Intervention de Antoine Herth

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 18h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth, rapporteur pour avis :

Votre introduction va me permettre de raccourcir ma présentation, puisque vous avez déjà commenté l'évolution du budget.

Pour la première fois depuis cinq ans, le commerce extérieur a apporté une contribution positive à la croissance en 2018, et il faut s'en réjouir. Les exportations de biens et de services représentaient alors 31 % de notre produit intérieur brut (PIB). L'importance du commerce extérieur fait l'objet d'une sous-estimation : une des personnes que j'ai auditionnées a souligné que les chiffres officiels tiennent compte des conteneurs échangés mais pas des colis, ce qui conduit à une nette sous-estimation du e-commerce dans les chiffres. De même, le commerce intrafirme passe totalement au-dessous des radars.

Le commerce est un secteur essentiel pour notre économie. Pourtant, comme vous l'avez indiqué, Monsieur le président, les crédits auxquels mon rapport est consacré sont en baisse. Les moyens prévus pour l'action n° 07, qui a pour vocation de financer l'activité de Business France, de rémunérer Bpifrance Assurance Export et d'apporter un financement aux événements internationaux, s'élèveront à 143,8 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, contre 150 millions d'euros l'année dernière et 154 millions d'euros en 2018. Les conséquences seront évidemment importantes.

Business France, principal opérateur de la mission « Économie », est en charge du développement international des entreprises françaises, des investissements internationaux en France et de la promotion économique de notre pays. La subvention pour charges de service public de cette structure sera ramenée à 90 millions d'euros en 2020. Par ailleurs, la diminution du plafond d'emplois se poursuivra : une baisse de 20 équivalents temps plein travaillé (ETPT) est prévue. Cette réduction des moyens s'inscrit dans le cadre du nouveau contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens entre l'État et Business France pour la période 2018-2022. La subvention pour charges de service public prévue dans le cadre de l'action n° 01 du programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », de la mission « Cohésion des territoires », n'est pas encadrée par ce contrat, mais elle sera également en baisse – de 1 million d'euros. Il y a donc une forme de « double peine » pour Business France. Néanmoins, cet opérateur estime avoir aujourd'hui les moyens de mener à bien la mission qui lui a été confiée, et cela correspond à ce que j'ai pu constater.

En ce qui concerne Bpifrance Assurance Export, la réduction de la rémunération qui est prévue suscite des interrogations, et je crois d'ailleurs que des amendements ont été déposés à ce sujet.

Dans l'immédiat, je m'en remets à la sagesse de la commission pour les crédits de la mission « Économie » en ce qui concerne le commerce extérieur.

Dans la continuité du rapport que j'ai remis l'année dernière, je me suis plus particulièrement intéressé à la mise en place de la « Team France Export », qui contribue à créer un parcours véritablement cohérent pour l'accompagnement de nos entreprises à l'export. Il est évidemment trop tôt pour faire un bilan définitif, mais j'ai pu constater que l'état d'avancement et les premiers résultats de ce dispositif étaient satisfaisants et même très prometteurs.

Je souhaitais également travailler sur la situation de la filière automobile en matière d'exportation mais l'actualité m'a finalement conduit, en accord avec notre président, M. Roland Lescure, à examiner la situation de la filière agricole et agroalimentaire au regard des discussions commerciales les plus récentes ou à venir.

Vous connaissez le principe qui a inspiré la création de la « Team France Export » : cette réforme, souhaitée par le Premier ministre, a pour objet de réorganiser et de rationaliser, à l'échelle régionale – ce sont les régions qui sont politiquement chargées de ce projet – mais aussi au plan international, les différents dispositifs et acteurs contribuant à l'accompagnement des entreprises à l'export. Cela doit permettre de créer un interlocuteur identifié et un parcours continu pour les entreprises, des territoires dans lesquels elles s'inscrivent jusqu'aux marchés qu'elles convoitent à l'étranger : c'est une véritable chaîne qui doit accompagner nos entreprises. L'animation du dispositif fait appel à Business France, au réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et à Bpifrance.

