Intervention de Christophe Castaner

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Monsieur Anglade, les habilitations à la DRPP relèvent du secret défense – je ne peux donc tout vous dire. Mais sachez que tous les personnels sont soumis à une procédure d'habilitation. Ce n'est pas nouveau mais elle a été renforcée, ce qui nous permet d'aller plus loin. Elle implique une enquête administrative, qui se fonde sur des critères objectifs et doit permettre de déterminer si l'intéressé présente une « vulnérabilité ». Il n'existe pas de code des vulnérabilités. C'est celui qui est chargé de l'enquête de radicalisation qui doit apprécier ce qu'Ugo Bernalicis évoquait – la dimension humaine. Un individu exposé à une forme de chantage ou dont les pratiques le rendent vulnérable peut être une menace. Après évaluation de ces vulnérabilités, si l'on considère que l'individu présente une telle menace, différents outils permettent de poursuivre l'enquête : la consultation de tous nos fichiers et leurs croisements, mais aussi, si nécessaire, un ou plusieurs entretiens. L'agent en charge de l'enquête dispose de tous les moyens et de tout le temps nécessaire pour travailler.

Les procédures d'habilitation sont menées par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour ses personnels, par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) pour les personnels des armées et par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans les autres cas. Mais, cas particulier, la préfecture de police réalise elle-même l'habilitation de ses personnels. À l'arrivée de l'actuelle directrice du renseignement de la préfecture de police, certaines anomalies auraient été constatées – peut-être un niveau de procédure insuffisant au regard du niveau d'exigence. C'est pourquoi elle a souhaité durcir les modalités d'habilitation. Pour ce faire, elle s'est rapprochée de la DGSI. À la demande du cabinet du Premier ministre, un protocole entre la DGSI et la DRPP a été signé en février 2019, sous notre autorité, afin d'intégrer les protocoles d'habilitation de la DGSI.

Je ne peux hélas vous dévoiler le contenu de ce protocole car il est classifié, mais il vise à garantir la consultation systématique de la DGSI lors de chaque enquête d'habilitation. Ainsi toutes les sources d'information de la DGSI sont mises au service de l'enquête. En outre, la DGSI peut directement mener des investigations supplémentaires. Elle est destinataire d'un récapitulatif mensuel de la DRPP et enregistre chaque année ses remontées.

À la fin de procédure d'habilitation, l'habilitation est décidée par un haut fonctionnaire de Défense et, au ministère de l'intérieur, par le secrétaire général du ministère. Elle est délivrée en début de carrière, mais une clause de revoyure est prévue et peut être déclenchée à tout moment, si les signaux sont suffisants.

Vous m'avez interrogé sur la réforme de la protection du secret de la défense nationale. Monsieur Gosselin, de nombreuses réformes ont déjà été entreprises, notamment à la DRPP – je viens de vous les exposer. En outre, au cours des derniers mois, le secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a piloté une réflexion plus globale afin de faire évoluer en profondeur la réglementation. Cette réforme a plusieurs objectifs. Il s'agit d'abord de faciliter les échanges internationaux, très efficaces. Ainsi, avec la plupart des pays, quelles que soient les tensions – notamment avec le Royaume-Uni suite au Brexit –, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme est exemplaire.

Il s'agit ensuite d'améliorer la prise en compte de l'information classifiée dématérialisée, numérique, dans un contexte de menace cyber. C'est un sujet de conquête pour nos services car le risque est particulièrement important au niveau mondial.

Une modification des niveaux de classification est également envisagée, avec deux nouvelles appellations – secret et très secret, au lieu de confidentiel défense, secret défense et très secret défense, très peu utilisé.

Enfin, la procédure d'habilitation sera révisée et la procédure de déclassification des documents simplifiée – c'est l'objet du projet de décret en cours de transmission au Conseil d'État.

Monsieur Gosselin, vous avez repris mes termes – « failles » et « dysfonctionnements ». Vous avez raison, mais évitez la caricature ! Vous ne pouvez pas dire que rien n'a été fait. La seule information dont nous ayons connaissance depuis samedi, c'est un échange oral en juillet 2015. Il n'y a aucune trace écrite de cet échange. Le fonctionnaire en charge de la radicalisation a fait un nouveau point en septembre 2015 selon le rapport que m'a communiqué la directrice du renseignement de la préfecture de police. Il a estimé alors qu'il n'existait aucune difficulté particulière et que le sujet pouvait être géré en interne. C'est d'ailleurs le sentiment des fonctionnaires du service. Je ne peux pas vous dire pourquoi et je ne peux pas l'apprécier. Je ne cherche à culpabiliser personne. L'origine du dysfonctionnement, c'est le fait que cette information n'ait pas déclenché le processus adéquat. C'est là que se situe la faille et il ne faut pas que cela se reproduise.

