Je rejoins bien des critiques qui ont été formulées. Si on essayait un instant de prendre de la hauteur pour regarder ce qu'elles ont en commun, on s'apercevrait que, quel que soit notre point de départ en ce qui concerne le projet européen, nous arrivons maintenant à des exigences assez communes.
Si un point de vue français s'exprimait en Europe, la situation évoluerait autrement. Il y a un point de vue allemand dans les discussions : le gouvernement allemand, les députés et les cadres politiques de ce pays interviennent tous dans le même sens. Ils chassent en meute au Parlement européen, au sein duquel nous sommes un certain nombre à avoir siégé – vous ne me contredirez pas, madame de Sarnez… Tous ces acteurs sont toujours d'accord entre eux dès qu'on touche à des sujets relevant de leur Volksgeist, leur esprit public, notamment sur des points de doctrine économique.
Il y a également un certain nombre de points sur lesquels nous sommes tous d'accord, nous qui sommes français, nonobstant toutes nos oppositions. Je pense notamment à la place de l'État et aux solidarités sociales, même s'il y a des variations. Cela fait partie de notre vision de la vie en société. Or ce point de vue ne s'exprime jamais. Nous n'avons jamais fait de proposition au sujet de la laïcité, que nous avons tous à fleur de peau. Lors de la fameuse convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing, beaucoup de membres se sont regroupés par pays et par thèmes, mais les Français n'ont jamais fait la moindre proposition en ce qui concerne la laïcité. Il ne faut pas s'étonner de ne pas être entendu si on ne dit rien.
Vous avez manifesté des inquiétudes à propos de l'avenir, et vous avez raison. Les changements à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) font qu'il y a une majorité de responsables hostiles à la politique que M. Draghi avait fort heureusement imaginée en matière de facilités monétaires. Cela veut dire que la politique menée va être beaucoup plus restrictive en pleine période de récession, sous les applaudissements des banquiers allemands qui trouvent que c'est une bonne idée parce que cela garantit la stabilité de la monnaie – de leur monnaie – et qu'ils veulent une meilleure rétribution des fonds placés par les banques auprès de la BCE. Cela va donc aller plus mal : c'est une certitude. Comme on ne change rien aux autres politiques, on ne voit pas pourquoi la situation s'améliorerait.
La question de la politique agricole commune a aussi été évoquée. Ce n'est pas un cadeau accordé aux Français : nous donnons 21 milliards d'euros et nous en récupérons 14 milliards d'euros. C'est notre argent qui est utilisé d'une manière communautaire. La PAC a permis d'arriver en vingt ans à l'autosuffisance alimentaire, sauf pour une marchandise, le soja, que nous avons abandonnée au marché mondial. Il y a des leçons à en tirer alors que nous allons ouvrir les marchés et faire de l'ensemble des productions agricoles un marché comme les autres.
On voit quel est le résultat dans les urnes. Je me souviens des discussions que nous avions lorsque je siégeais, avec certains d'entre vous, au parti socialiste, à propos de l'entrée de dix pays en même temps au sein de l'Union européenne. On nous disait qu'on ne pouvait pas refuser à ces pays d'entrer, parce qu'ils l'espéraient tellement et qu'ils aimaient tant le projet européen. Regardez les taux d'abstention ! C'est absolument inouï : ils sont de 80 % dans certains pays de l'ex-Europe de l'Est. Cela veut bien dire que quelque chose a déraillé. Il est temps d'y remédier.
J'ajoute, car je n'ai pas indiqué ce chiffre tout à l'heure, que 9 milliards d'euros représentent 10 % de notre déficit : ce n'est pas une petite somme. C'est pourquoi je me suis permis de parler de contribution somptuaire.
Je connais la fermeté des convictions de mon ami Jérôme Lambert, qui a dit que cela fait des années qu'il demande des changements. Si rien ne bouge, il faut se poser une question : pourquoi ? Ce n'est pas parce que les gens sont méchants, mais tout simplement parce que les conditions ne permettent pas le changement. Nous sommes un peu au pied du mur. Or il est évident qu'il ne se passera rien, comme d'habitude. Jacques Delors m'a donné raison, une fois, au bureau national du parti socialiste, en disant qu'il fallait provoquer des crises. Le fait que Jacques Delors tombait d'accord avec moi était un événement de portée intergalactique (Sourires).