Le débat ayant été amorcé, je ne voudrais pas donner le sentiment, sous les regards attentifs de mes collègues des différents groupes d'opposition, de m'y soustraire, d'autant que je l'ai moi-même alimenté au cours de l'audition des ministres et de celle du Premier président de la Cour des comptes, ainsi que par certaines prises de position.
Vous connaissez mon attachement à l'existence d'un budget de la sécurité sociale bien distinct du budget de l'État ; je ne crois pas au projet de fusion, et en aucun cas je n'appuierai un texte allant dans ce sens, pour des raisons historiques, sociologiques, politiques et même éthiques. Historiquement, notre système de sécurité sociale s'est fondé sur l'emploi, sur un financement par les cotisations des travailleurs, source qui s'est progressivement diversifiée avec l'apparition, parallèlement au chômage, d'une fiscalisation progressive d'un certain nombre de dépenses sociales, notamment avec l'institution de la contribution sociale généralisée (CSG) par Michel Rocard, puis l'instauration d'un système de compensation par la « loi Veil » de 1994. Comme je l'ai dit la semaine dernière, j'ai lu l'ensemble des comptes rendus des débats sur ce texte, qui a été adopté à l'unanimité du Parlement, à l'exception des députés communistes, qui y voyaient une manière détournée de camoufler des exonérations de cotisations patronales – il faut reconnaître qu'ils ont de la suite dans les idées... La « loi Veil » a donc toujours été appliquée depuis 1994, et les écarts sont restés négligeables, ainsi que Jean-Pierre Door l'a rappelé à l'instant. L'État s'engageait à ne pas interférer dans la feuille de route budgétaire donnée aux partenaires sociaux, qui se devaient de respecter leur objectif propre d'équilibre entre des recettes, les cotisations, et des dépenses.
Or, l'année dernière, le « trou de la Sécu », qui avait plus de vingt ans, était en passe d'être résorbé ; le solde allait donc potentiellement devenir excédentaire, alors même que la dette de l'État s'était creusée avec le temps. Parce que ce hiatus pouvait sembler difficile à comprendre en termes de gestion des politiques publiques, j'ai été le premier à soutenir que nous avions là l'occasion de montrer à l'État que la sécurité sociale pouvait être au rendez-vous en entérinant, à titre exceptionnel, une non-compensation partielle par un jeu d'écritures comptables pour lui permettre de réduire sa dette. Tout cela s'inspirait du rapport Charpy-Dubertret sur les relations financières entre l'État et la sécurité sociale, remis au Parlement en octobre 2018, donc très tardivement, juste avant l'examen du PLFSS 2019. Ce rapport s'inscrivait dans une logique de gestion des futurs excédents et proposait la fameuse règle du « chacun chez soi » : la baisse des cotisations ou la hausse des dépenses d'un budget doit être compensée au sein de ce même budget. L'application stricte de ce principe nous obligerait d'ailleurs, si tant est que ce soit là la doctrine dont le Parlement veuille se doter aujourd'hui, à demander la compensation comptable de plusieurs exonérations inscrites dans le PLFSS. Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir plus tard dans la discussion.
La situation est un peu différente cette année : pour des raisons mixtes – des départs à la retraite plus précoces et en plus grand nombre que prévu, mais aussi une situation économique un peu moins florissante que ce que l'on espérait –, la sécurité sociale sera en déficit, compensation ou non. Le Gouvernement propose d'acter la non-compensation d'un certain nombre de mesures, celles d'urgence, que je ne vais pas renier – j'en étais le rapporteur, et cette majorité est très fière de ce qu'elle a fait, qu'il s'agisse du taux intermédiaire de CSG pour les personnes qui en avaient besoin, de la prime exceptionnelle ou des autres mesures qui ont été adoptées en faveur du pouvoir d'achat des Français. La question est de savoir qui doit payer.
Il y a deux discours, en définitive – je sais que je suis un peu long, mais je n'interviendrai plus sur ce sujet qui fait couler beaucoup d'encre. Un discours très macroéconomique consiste à dire qu'il s'agit de toute façon d'argent public, que l'on parle du budget de la sécurité sociale ou de celui de l'État, et que le fait de souscrire un emprunt au nom de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ou de le faire au nom de l'État revient au même. Si l'on se situe, au contraire, dans une perspective microéconomique ou, plus exactement, centrée sur le budget de la sécurité sociale, comme le font les partenaires sociaux – ils se sont majoritairement exprimés contre le PLFSS, en raison de cet article du texte –, on peut se demander pourquoi l'État interfère dans la gestion de la sécurité sociale alors que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est respecté depuis dix ans et que les efforts demandés aux différentes branches ont produit des résultats satisfaisants du point de vue des équilibres financiers. On peut adopter l'un ou l'autre discours, mais vous savez où va mon penchant : j'ai une affection très forte pour la protection sociale.
Nonobstant ce que je viens dire, que se passerait-il si les amendements tendant à supprimer l'article 3 étaient adoptés ? L'article 35 du projet de loi de finances, qui a été adopté en commission des finances, prévoit que c'est à la sécurité sociale de financer les dépenses liées aux mesures d'urgence. Ces amendements ne feraient donc pas instantanément passer 2 milliards d'euros des caisses de l'État dans celles de la sécurité sociale. Le débat que nous avons est très sémantique. La non-compensation des mesures prévues en matière de forfait social n'est pas directement évoquée dans le cadre du PLFSS, mais elle sera entérinée en raison du croisement entre ce texte et le PLF.
Cela apporte, au demeurant, de l'eau au moulin de ceux qui nous disent que la situation est tellement compliquée qu'il faudrait peut-être fusionner, dans ces deux textes, les parties relatives aux recettes. On peut considérer qu'il faudrait aller vers une fusion, mais on peut aussi penser que l'on devrait clarifier en droit et graver dans le marbre des dispositions qui s'appliquaient jusqu'à présent mais qui peuvent être remises en cause. Sur ce sujet, j'essaie d'être attentif à ce que les députés de l'opposition et ceux de la majorité peuvent penser.
En tout état de cause, ne pas adopter l'article 3 ne reviendrait pas à transférer 2 milliards d'euros de l'État à la sécurité sociale – je l'ai dit. Cela pourrait envoyer un message sur le plan politique, ainsi qu'à un certain nombre de partenaires sociaux, mais cela ne changerait pas la donne en matière de comptabilité. Cela créerait, en revanche, une contradiction entre le PLF et le PLFSS qui pourrait nous obliger à revenir sur la rédaction de différentes dispositions au cours de la navette. On entre donc dans un débat très technique, et je ne suis pas sûr que les Français qui nous regardent le comprennent bien. Ce qui me paraît important est que nous avons augmenté le pouvoir d'achat des Français et que la sécurité sociale doit être indépendante du budget de l'État, dans la durée. Nous pourrons débattre du reste en séance publique, en présence du ministre du budget.