C'est pourquoi nous devons renforcer et améliorer le système. Dès le 7 octobre, le préfet de police a publié une note rappelant à tous les cadres la nécessité d'utiliser toutes les procédures et tous les outils pour détecter, signaler et échanger, même sur de simples signaux d'alerte.

En outre, des dispositions nouvelles ont été mises en oeuvre depuis 2017 à la préfecture de police comme ailleurs – Laurent Nuñez y reviendra. Nous devons vérifier que ce que nous avons mis en place est suffisant. Je ne peux donc vous laisser dire que rien n'a été fait et qu'« il faut attendre un drame pour agir » – vous vous êtes sans doute laissé emporter. Je n'en tire aucune gloriole personnelle – ce n'était pas sous mon autorité. Nos services sont extrêmement vigilants ; ils sont dans l'action, comme vous nous y invitez.

S'agissant des cas de radicalisation dans les services publics, nous devons nous adapter. J'ai bien noté que le rapport de vos collègues précisait que le ministère de l'intérieur avait un dispositif plutôt performant. Nous avons identifié une quarantaine d'agents. Ils sont suivis par une cellule spécifique de la DGPN. Je ne peux vous transmettre le nombre de retraits d'habilitations défense mais, au sein de la préfecture de police, grâce au nouveau dispositif, un nombre important d'habilitations ont été retirées. Lorsque le risque de radicalisation était suffisamment caractérisé, les agents ont été « écartés » – tous les moyens sont utilisés pour qu'ils ne restent pas dans la police. La moitié des agents concernés sont déjà partis et dix-neuf à vingt cas sont suivis attentivement. À tous les niveaux, c'est la responsabilité de chacun, mais les signaux concernant ces agents sont faibles et ne constituent pas une anomalie pénale.

Vous mettez en cause des failles et des dysfonctionnements. Permettez-moi de vous rappeler l'engagement constant de nos services. Cinquante-neuf attentats ont été déjoués en six ans. Là encore, je n'en tire aucune gloire car cela concerne plusieurs gouvernements.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT, est opérationnelle : on compte soixante-cinq mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), cent trente-huit visites domiciliaires, sept fermetures de lieux de culte. En outre, hors loi SILT, cinquante-cinq étrangers radicalisés ayant purgé leur peine de prison ont été éloignés du territoire depuis 2018. Les services ont reçu de ma part une instruction extrêmement claire : cela doit être systématique. Même les magistrats ont évolué. Auparavant, ils pouvaient considérer que certains pays n'étaient pas sûrs et n'acceptaient pas les extraditions. Je ne citerai pas les pays concernés, mais l'évolution est patente.

M. Bernalicis et d'autres m'ont interrogé : comment identifie-t-on et évalue-t-on les cas de radicalisation ? L'exercice n'est pas simple. Il n'y a pas de feuille de route reprenant tous les signes, mais l'IGPN a élaboré un document de référence, avec des indications précises. Parmi les signes qui doivent alerter, on retrouve une pratique religieuse rigoriste, particulièrement exacerbée en période de ramadan, un changement de comportement de l'individu ou de son entourage, le port de la barbe, le fait de ne plus faire la bise – nous l'avons évoqué dans le cas qui nous occupe, même si les informations sont contradictoires –, le fait que l'individu n'accepte pas de faire équipe avec une femme, une pratique régulière et ostentatoire de la prière rituelle, la présence d'une hyperkératose au milieu du front – la tabaâ – ou le port du voile intégral sur la voie publique pour une fonctionnaire féminine.

Laurence Vichnievsky a évoqué la nécessité de resserrer les mailles du filet. Nous en sommes convaincus. Ce qui était considéré comme un non-signal doit être maintenant considéré comme un signal faible, et un signal faible peut en réalité être un signal fort. Les alertes doivent être systématiques.

Malgré tout, je nous invite à la modestie du temps : la vérité d'aujourd'hui sur ces signaux et sur les risques n'est pas la même que celle de 2015. En 2015, ceux qui étaient aux responsabilités avaient le regard tourné vers l'extérieur – les attaques terroristes étaient exogènes. Notre appréhension du risque endogène n'était pas la même qu'aujourd'hui. Si le risque exogène est toujours présent, le risque est désormais principalement endogène – ainsi à Lyon ou pour l'affaire qui nous occupe. Notre regard doit donc changer et il change en profondeur. Les procédures doivent être claires. Elles sont définies, organisées, mises en oeuvre – je ne peux pas les évoquer devant vous – mais il faut encore les améliorer. La revue de détail demandée par le Premier ministre à l'Inspection doit nous permettre d'y voir plus clair.

