Si la vigilance exercée par les élus locaux me paraît naturelle et légitime, je trouve un peu excessif de parler d'inquiétude. Certes, tout ce qui est susceptible d'évolution peut être source d'inquiétude, du fait de l'incertitude quant à la nouvelle situation vers laquelle on se dirige, mais il faut aussi faire preuve de rationalité. Face à une matière juridique qui ne cesse de se complexifier – je pense notamment au droit des affaires –, il est bien normal de réfléchir à une adaptation de notre organisation : c'est tout le sens des projets visant à la simplification des procédures et à la numérisation, qui doit faciliter l'accès des justiciables aux procédures les concernant, et rendre plus efficace le travail des magistrats.
Ce que j'attends de la commission de concertation, c'est de réfléchir à des principes. Le premier de ces principes est celui de l'organisation, qui doit en l'occurrence répondre à une exigence de proximité parce qu'on ne peut pas rendre la justice du quotidien, celle des affaires familiales, du surendettement ou des tutelles, sans proximité.
Le deuxième principe est celui de la spécialisation, car cela n'aurait pas de sens de mettre une juridiction des brevets, comme celle de la cour d'appel de Rennes, dans chaque tribunal d'instance ; de même, on ne peut avoir dans tous les tribunaux des magistrats spécialisés dans les litiges liés à la construction, et je pourrais multiplier les exemples.
Le troisième principe sur lequel une réflexion doit être engagée est celui de la collégialité : quand, dans un petit tribunal composé de trois à cinq juges, deux d'entre eux viennent à tomber malades ou doivent s'absenter pour une raison ou pour une autre, le fonctionnement de ce tribunal se trouve immédiatement perturbé. Certes, on pourrait affecter plus de juges à chaque tribunal, mais le nombre d'affaires à traiter ne le justifie pas forcément : dans ce cas, au lieu d'envisager de fermer un tribunal à l'activité restreinte, je préfère que l'on se demande comment le faire vivre, ce qui peut passer par une spécialisation du lieu, en en faisant un lieu de médiation, ou d'autres manières.
En réponse à tous ceux qui m'ont interrogé sur ce point, je veux dire très clairement que pour moi un lieu de justice, c'est quatre murs surmontés d'un toit avec le mot « tribunal » sur la façade !
Je comprends l'inquiétude exprimée au sujet du devenir des cours d'appel de l'est, suscitée notamment par le fait que la nouvelle région Grand Est comprend quatre cours d'appel – Reims, Nancy, Metz et Colmar. Cela dit, les juridictions de la région ont des singularités qu'il conviendra de faire valoir, je pense notamment à la spécialisation en droit local.
J'insiste sur le fait que ma méthode consiste à réfléchir à un certain nombre de principes d'organisation et à voir de quelle manière ils peuvent trouver une traduction concrète sur le territoire, qui se fasse de manière intelligente et en recourant à toutes les évolutions que j'ai évoquées précédemment. Je m'engage à ce que le maillage actuel soit conservé, et à ce qu'il n'y ait pas de désert judiciaire.
Je signale à mes amis de l'Aveyron, du Tarn, de l'est, de l'ouest, du sud et du nord, que je me tiens à leur disposition pour les recevoir au ministère s'ils souhaitent évoquer avec moi la situation particulière de leur territoire. Un député m'a dit tout à l'heure que le fait de supprimer des juridictions pouvait éventuellement se comprendre, et que l'on me jugerait surtout sur ma capacité à ouvrir de nouveaux lieux de justice. Si je me suis engagée à ce qu'il n'y ait aucune fermeture, rien ne s'oppose en principe à ce que l'on puisse envisager d'ouvrir des lieux de justice en certains points du territoire. Je pense notamment aux maisons du droit : s'il n'a pas été prévu d'ouvrir de telles structures en 2018, il n'est pas exclu de le faire par la suite.
