Intervention de Elsa Faucillon

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElsa Faucillon, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la recherche dans les domaines du développement durable, de la gestion des milieux et des ressources de la mission Recherche et enseignement supérieur :

S'il fallait résumer ce budget, je dirais que nous pouvons relever certains efforts financiers. Cependant, ils permettent essentiellement à la France de tenir des engagements internationaux. Voilà qui est louable, mais comment ne pas insister sur la faiblesse des moyens consacrés aux immenses défis du développement durable et des bouleversements climatiques ? S'il s'agissait réellement d'une priorité, nous devrions en voir la traduction dans ces chiffres et ces engagements ; or ce n'est pas le cas !

Un grand quotidien national note : « Depuis trois ans, le budget de la recherche augmente. Pourtant les chercheurs ne voient quasiment pas ces hausses ! » Les travaux que j'ai menés sur le budget consacré à la recherche dans les domaines du développement durable me conduisent malheureusement au même constat.

Les trois programmes de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (MIRES) verront leurs crédits augmenter à nouveau en 2020, de manière substantielle. Cependant, ni la recherche dans les thématiques d'avenir, ni les moyens d'action des opérateurs n'en seront renforcés. Bien au contraire ! Ces crédits supplémentaires iront presque en totalité compléter le financement des grandes infrastructures de recherche ou la mise en oeuvre d'engagements pris ces dernières années.

Il en va ainsi de l'abondement de 214 millions d'euros du programme 193 « Recherche spatiale », qui viendra enfin solder notre retard de paiement auprès de l'Agence spatiale européenne (ESA). Le complément de 118 millions d'euros promis au programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » financera l'impact, en 2020, des mesures salariales accordées en 2017 et du plan « Intelligence artificielle » lancé en 2018, ainsi que la poursuite du développement de plusieurs infrastructures de recherche. Le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » progressera de plus de 28 millions d'euros, pour préserver la recherche sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération.

Si ce projet de budget assume, heureusement, les répercussions des engagements passés, il ne traduit en rien des ambitions fortes en matière de transition énergétique. Pourtant, ces derniers temps, la mobilisation est grande, particulièrement au sein de la jeunesse, qui, à propos de l'urgence climatique, ne s'intéresse qu'aux actions !

Dans le domaine de l'énergie, c'est encore et toujours le nucléaire qui bénéficiera des quelques renforts financiers qui seront accordés au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Pour ses autres travaux dans les nouvelles technologies de l'énergie, comme pour les autres opérateurs de la mission, les dotations seront simplement maintenues à leurs niveaux actuels. La dotation allouée aux appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui sont censés constituer un levier stratégique et un soutien financier nécessaire à l'émergence des nouveaux projets de recherche, serait même en recul de 2 millions d'euros en 2020 !

Le contexte ne permet pas de se contenter de ces simples reconductions, ni, a fortiori, des baisses envisagées. Tout d'abord, les reconductions de crédits ne garantissent pas que les organismes de recherche reçoivent des subventions équivalentes à celles qui leur ont été versées en 2019. Les premières annonces font craindre que la mise en réserve soit supérieure en 2020, rognant un peu plus leur marge d'action.

Ensuite, depuis plusieurs années, les subventions pour charges de service public (SCSP) des opérateurs ne tiennent pas compte du renchérissement des dépenses de personnels qu'entraîne le glissement vieillesse technicité (GVT). Selon les calculs des ministères de tutelle, le manque à gagner s'élèverait à une trentaine de millions d'euros par an. Cette pression croissante sur leur masse salariale a contraint les organismes de recherche non seulement à renoncer à des recrutements plus que nécessaires, mais aussi à réduire leurs effectifs. Pour les seuls établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), 3 531 emplois ont été supprimés entre 2012 et 2018 !

Le rationnement des investissements de l'ANR est tout aussi destructeur : le taux de sélection des projets de recherche par ses appels à projets est de 16,2 % à la fin de 2018. Nous sommes encore loin des 20 % que voudrait atteindre le ministère de la recherche, et plus loin encore des 30 % recommandés par le groupe de travail sur le financement de la recherche et grandement réclamés par les laboratoires. Ce n'est pas la stagnation de ses crédits en 2020 qui améliorera la situation. Le fonctionnement de ces appels à projets est tel que seule une vraie augmentation des enveloppes dédiées permettrait une réelle augmentation des chances de sélection des projets portant sur les nouvelles énergies. Force est de constater que seule une vingtaine de millions d'euros est attribuée chaque année à l'ensemble des thématiques énergétiques, même si l'enveloppe globale est passée de 450 à 550 millions ; à peine 36 millions d'euros ont été consacrés, au total, entre 2014 et 2018, aux énergies renouvelables proprement dites.

De fait, les ministères reconnaissent que, tant du côté des appels à projets de l'ANR que des subventions versées aux opérateurs de recherche, les crédits fléchés vers les énergies renouvelables ne progressent pas, hors l'exception notable du nucléaire. Les seuls vrais investissements de l'État ces dernières années relèvent des plans d'investissement d'avenir, par l'intermédiaire des instituts publics-privés pour la transition énergétique (ITE) et le programme « Démonstrateurs », confié à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

Le crédit d'impôt recherche (CIR), censé stimuler la recherche et développement des entreprises privées, représente 6,5 milliards d'euros de manque à gagner pour l'État. Les opérateurs de la recherche pensent qu'il explique une partie des contrats que les entreprises passent avec leurs équipes. Cependant, il est impossible d'évaluer le soutien réel du CIR aux recherches dans les thématiques énergétiques, ni ce que les organismes publics perdraient si ce CIR était moins généreux, voire n'existait plus.

En tout état de cause, ces divers dispositifs et investissements sont concentrés sur des stades déjà avancés de la recherche et de l'innovation. Les verrous qui restent à lever et les nouvelles solutions à trouver pour accélérer la transition énergétique de notre pays nécessitent de renforcer aussi les efforts de recherche beaucoup plus en amont. Sur ce point, très clairement, le compte n'y est pas dans ce projet de budget pour 2020 ! J'émets donc un avis défavorable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.