Vous m'avez interrogé sur les mesures concrètes prises à la préfecture de police. J'ai évoqué la circulaire du préfet de police.

S'agissant de l'administration pénitentiaire, nous ne nous prononcerons pas, mais sachez qu'il existe une cellule spécifique de la DGPN qui examine régulièrement tous les cas de radicalisation. Elle est composée de profils très différents et de tous les acteurs concernés du ministère et de la police – DGSI, unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPM), etc. Ils évoquent ensemble tous les cas signalés et s'assurent du traitement le plus adapté.

Nous devons être transparents en termes de statistiques : depuis 2015, au maximum une trentaine de signalements sont en cours de traitement, dont ceux de la préfecture de police. À la date du 1er juin, il y en avait dix-neuf. Depuis la création du groupe de suivi en 2015, une vingtaine de profils inadéquats ont été identifiés. Ils étaient suffisamment caractérisés pour nous permettre d'enclencher des procédures d'éloignement. Je parle d'éloignement car notre objectif est clairement que la personne concernée ne soit plus en responsabilité dans aucun service de police. Nous ne sommes pas dans le cas de figure du retrait de l'habilitation secret défense – la personne pourra alors retrouver un poste ailleurs. Nous utilisons tous les outils légaux : mise en disponibilité pour un projet individuel, révocation dans les cas les plus graves, licenciement – pour les adjoints de sécurité (ADS) –, démissions accompagnées, déclarations d'inaptitude professionnelle, non-renouvellement de contrats ou de stages, ou refus d'agrément qui permet d'enclencher ces procédures.

Monsieur Molac, vous m'avez interpellé sur les imams radicalisés. Je vous ai fait part des statistiques. Toutes les mesures prises ont été exécutées. C'est juridiquement délicat car le législateur a encadré fortement le dispositif. Les ministres de l'Intérieur successifs ont toujours considéré que les parlementaires étaient trop attachés aux enjeux de liberté et les parlementaires considèrent que le ministre de l'Intérieur a tendance à négliger cette dimension… Mais nous appliquons le dispositif à chaque fois que nous en avons la possibilité. Une question a d'ailleurs été posée cet après-midi à Laurent Nuñez concernant un imam ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ne négligez pas l'historique : quand cet imam a obtenu un titre de séjour en 2014, ceux qui ont pris la décision ne sont pas responsables de la suite… L'imam dont a parlé M. Pupponi n'a pas de responsabilités à la mosquée de Gonesse que fréquentait l'auteur de l'attentat.

Monsieur Bernalicis, vous m'interrogez sur ce qu'est un comportement normal. Tous les témoignages recueillis depuis l'attentat le confirment, le collectif était attentif à cet agent. Ainsi, quand on organisait un pot, on faisait attention à ne pas prévoir de porc. Cela rend la situation d'autant plus dramatique…

S'agissant de l'organisation du renseignement à la préfecture de police, vous avez raison, il est plus indépendant, mais j'ai aussi évoqué le lien avec la DGSI – Laurent Nuñez pourra compléter.

Comme vous, je suis convaincu que le renseignement passe par l'humain, implique de l'humain. C'est pourquoi nous recrutons 10 000 fonctionnaires de police et de gendarmerie, dont 1 900 postes dédiés au renseignement – majoritairement, mais pas uniquement, à la DGSI. Sachez que nous rencontrons de réelles difficultés de recrutement. Si beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes sont motivés pour devenir gardiens de la paix et agir, les postes spécifiques, notamment ceux du renseignement, sont plus difficiles à pourvoir.

Pour conclure, je rappellerai que, pour des raisons de sécurité, les entretiens de recrutement d'un candidat au sein du service du renseignement de la préfecture de police suivent une méthodologie précise. Ainsi, un psychologue contractuel est présent à l'entretien ; une demande d'habilitation secret défense est formulée ; le candidat fait l'objet d'une enquête, dont les exigences ont été considérablement renforcées, même si je ne peux pas les détailler. Les habilitations en cours ne font l'objet d'une enquête qu'à leur renouvellement, sauf si un incident est signalé. Des retraits d'habilitation ou des avis défavorables à leur renouvellement ont déjà été prononcés sous l'autorité de l'actuel DRPP. Enfin, tous les personnels ont été sensibilisés par des notes de service et des stages.

En cas d'alerte, l'ensemble des fichiers et des techniques de renseignement sont utilisés, lors de l'enquête qui précède l'habilitation, mais aussi si l'agent habilité fait l'objet d'un contrôle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.