J'aimerais vraiment vous convaincre que mon intention n'est pas de prendre une carte et de rayer, mais bien de réfléchir à quelque chose de pertinent pour les justiciables, donc pour les magistrats également. L'un d'entre vous m'a interrogée au sujet de la cohérence entre la carte de notre organisation judiciaire et la carte administrative, ce qui, à mon sens, soulève deux questions. Premièrement, faut-il une cohérence des cartes ? Deuxièmement, faut-il organiser les choses de manière à ce qu'il n'y ait qu'un seul tribunal ou une seule cour d'appel pour un territoire donné ?
Pour ce qui est de la première question, je m'interroge, et je prendrai connaissance avec un grand intérêt de ce que dira la commission de concertation à ce sujet, mais il me semble important qu'il y ait une cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative, parce qu'il y a dans l'action de l'État une cohérence des politiques publiques. J'ai toujours trouvé étonnant que le préfet d'un département doive téléphoner au procureur de la cour d'appel voisine, mais aussi à celui d'un autre département, pour des raisons relevant du ressort juridictionnel : à mes yeux, cela complique inutilement l'action publique.
Quand bien même cette cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative serait établie, cela ne signifie pas pour autant que chaque région devrait comprendre une seule cour d'appel ou un seul tribunal : la répartition des lieux de justice doit, comme je l'ai dit, s'effectuer intelligemment et en prenant en compte différents principes d'organisation, de spécialité, etc.
Pour conclure, je vous assure à nouveau qu'il n'a été établi aucune carte. Cela dit, je considère que le statu quo n'est pas une bonne solution, et que nous devons réfléchir afin de déterminer comment organiser les choses de manière optimale, sans procéder à la fermeture d'aucun tribunal, d'aucune cour d'appel.
J'aimerais vous rappeler une question que je vous ai posée par écrit, madame la garde des Sceaux. La cour d'appel de Dijon est compétente pour l'ensemble du département de la Haute-Marne, ce qui crée des incohérences. Le fait de se rapprocher de la carte des grandes régions sans forcément procéder à des fermetures, mais en privilégiant la cohérence de l'action publique de l'État, constituerait un progrès, notamment en termes de lisibilité pour nos concitoyens : pour un habitant de la Haute-Marne, il n'est pas évident d'admettre que, pour ce qui est de la justice, il doit se rendre à Dijon, où il ne met habituellement jamais les pieds.
Toutes ces questions, qu'il est légitime de se poser au regard de la spécificité des territoires, auront vocation à être évoquées dans le cadre du groupe de travail confié à MM. Dominique Raimbourg et Philippe Houillon.
Je suggère que nous passions dès maintenant au quatrième thème retenu pour cette audition, relatif à la question pénitentiaire, et au sens et à l'exécution de la peine.
Madame la garde des Sceaux, la question pénitentiaire aurait mérité à elle seule que l'on y consacre un véritable chantier.
Je sais que, le 4 octobre, lors de la « nuit du droit » au Conseil constitutionnel, vous avez croisé M. Robert Badinter qui vous a conseillé de faire attention aux prisons car, en la matière, il y a urgence.
Le 13 septembre dernier, lors de l'examen par notre Commission du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, j'ai demandé au ministre de l'intérieur de prendre les mesures législatives nécessaires pour mettre en place une politique globale de gestion des détenus radicalisés. Environ 2 000 d'entre eux se trouvent avec des détenus « classiques » et 500 autres sont mis en cause dans des faits liés au terrorisme sans être nécessairement placés à l'isolement. Parce que l'isolement relève aujourd'hui d'une décision administrative prise, au cas par cas, par les directeurs d'établissement, on trouve des situations diverses sur le territoire national : selon les endroits, les détenus radicalisés sont parfois séparés des autres, parfois mélangés.
Le premier, le meneur était lié à un terroriste de Daech en Syrie, avec lequel il communiquait. Le second était un prisonnier de droit commun, embrigadé au contact du premier. Pourtant, il y a deux ans, des clefs USB comportant des vidéos faisant l'apologie du terrorisme avaient déjà été saisies sur le meneur.