La mise en oeuvre de la réforme est très satisfaisante à ce stade. Toutes les régions se sont inscrites dans la nouvelle démarche, et les dernières signatures de conventions sont sur le point d'avoir lieu. Ce sera le cas pour l'Occitanie à l'occasion du forum « Destination International » qui aura à Toulouse le 26 novembre prochain, et la région Grand Est doit également signer une convention avant la fin de l'année. À l'étranger, 74 pays sont actuellement couverts, soit par des bureaux de Business France, soit par le biais de concessions de service public – cela représente 61 pays –, soit par le référencement d'opérateurs privés qui peuvent accompagner les entreprises.

La réforme comprend aussi un volet numérique. Je vous invite à visiter la nouvelle plateforme (www.teamfrance-export.fr), qui est vraiment une mine d'informations. Le site, qui a été testé dans les régions Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes au printemps dernier avant d'être généralisé, a déjà reçu 25 000 visites en trois mois.

Le nouveau dispositif a été très bien accueilli dans l'ensemble, et il porte déjà ses fruits : on sent un frémissement en ce qui concerne la mobilisation des entreprises à l'exportation.

J'ai également choisi de faire le point, dans mon rapport, sur la situation des filières agricoles en matière d'exportation et sur les conséquences, pour elles, des accords de libre-échange récemment ratifiés ou en cours de négociation. Les tensions que nous avons observées cet été à propos du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) imposent de prendre du recul et de maintenir un débat apaisé entre les professionnels et la Représentation nationale. J'ai reçu, pour préparer ce rapport, les représentants de sept filières.

On insiste souvent sur l'idée que le secteur agricole et agroalimentaire est le troisième poste excédentaire de notre balance commerciale, derrière le secteur aéronautique et spatial et la chimie. La filière agricole est, en effet, un des points forts de nos exportations mais ce constat doit être nuancé : l'agriculture française souffre d'un déficit de compétitivité-prix et de contraintes structurelles propres. Un rapport sénatorial a récemment conduit à tirer la sonnette d'alarme : sans le vin et les spiritueux, la France n'aurait pas d'excédent commercial dans le domaine agroalimentaire et, au rythme actuel, notre excédent sera nul en 2023. Nous devons donc être particulièrement attentifs à la situation de l'agriculture.

J'ai interrogé plus particulièrement mes interlocuteurs sur trois sujets : le CETA, l'accord avec le Mercosur et le Brexit, dont on ne sait ni quand, ni dans quelles conditions il aura lieu.

Les exportations représentent 40 % du chiffre d'affaires de la filière des vins et spiritueux. Les premiers effets du CETA sont très profitables dans ce domaine et l'accord avec le Mercosur est perçu le seul moyen de faire sauter le verrou du protectionnisme pour accéder à ce marché. Le Brexit suscite peu d'inquiétudes pour l'instant, exception faite de l'hypothèse où la Grande-Bretagne s'enfoncerait dans une récession économique qui nuirait à l'achat de vins français.

Le secteur céréalier exporte la moitié de sa production. Le CETA n'a pas d'impact sur cette filière pour l'instant. S'agissant du Mercosur, les professionnels craignent que la confrontation avec les conditions de production nettement différentes qui existent en Amérique latine, comme le recours aux organismes génétiquement modifiés, l'usage massif de pesticides et même la déforestation, crée un choc de compétitivité ou conduise, en tout cas, à une situation dans laquelle on ne pourrait pas aligner les coûts. Enfin, la filière céréalière pourrait souffrir indirectement des effets du Mercosur et du Brexit sur les filières porcines et avicoles, qui constituent pour elle un débouché important.

