Je perçois dans vos différentes interventions que nombre d'entre vous ont à coeur de relayer les inquiétudes ressenties au sein des territoires, ce que je peux entendre. Au-delà, les interrogations portant sur le thème de l'accès au droit qui ont également été exprimées me paraissent tout à fait essentielles. Comme je vous l'ai dit, le dossier de l'adaptation du réseau des juridictions a été confié à MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg, qui vont travailler en étroite concertation avec les avocats, les magistrats et les élus locaux et nationaux.
M. Arnaud Viala a employé les mots « vigilance », « carte » et « inquiétude », trois mots qui ne me paraissent pas convenir à la situation. Je le dis très clairement, il ne s'agit pas pour moi de prendre une carte et de décider, d'un trait de crayon, de garder, de supprimer ou de déplacer telle ou telle juridiction : ce n'est pas du tout mon objectif ni ma façon de procéder. Je sais que la publication, dans je ne sais quel journal, d'une carte datant de 2015 avait suscité un grand émoi, totalement injustifié : l'administration fait des propositions, mais la responsabilité de les accepter ou non appartient toujours à l'autorité politique. Je ne vous mens pas en vous disant que je n'ai aucune carte, et que ce n'est pas de cette façon que j'entends mener à bien ce chantier.
Si la vigilance exercée par les élus locaux me paraît naturelle et légitime, je trouve un peu excessif de parler d'inquiétude. Certes, tout ce qui est susceptible d'évolution peut être source d'inquiétude, du fait de l'incertitude quant à la nouvelle situation vers laquelle on se dirige, mais il faut aussi faire preuve de rationalité. Face à une matière juridique qui ne cesse de se complexifier – je pense notamment au droit des affaires –, il est bien normal de réfléchir à une adaptation de notre organisation : c'est tout le sens des projets visant à la simplification des procédures et à la numérisation, qui doit faciliter l'accès des justiciables aux procédures les concernant, et rendre plus efficace le travail des magistrats.
Ce que j'attends de la commission de concertation, c'est de réfléchir à des principes. Le premier de ces principes est celui de l'organisation, qui doit en l'occurrence répondre à une exigence de proximité parce qu'on ne peut pas rendre la justice du quotidien, celle des affaires familiales, du surendettement ou des tutelles, sans proximité.
Le deuxième principe est celui de la spécialisation, car cela n'aurait pas de sens de mettre une juridiction des brevets, comme celle de la cour d'appel de Rennes, dans chaque tribunal d'instance ; de même, on ne peut avoir dans tous les tribunaux des magistrats spécialisés dans les litiges liés à la construction, et je pourrais multiplier les exemples.
Le troisième principe sur lequel une réflexion doit être engagée est celui de la collégialité : quand, dans un petit tribunal composé de trois à cinq juges, deux d'entre eux viennent à tomber malades ou doivent s'absenter pour une raison ou pour une autre, le fonctionnement de ce tribunal se trouve immédiatement perturbé. Certes, on pourrait affecter plus de juges à chaque tribunal, mais le nombre d'affaires à traiter ne le justifie pas forcément : dans ce cas, au lieu d'envisager de fermer un tribunal à l'activité restreinte, je préfère que l'on se demande comment le faire vivre, ce qui peut passer par une spécialisation du lieu, en en faisant un lieu de médiation, ou d'autres manières.
En réponse à tous ceux qui m'ont interrogé sur ce point, je veux dire très clairement que pour moi un lieu de justice, c'est quatre murs surmontés d'un toit avec le mot « tribunal » sur la façade !
Je comprends l'inquiétude exprimée au sujet du devenir des cours d'appel de l'est, suscitée notamment par le fait que la nouvelle région Grand Est comprend quatre cours d'appel – Reims, Nancy, Metz et Colmar. Cela dit, les juridictions de la région ont des singularités qu'il conviendra de faire valoir, je pense notamment à la spécialisation en droit local.
J'insiste sur le fait que ma méthode consiste à réfléchir à un certain nombre de principes d'organisation et à voir de quelle manière ils peuvent trouver une traduction concrète sur le territoire, qui se fasse de manière intelligente et en recourant à toutes les évolutions que j'ai évoquées précédemment. Je m'engage à ce que le maillage actuel soit conservé, et à ce qu'il n'y ait pas de désert judiciaire.
Je signale à mes amis de l'Aveyron, du Tarn, de l'est, de l'ouest, du sud et du nord, que je me tiens à leur disposition pour les recevoir au ministère s'ils souhaitent évoquer avec moi la situation particulière de leur territoire. Un député m'a dit tout à l'heure que le fait de supprimer des juridictions pouvait éventuellement se comprendre, et que l'on me jugerait surtout sur ma capacité à ouvrir de nouveaux lieux de justice. Si je me suis engagée à ce qu'il n'y ait aucune fermeture, rien ne s'oppose en principe à ce que l'on puisse envisager d'ouvrir des lieux de justice en certains points du territoire. Je pense notamment aux maisons du droit : s'il n'a pas été prévu d'ouvrir de telles structures en 2018, il n'est pas exclu de le faire par la suite.
J'aimerais vraiment vous convaincre que mon intention n'est pas de prendre une carte et de rayer, mais bien de réfléchir à quelque chose de pertinent pour les justiciables, donc pour les magistrats également. L'un d'entre vous m'a interrogée au sujet de la cohérence entre la carte de notre organisation judiciaire et la carte administrative, ce qui, à mon sens, soulève deux questions. Premièrement, faut-il une cohérence des cartes ? Deuxièmement, faut-il organiser les choses de manière à ce qu'il n'y ait qu'un seul tribunal ou une seule cour d'appel pour un territoire donné ?
Pour ce qui est de la première question, je m'interroge, et je prendrai connaissance avec un grand intérêt de ce que dira la commission de concertation à ce sujet, mais il me semble important qu'il y ait une cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative, parce qu'il y a dans l'action de l'État une cohérence des politiques publiques. J'ai toujours trouvé étonnant que le préfet d'un département doive téléphoner au procureur de la cour d'appel voisine, mais aussi à celui d'un autre département, pour des raisons relevant du ressort juridictionnel : à mes yeux, cela complique inutilement l'action publique.
Quand bien même cette cohérence entre la carte judiciaire et la carte administrative serait établie, cela ne signifie pas pour autant que chaque région devrait comprendre une seule cour d'appel ou un seul tribunal : la répartition des lieux de justice doit, comme je l'ai dit, s'effectuer intelligemment et en prenant en compte différents principes d'organisation, de spécialité, etc.
Pour conclure, je vous assure à nouveau qu'il n'a été établi aucune carte. Cela dit, je considère que le statu quo n'est pas une bonne solution, et que nous devons réfléchir afin de déterminer comment organiser les choses de manière optimale, sans procéder à la fermeture d'aucun tribunal, d'aucune cour d'appel.