Le malaise est grandissant face au développement du prosélytisme religieux au sein des établissements pénitentiaires. Mme Taubira a démantelé le renseignement pénitentiaire avant que son successeur à la chancellerie, M. Urvoas, ne commence à le relancer, mais vous savez mieux que moi que le matériel qui permet de sonoriser les cellules « sensibles » n'est toujours pas livré à ce jour. Entendez-vous enfin définir une véritable politique pénitentiaire, en particulier pour ce qui concerne la gestion des détenus radicalisés ?
Pour conclure, je tiens à vous faire part d'une information que je communiquerai également au ministre de l'intérieur. Actuellement, à Marseille, sur le parvis de la gare Saint-Charles, des maraudes ont lieu les vendredis, samedis et dimanches, qui rassemblent des centaines de migrants et de clandestins. De la nourriture est distribuée par des collectifs qui ne sont pas des associations, qui comptent des salafistes dans leurs rangs, et qui en profitent pour faire du prosélytisme. Il n'est pas admissible que cela se poursuive !
Je remercie la ministre de prendre le temps de dialoguer avec nous en amont sur des textes qui nous serons soumis l'année prochaine.
La surpopulation carcérale est un véritable problème, en particulier dans les maisons d'arrêt. On aurait pu penser que les juges seraient davantage friands des mesures alternatives à la détention comme l'assignation à résidence sous surveillance électronique, c'est-à-dire le port du bracelet électronique. Avez-vous identifié les forces et les faiblesses de ce dispositif afin que nous comprenions la frilosité éprouvée à son égard ?
J'ai rencontré des associations de visiteurs de prisons qui m'indiquent que 50 % des détenus refuseraient l'aménagement de leur peine parce qu'elle est proposée trop tardivement par rapport à la date de leur libération. Réfléchissez-vous aux moyens d'améliorer l'application de ce dispositif ?
Récemment, au tribunal de grande instance de Nanterre, vous avez pu discuter avec les magistrats sur les conditions d'exécution des peines. En revanche, vous n'êtes pas intervenue sur la situation des établissements carcéraux qui constituent pourtant selon moi l'un des principaux noeuds du problème.
La maison d'arrêt de Nanterre concentre ainsi les difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux établissements : elle connaît la surpopulation avec 1 000 détenus pour 592 places d'accueil, l'insalubrité, l'insécurité et le manque de personnels pénitentiaires.
Un centre de semi-liberté ouvrira ses portes à Nanterre, à la fin de l'année 2018. Ce dispositif doit permettre aux détenus bénéficiant d'un aménagement de peine de sortir travailler en journée puis de rentrer le soir venu. Dans le contexte que nous venons d'évoquer, ne pourrions-nous pas amorcer une réflexion sur ce type de dispositif ? En effet, on dénombre, à ce jour, seulement onze centres de ce genre, alors qu'ils répondent sur plusieurs points aux multiples enjeux du milieu carcéral.
Un quota de places réservées aux mineurs est-il prévu dans ce centre qui doit accueillir, au total, 92 détenus ? Pour les mineurs, cette alternative à la détention en établissement fermé me semble être une piste à suivre. Elle leur donnerait la possibilité de poursuivre leur cursus scolaire sans discontinuité, ce qui leur permettrait de se réinsérer avec moins de difficulté.
Les éducateurs du service de la PJJ, que j'ai rencontrés cette semaine, abondent dans ce sens. Il nous faut remettre l'éducation et l'apprentissage au centre des travaux sur l'adaptation des peines et la réinsertion des mineurs, de manière à ce qu'une mesure éducative continue de prévaloir sur toutes les autres peines.
Une réflexion sera-t-elle menée sur les établissements pour mineurs ? Certains jeunes ne sont pas adaptés aux établissements dans lesquels ils sont envoyés. Il semble inutile qu'un profilage soit opéré dans les centres par les personnels.
