Intervention de Aurélien Pradié

Séance en hémicycle du jeudi 10 octobre 2019 à 9h00
Violences au sein de la famille — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je demande le retrait ou émets un avis défavorable. Je m'arrête un instant sur cette question qui touche au coeur d'une divergence de points de vue – il en faut au moins une pour que nous puissions débattre ! Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, nous nous appuyons sur l'héritage du législateur, qui prévoit de confier au juge civil des prérogatives renforcées, pouvant se rapprocher de celles que, dans notre tradition, nous attribuons exclusivement au juge pénal.

Fait par la France en 2010, ce choix de confier encore plus de pouvoir au juge civil en matière de protection des femmes a pu susciter un embarras. Deux possibilités s'offraient alors à nous. La première était de tout confier au juge pénal – sauf que celui-ci n'est pas aussi réactif que peut l'être le juge civil avec l'ordonnance de protection. L'autre solution était d'avoir recours à une juridiction spécialisée, comme en Espagne où la compétence civile et la compétence pénale sont entre les mêmes mains. Dans ce cas, le pont dont vous parliez, ce nécessaire va-et-vient, n'a plus lieu d'être.

Or notre pays n'a opté ni pour la première solution ni pour la seconde. S'agissant de la question du bracelet, il convient donc de s'appuyer sur l'architecture qui est la nôtre aujourd'hui. Je vais plus loin : je ne vois aucun problème dans le fait de renforcer le pouvoir du juge aux affaires familiales dans le cadre de l'ordonnance de protection. D'ailleurs, c'est déjà le cas puisqu'il peut prendre dans ce cadre plusieurs décisions, comme l'interdiction de contact, l'interdiction de paraître ou des mesures relatives au logement ou au port d'armes. Il y a trente ans, ces prérogatives auraient été considérées par les puristes comme ne relevant que du juge pénal. Mais notre droit a évolué car la société d'aujourd'hui n'est plus tout à fait la même que celle d'il y a trente ans.

La question, légitime sur le plan intellectuel, que vous soulevez a déjà été posée et résolue en 2010. Le législateur a alors dit qu'il était possible de confier au juge des affaires familiales des prérogatives renforcées relevant peu ou prou des compétences du juge pénal.

Il faut ensuite rappeler le caractère précaire de l'ordonnance de protection, qui ne dure que six mois. On peut donc accepter, d'un point de vue constitutionnel et intellectuel, que, dans une décision prise pour une durée limitée, et non de manière définitive, le juge civil soit doté de pouvoirs renforcés.

Je voudrais aussi insister sur le fait que les prérogatives accordées au juge aux affaires familiales ne sont pas aussi privatives de liberté que celles du juge pénal : concrètement, il s'agit de confier à ce magistrat la possibilité – dont il dispose déjà – d'interdire le contact entre deux personnes pendant six mois, ce qui ne relève pas d'une atteinte absolue à la liberté des uns et des autres. De même, qu'il s'agisse des décisions relatives au logement, aux armes ou au droit d'hébergement et de visite – qu'il est possible de suspendre et de médiatiser – , ce sont systématiquement des mesures de protection évidentes.

Au-delà de la dimension technique, la matière essentielle qu'est le droit civil a aussi – et peut-être principalement, rappelons-le – vocation à protéger les parties. Donner au juge aux affaires familiales des compétences permettant de protéger la vie des parties ne pose donc aucun problème – car il ne s'agit de rien de moins que cela.

La mise en place du bracelet impose l'avis systématique du ministère public, ce qui me conduit à aborder en conclusion deux problèmes posés par votre amendement. Le premier est celui du délai de délivrance des ordonnances de protection. Nous travaillerons tout à l'heure à la possibilité de le réduire à six jours. Si un aller-retour préalable est nécessaire dans tous les cas – y compris celui où l'intéressé accepte le bracelet – , alors nous perdrons énormément de temps. Or nous n'avons pas de temps à perdre.

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