Le secteur sucrier français présente une particularité par rapport à celui de nos voisins européens : il est fortement orienté à l'exportation et donc particulièrement sensible à tout ce qui se passe sur les marchés internationaux. Mes interlocuteurs ont regretté que les droits anti-subventions, d'un niveau important, qui ont été établis en 1995 par le Canada pour les exportations de sucre blanc de l'Union européenne n'aient pas été levés dans le cadre de la négociation du CETA, et il y a aussi des interrogations sur la traçabilité de l'éthanol américain qui pourrait transiter par le Canada. L'accord avec le Mercosur fait office de « chiffon rouge » pour ce secteur, le Brésil étant le pays le plus compétitif en matière de production de sucre. Cet accord pourrait menacer l'ensemble de la production européenne, selon la manière dont il est mis en oeuvre.

J'en viens aux filières de la production animale.

Nous avons beaucoup entendu parler de la question des bovins cet été : la plus grande vigilance est de mise, car ce secteur est mal préparé à une confrontation avec le commerce international. Les entreprises situées en aval, notamment les abattoirs, sont peu mobilisées pour chercher de nouveaux débouchés, et la filière n'est pas homogène – il y a l'élevage allaitant mais aussi les sous-produits de l'élevage laitier. Ce secteur ne peut pas se moderniser facilement, car il est directement lié à nos terroirs – cela fait la qualité et la beauté de nos paysages, mais on ne peut pas chercher des gains de productivité considérables. Dans ces conditions, l'accord avec le Mercosur inquiète beaucoup. L'arrivée massive d'aloyaux sud-américains sur le marché européen pourrait totalement déstabiliser la production. Il faut vraiment avoir ce secteur à l'oeil.

La filière de la viande porcine se trouve dans une situation atypique. Les prix sont actuellement très élevés en raison de la peste porcine africaine, qui sévit en Chine. Ce pays s'est mis à importer massivement des produits européens, mais la filière reste prudente : le soufflé pourrait très vite retomber, si je peux m'exprimer d'une manière triviale. En ce qui concerne le Mercosur, il y a aussi des inquiétudes liées à un éventuel choc de compétitivité.

Le secteur de la volaille est clairement menacé, non par le CETA mais par l'accord avec le Mercosur. Nous pâtissons déjà, au sein de l'Union européenne, de fortes importations en provenance de la Thaïlande et de l'Ukraine. Le Brexit pourrait agir comme une sorte de bombe à fragmentation : des contingents négociés dans le cadre des accords commerciaux devront être répartis au sein d'une Union Européenne à vingt-sept et les producteurs européens risquent de perdre l'ensemble de leurs exportations vers la Grande-Bretagne – l'enjeu est d'un million de tonnes. C'est un sujet très grave sur lequel le ministre de l'agriculture nous a alertés à plusieurs reprises.

Le secteur laitier, en dernier lieu, a plutôt perdu des parts de marché à l'exportation et il porte donc un regard plutôt positif sur les accords commerciaux qui lui permettraient d'avoir de nouveaux marchés à l'export. En ce qui concerne le Brexit, le secteur laitier écoule 730 millions de litres en Grande-Bretagne, soit 3 % de la collecte française, ce qui représente 600 millions d'euros. L'enjeu peut paraître marginal, mais une baisse de 3 % peut totalement déstabiliser un marché – on l'a constaté lors de la suppression des quotas laitiers.

Je demeure convaincu, au terme de mes travaux, que les échanges commerciaux, « le doux commerce » cher à Montesquieu, sont un élément indispensable à la santé économique et au rayonnement de notre pays. À nous de nous donner les moyens de nos ambitions, notamment en matière budgétaire, et de défendre l'idée que les accords improprement dits de « libre-échange », qui établissent en réalité des règles du jeu pour le bon déroulement du commerce international, n'ouvrent pas un espace sans réglementation mais sont destinés à encadrer le commerce, comme en témoignent la reconnaissance des indications géographiques et la fixation de contingents, qui sont là pour protéger les productions européennes particulièrement sensibles.

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