Madame la garde des Sceaux, cet été, vous êtes venue à Toulon où vous avez pu visiter le centre pénitentiaire de La Farlède. Vous avez sans doute pris conscience des conséquences de la surpopulation carcérale. Je pense au non-respect de la dignité humaine – mais comment en serait-il autrement avec trois détenus qui vivent dans neuf mètres carrés ? Il y a aussi les problèmes de sécurité : les violences, les trafics de toutes sortes, de la drogue aux téléphones portables, le racket, et, évidemment, la radicalisation. Il faut également songer aux personnels pénitentiaires dont les conditions de travail dans les prisons surpeuplées sont très difficiles : nombre d'entre eux en souffrent et cela peut les mener jusqu'au burn out. L'augmentation du nombre de détenus ne se traduit malheureusement pas par celle des effectifs de personnels, et surpopulation carcérale ne rime pas avec renfort pénitentiaire.
Deux leviers peuvent être utilisés pour faire face à la surpopulation : la construction de places de prison, mais je ne suis pas sûr que cette solution soit suffisante, et l'adaptation des peines. Cette dernière solution consiste à chercher d'autres types de sanctions que la prison qui constitue sans doute une solution un peu obsolète. Elle est peut-être nécessaire en cas de danger réel et pour résoudre des problèmes de sécurité, mais d'autres peines sont possibles.
Lundi, deux personnels du quartier « arrivants » de l'établissement de La Farlède m'ont donné un exemple – ces deux personnes vous ont d'ailleurs parlé, même si le directeur des ressources humaines voulait s'exprimer à leur place... Ils venaient d'accueillir un jeune homme condamné à deux mois de prison ferme pour trafic de drogue en 2016, mais qui, depuis sa condamnation, avait commencé un travail et entamé une relation de couple. Que retrouvera-t-il à la sortie ?
Le problème de la surpopulation carcérale se pose surtout dans les maisons d'arrêt où les détenus sont en détention provisoire. Alors que les statistiques montrent que le nombre de personnes placées en détention provisoire augmente, envisagez-vous des mesures alternatives qui permettraient d'éviter que nos prisons se remplissent de personnes en attente de jugement ?
Ma question porte sur la transformation numérique, mais peut-être pourrai-je la poser lorsque nous aborderons le thème suivant.
Nous ne traiterons que quatre thèmes aujourd'hui ; vous pourrez interroger la ministre sur ce sujet lors d'une prochaine audition.
Pour autant monsieur le député a raison : la transformation numérique est capitale, car elle conditionne largement la réussite dans tous les autres domaines.
L'atelier relatif au sens et à l'efficacité des peines a deux référents. M. Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et ancien magistrat à la Cour pénale internationale (CPI), a présidé la commission qui a rédigé en 2015 le rapport Pour une refonte du droit des peines. Mme Julia Minkowski est avocate au barreau de Paris.
Monsieur Diard, vous considérez que la question pénitentiaire aurait mérité un atelier à elle seule. Il me semble qu'une partie de la solution à la question pénitentiaire se trouve bien dans l'atelier sur le sens et l'efficacité des peines, car je crains que la construction d'établissements supplémentaires ne constitue jamais une réponse suffisante.
Cela dit, nous construirons bien des établissements pénitentiaires. Nous travaillerons à la construction des 15 000 places supplémentaires annoncées par le Président de la République. Nous espérons que ces ouvertures de places permettront de répondre à la diversité des populations à prendre en charge. Nous pourrons en particulier construire des quartiers de préparation à la sortie, des maisons d'arrêt et des établissements adaptés aux différents publics. Nous présenterons prochainement ce plan de construction au Président de la République. Il fait l'objet d'un travail séparé.
La réponse à la question pénitentiaire tient aussi sans doute à plusieurs des sujets abordés : le prononcé des peines, la prise en charge des détenus ou le parcours de détention.
