Mon propos ne vous surprendra pas puisque j'ai déjà eu l'avantage de le présenter en séance publique.
La France paie à l'Union 9 milliards d'euros de plus que ce qu'elle en reçoit. On pourrait y voir une oeuvre de solidarité, d'amour et de fraternité – pourquoi pas. Mais cela serait valable si nous y trouvions notre compte et si les principes auxquels notre pays est attaché étaient un tant soit peu respectés.
Mme Loiseau, d'heureuse mémoire ici, la première fois que j'avais présenté mes objections à cette contribution nette de 9 milliards d'euros, avait répondu que j'avais en quelque sorte le coeur sec : « Soyons clairs : déplorer le principe d'un solde négatif net pour la contribution française est désolant, monsieur Mélenchon. Oui, la France est un contributeur net, comme tous nos grands partenaires, d'ailleurs ; oui, au fur et à mesure des élargissements, les taux de retour des États fondateurs se sont dégradés. Mais ce solde net a un sens : c'est d'abord l'expression de la solidarité européenne avec des pays en rattrapage économique. La solidarité, vous savez, ce beau mot, ce principe sur lequel repose le projet européen tout entier ! » Je m'étais donc fait donner la leçon, sans trop sourire.
J'ai noté que Mme Loiseau avait changé d'avis puisque, le 11 avril, au cours de la campagne électorale, elle déclarait : « Les fonds européens que reçoivent les pays européens les plus pauvres visent à réduire les écarts de pauvreté entre les Vingt-huit. C'est très bien. Mais comment expliquer au contribuable français que la France est le deuxième plus gros contributeur au budget de l'Union européenne, et qu'on n'exige aucune contrepartie en matière sociale. Il n'est pas normal qu'un travailleur français fasse un chèque à la Hongrie, pour financer indirectement un dumping social dans ce pays. Exemple, la nouvelle loi sur le travail en Hongrie permet aux employeurs d'exiger jusqu'à 400 heures supplémentaires par an… payables trois ans plus tard. »
Je m'aperçois donc que certains arguments ont fait leur chemin et sont entendus. La question n'est pas de savoir si la France peut ou doit être solidaire ou pas. Évidemment, la France a toujours été solidaire, et je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd'hui, mais ce ne peut être qu'à l'intérieur d'un cadre qui soit respectueux des principes auxquels nous sommes attachés.
Notre présidente a rappelé que la dernière fois que nous nous sommes exprimés, cela a été pour demander que des efforts de convergence sociale et fiscale soient réalisés, nonobstant certains articles du Traité qui la rendent impossible. Il y avait donc bien une volonté politique, que nous attachions à notre contribution, car l'on n'imagine pas contribuer sans avoir aucun avis sur la finalité de ce que l'on fait.
Ma remarque est donc une protestation liée au fait que la France pourrait user de cette contribution nette pour obtenir un changement de comportement, notamment sur les questions de convergence sociale et fiscale. Nous disposons là d'un moyen de pression.
Ceci dit, si l'on met de côté les bonnes intentions, et que l'on en vient aux mouvements qui remplissent les caisses et qui les vident, on s'apercevra qu'au fil du temps, l'Union européenne, en proie à une idéologie bien connue de nous, a diminué la contribution réclamée aux entreprises et augmenté celle de l'État. Les droits de douane représentaient 30 % du budget de l'Union européenne et les contributions des États, 10 % non pas à sa fondation, mais en 1988. Les premiers représentent aujourd'hui 14 % et les seconds, 66 % du budget de l'Union. Nous sommes passés de 10 % à 66 %, alors que la contribution des entreprises baissait !
Et que personne n'objecte qu'il s'agit là de rendre le territoire de l'Europe plus attractif. Il n'en a pas besoin, il est naturellement attractif : c'est le premier producteur, le premier commerçant mondial. Par conséquent, content ou pas content, c'est ici qu'il faut vendre. Les entreprises acquittent donc ce qu'elles doivent payer, cela fait partie de leurs charges.
Deuxième remarque, s'agissant non plus de ce qui entre mais de ce qui sort, on peut dire que c'est la gabegie, le chaos, et que ceux qui nous donnent des leçons sont les plus mal placés pour le faire. À la fin de chaque cadre financier, il y a ce que la langue européenne appelle des restes à liquider, qui, n'importe où ailleurs, seraient qualifiés de déficits. Pour ce poste, nous sommes passés de 188 milliards d'euros à la fin du cadre précédent, en 2014, à 300 milliards d'euros en 2019. Ce n'est pas rien. C'est dire combien tout cela est bien géré : les 300 milliards d'euros représentent ni plus ni moins deux ans du budget de l'Union européenne. Par conséquent, on doit s'attendre à un nouvel écart à la fin de ce cadre pluriannuel.
Quand un pays, qui est régulièrement montré du doigt pour ses déficits, donne 9 milliards d'euros de contribution nette, il fait ce qui s'appelle une dépense somptuaire, dont il n'a pas les moyens.
Je regrette que l'on continue à consentir cette dépense sans exiger de contrepartie. Je ne dis même pas que ces 9 milliards d'euros devraient nous revenir – ils représenteraient plusieurs dizaines de milliers de postes d'enseignants et régleraient presque entièrement le problème de la mise à flot des établissements d'hébergement des personnes âgées (EHPAD) dans notre pays –, mais il faut au moins que l'Union tienne compte des exigences de la France sur les critères de convergence sociale et fiscale.
Je crois que j'ai à peu près tout dit de ce que j'avais à dire de désagréable sur le sujet. Cela doit vous remplir de joie de penser que parmi ces 9 milliards d'euros d'excédents, 6 milliards d'euros sont donnés aux Turcs, de manière à ce qu'ils gardent leurs frontières de la manière que vous savez à l'égard des immigrés qui souhaitent la franchir.