Intervention de Éric Woerth

Réunion du vendredi 27 septembre 2019 à 13h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président :

Messieurs les ministres, je vous remercie.

Nous ne sommes pas dans un jeu de rôle, mais dans une confrontation démocratique de nos visions des choses. Et pour ma part, je ferai une lecture un peu différente du texte que vous nous présentez.

J'ai rêvé que vous modifiiez le titre de votre document… Au lieu de « Baisser les impôts et préparer l'avenir », vous auriez dû l'appeler « Baisser la dépense, baisser les impôts, préparer l'avenir ». Nous aurions ainsi eu un sujet d'accord avec vous. Mais ce n'est pas ce que vous faites.

J'ai fait une lecture de ce budget en trois dimensions, en trois D : sur les déficits, sur la dette et sur la dépense.

Monsieur Darmanin, vous nous expliquez que ce sera le plus faible déficit depuis dix ou vingt ans. En réalité, ce sera la plus faible baisse du déficit depuis dix ans : si l'on regarde le déficit structurel, entre 2019 et 2020, la baisse est nulle ; et si l'on prend le déficit nominal, elle n'est que de 0,1 point. En dix ans, on n'aura connu qu'une seule fois une aussi faible baisse, à hauteur de 0,1 point ; elle a toujours été plus forte. Certes, vous me répondrez que l'on partait de plus haut. Sans doute. Mais nous conserverons un déficit plus de deux fois supérieur à la moyenne de la zone euro. Ce n'est donc pas un budget qui réduit les déficits. Il stabilise le déficit français alors que la plupart des autres pays ont bel et bien su réduire le leur.

En 2020, notre déficit budgétaire, pour ce qui relève du seul État, atteindra environ 93 milliards d'euros. Vous nous dites qu'il sera moins élevé qu'en 2019 et même moins élevé que les prévisions pour 2019 ; il n'en reste pas moins à des niveaux abyssaux. Lorsque vous avez pris les rênes du Gouvernement en 2017, le déficit de l'État était de 67,7 milliards ; autrement dit, il a augmenté de 25 milliards en trois ans. Vous vous défendez en expliquant que c'est parce qu'on a concentré absolument tout sur l'État, que la sécurité sociale et les collectivités locales vont mieux. Mais c'est vous qui avez fait ce choix de compenser ce que vous faisiez supporter à la sécurité sociale et aux collectivités locales.

Quant à la dette publique, elle se stabilise, certes, mais à un très haut niveau, alors que d'autres pays la réduisent et portent leur effort sur cette réduction. Entre la dette allemande et la dette française, l'écart est de quarante points de PIB : pour revenir au niveau de l'Allemagne – et ainsi respecter les critères de Maastricht –, il nous faudrait fournir un effort de 1 000 milliards d'euros, soit plus de trois fois la dette de l'Autriche. Je pense qu'à terme ces différences pèseront de façon considérable sur la compétitivité de notre pays.

Quant à la dépense publique, vous l'avez refroidie au fur et à mesure dans une période de croissance. Car s'il y a des menaces, des risques de crise économique, il n'y a pas de crise économique. Certes, il y a une crise sociale, que je ne mésestime pas et qui appelle des réponses, mais elle est sous-jacente en France depuis toujours. La dépense publique augmente un peu moins vite qu'auparavant mais elle continue de progresser. L'écart en termes de dépenses publiques est de 20 milliards d'euros entre 2019 et 2020.

Je trouverais normal, comme une grande partie de l'opposition, que le Gouvernement affiche clairement un plan de réduction de la dépense publique. Mais vous ne le faites pas.

Par ailleurs, vous basculez assez brutalement d'une politique de l'offre, que vous assumiez bien et qui était menée à juste titre, à une politique de la demande. Vous injectez du pouvoir d'achat financé par la dette, faute de pouvoir faire appel à d'autres types de financement. Vous recyclez ainsi les économies liées à la baisse des taux d'intérêt et à l'augmentation mécanique par la croissance de la fiscalité ; ce n'est pas une bonne chose. Il faut, au contraire, même dans des situations aussi difficiles socialement, continuer à croire à la compétitivité de nos entreprises qui elles seules distribuent le pouvoir d'achat.

En 2019, l'augmentation du pouvoir d'achat de 2,3 % est due essentiellement à la hausse des salaires et de la masse salariale, et non aux mesures budgétaires.

Enfin, si nous sommes à bout de souffle pour ce qui est de la politique budgétaire, nous le sommes tout autant en ce qui concerne la politique monétaire : il arrivera bien un jour où les banques centrales cesseront d'injecter de l'argent quasiment gratuit. Nos marges de manoeuvre ne cessent de se réduire. Au fond, tout cela procède d'une vision à court terme.

Un mot sur l'impôt sur le revenu. J'ai l'impression qu'il y a un effet d'optique dans cette affaire, monsieur Darmanin. Vous dites baisser l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros ; j'étais favorable à une telle baisse, je ne peux qu'y souscrire ; à ceci près que le prélèvement à la source a un effet mécanique qui fait que les Français vont payer davantage d'impôts qu'auparavant, dans la mesure où ils sont désormais taxés sur un revenu contemporain. Certes, vous indexez le barème, mais sans compenser exactement. Par ailleurs, les revenus exceptionnels de l'année 2018 ont été taxés en 2019, en même temps que les revenus 2019. Tout cela vous rapporte sans doute près de 2,5 milliards. Autrement dit, vous reprenez au préalable quasiment la moitié de la baisse de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros. C'est beaucoup.

S'agissant des finances locales, j'ai l'impression que vous cherchez à savoir qui va boucher le trou de la baisse de la taxe d'habitation. On compense pour la commune, puis pour le département en recourant à l'État. Et qu'y a-t-il derrière l'État ? Juste de la TVA, qu'il faudra bien compenser, à un moment donné, pour l'État lui-même.

La lecture que je fais du budget est exacte, mais inquiétante. C'est un budget de dépenses alors que nous aurions vraiment eu besoin d'un budget d'investissements.

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