En matière de prononcé, Madame Abadie a relevé que les juges n'étaient guère « friands » des diverses peines qu'ils pourraient prononcer. Nous devons expliquer cet état de fait. Le directeur des affaires criminelles, le directeur de l'administration pénitentiaire et moi-même, selon ce qui nous remontera venant des magistrats, souhaitons débloquer un certain nombre de verrous. À côté de la peine d'emprisonnement, qui demeure une peine essentielle qu'il faut utiliser, nous souhaitons pouvoir ériger un certain nombre d'autres peines qui existent déjà – nous n'en créons pas de nouvelles – de sorte que les magistrats puissent les prononcer plus facilement. Cela suppose que les magistrats disposent d'un certain nombre d'éléments issus des enquêtes de personnalité du prisonnier au moment du prononcé. La peine sera alors adaptée à la personne et applicable le plus rapidement possible – nous souhaitons travailler sur ce point majeur.
Le temps qui s'écoule entre le prononcé de la peine et le moment où elle est mise à exécution doit être réduit – vous avez cité un exemple significatif, monsieur Masson. C'est invraisemblable ! Notre système s'est complexifié avec les services d'exécution des peines, le juge d'application des peines… Les délais doivent être réduits.
Monsieur Diard, vous me « signalez » que deux détenus de Fresnes ont été mis en examen… Je le savais, n'ayez crainte !
Je relevais seulement que cela s'était produit après que ma question au ministre de l'intérieur sur les détenus radicalisés était restée sans réponse !
On compte actuellement environ 500 terroristes islamistes en détention, et 1 200 détenus seraient radicalisés. Le traitement de ces détenus me paraît assez cohérent. À leur arrivée, ils sont d'abord évalués dans des quartiers d'évaluation de la radicalisation durant quatre mois. Selon leur niveau de dangerosité, ils sont ensuite placés dans trois types d'encellulement : soit à l'isolement s'ils sont très dangereux, soit dans des quartiers sécurisés, soit en milieu ordinaire. Dans tous les cas, l'encellulement est individuel, et ils font l'objet d'une surveillance particulière.
Ces détenus sont extrêmement surveillés à l'intérieur des prisons par le renseignement pénitentiaire. Vous avez évoqué une diminution du potentiel de ce dernier par le passé ; soyez certains que nous lui consacrons des efforts considérables ! Les services de renseignement de premier rang reconnaissent désormais l'efficacité et la fiabilité du renseignement pénitentiaire pour lequel nous avons créé des emplois – 52 en 2017, puis 35 en 2018 –, et ouvert des crédits. Plus de 2,5 millions d'euros en 2018 seront en particulier consacrés aux matériels que vous évoquiez. L'organisation du renseignement pénitentiaire, au niveau de l'établissement, des directions interrégionales et du bureau central du renseignement pénitentiaire, commence aujourd'hui à produire des effets. Les deux détenus de Fresnes dont vous nous avez parlé ont d'ailleurs été repérés grâce aux efforts conjugués du renseignement pénitentiaire et de la surveillance intérieure.
Nous participons aussi au suivi des détenus radicalisés après leur sortie. Une fiche très précise est envoyée aux différentes autorités concernées à l'extérieur de la prison afin qu'ils puissent continuer à être suivis. Nous sommes très attentifs à cette question sur laquelle on ne peut cacher que des incertitudes existent.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué le sujet des aménagements de fin de peine : nous y serons très attentifs car ils contribuent à éviter la récidive. Durant la période de la loi de programmation, 1 500 conseillers d'insertion et de probation seront recrutés.
Monsieur Terlier, si vous me parliez bien des centres éducatifs fermés pour les mineurs placés sous main de justice, gérés par la PJJ, sachez que le Président de la République a demandé la construction de plusieurs unités – nous nous sommes engagés à en produire vingt ! Pour ce type de jeunes, nous devons utiliser toutes les solutions à notre disposition. Le centre éducatif fermé est une réponse pour certains d'entre eux, mais il ne s'agit pas de l'unique réponse possible. J'ai rendu visite, avant-hier, à la PJJ de Rouen, et j'ai pu constater qu'en milieu ouvert ces jeunes étaient suivis de très près dans des familles d'accueil ou dans des foyers collectifs, et au quotidien par des éducateurs. Apparemment, pour les jeunes délinquants sexuels concernés, cela peut donner des résultats. De la même façon qu'il faut assurer la diversité de la réponse pénale pour les majeurs condamnés par un tribunal, il faut proposer une diversité de solutions aux mineurs.
Madame Florennes, les quartiers de préparation à la sortie permettront de mettre en place la phase de transition entre la détention et la sortie, afin d'éviter les sorties sèches. Le centre de semi-liberté de Nanterre n'accueillera pas de mineurs car nous considérons qu'il est délicat de mélanger les deux populations mineures et majeures, y compris dans les centres de semi-liberté.
Madame la garde des Sceaux, nous vous remercions vivement pour vos propos passionnants. Nous constatons que vous nous préparez un programme législatif extrêmement chargé et, vous l'avez compris, les membres de la commission des Lois sont impatients de contribuer aux chantiers de la justice que vous avez lancés. J'espère que nous trouverons les modalités d'une collaboration qui nous permette, compte tenu de la diversité de nos parcours, de nos expériences et de nos territoires, d'apporter à cette réflexion l'éclairage de la représentation nationale.
La réunion s'achève à 19 h 30.
Informations relatives à la Commission
• La Commission a désigné :
– M. Christophe Euzet, rapporteur sur les pétitions ;
– M. Christophe Euzet, en qualité de titulaire, et Mme Typhanie Degois, en qualité de suppléante, membres de la Commission supérieure de codification ;
– Mmes Laetitia Avia et Élise Fajgeles et M. Stéphane Peu pour participer à une étude du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur « L'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis ».
La Commission a également proposé la nomination de M. Jean-Michel Fauvergue en qualité de membre du comité chargé d'assister la plate-forme nationale des interceptions judiciaires.
• La Commission a approuvé la création d'une mission d'information, commune avec la commission du Développement durable, pour une nouvelle étape de la décentralisation en faveur des pôles de développement territoriaux.
Cette mission sera constituée de 18 membres (10 REM, 3 LR, 1 MODEM, 1 LC, 1 NG, 1 FI, 1 GDR). Sa présidence sera attribuée à un groupe d'opposition (LR) et elle aura deux co-rapporteurs REM, l'un issu de la commission des Lois, l'autre de celle du Développement durable.
• La Commission a rendu un avis favorable pour la création de 15 groupes d'étude : Prisons et conditions carcérales ; Antisémitisme ; Conditions d'accueil des migrants ; Crises et risques majeurs ; Démocratie participative et E-démocratie ; Diversité et discrimination liés à l'origine ; Gens du voyage ; Métiers de la sécurité ; Mineur isolé étranger ; Pouvoirs publics et groupes d'intérêt ; Rapatriés ; République et religion ; Sectes ; Vie associative et bénévolat ; Famille et adoption.
• La présidente Yaël Braun-Pivet a attiré l'attention des membres de la Commission sur l'importance des groupes de travail mis en place par le Bureau de l'Assemblée nationale à l'initiative du président François de Rugy sous l'intitulé « Pour une nouvelle Assemblée nationale – Les rendez-vous des réformes 2017-2022 ». Elle les a invités à y participer le plus activement possible, d'autant que, le moment venu, ces réflexions trouveront un prolongement dans les travaux de la commission des Lois.
• Considérant que les travaux parlementaires s'enrichissent d'une appréhension concrète des politiques publiques, la présidente de la commission a enfin invité ses membres à participer à deux déplacements :
— un au nouveau tribunal de grande instance de Paris, le jeudi 16 novembre ;
— un autre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le jeudi 23 novembre.
Membres présents ou excusés
Présents. Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, M. Jean-Michel Clément, Mme Typhanie Degois, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Dussopt, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Manuel Valls, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller
Excusés. Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, M. Olivier Marleix, M. Fabien Matras, M. François de Rugy, Mme Maina Sage
Assistaient également à la réunion. M. Xavier Breton, M. Éric Straumann