Les indications géographiques protégées (IGP) sont prévues depuis longtemps dans le cadre de l'accord de Marrakech, Monsieur le président, mais cette protection n'est pas bien transcrite dans les droits nationaux. Les accords multilatéraux, comme le CETA, sont plus protecteurs. L'État canadien s'engage à mobiliser ses moyens juridiques et administratifs pour garantir la protection des IGP listées dans l'accord. Il existe des dérogations pour des appellations utilisées historiquement par des entreprises canadiennes, qui bénéficient d'une période de transition pendant laquelle elles ont le droit de continuer à utiliser leurs appellations – je pense, par exemple, à l'appellation « Comté ».
Je partage l'analyse de Mme Beaudouin-Hubiere. Je ne souhaitais pas émettre un avis sur le Mercosur, mais réaliser une exploration en partant du point de vue de différentes filières. On a vu cet été que certains acteurs, les plus mécontents, parlaient fort, tandis que d'autres s'exprimaient moins ou laissaient entendre que l'accord n'était pas si mauvais. J'ai essayé de vous livrer un kaléidoscope, une sorte d'album de photographies, en étant conscient que mon travail n'est pas complet – il manque notamment la filière des fruits et légumes.
Indépendamment des aspects liés au commerce extérieur, un des motifs de mécontentement des éleveurs est que l'augmentation de la consommation de viande bovine que l'on observe depuis deux ans – c'est une nouveauté, car la consommation, jusque-là, n'avait pas cessé de diminuer – n'a aucun impact sur le prix pour les producteurs. Lorsque la demande progresse plus vite que l'offre, le prix doit normalement augmenter, mais ce n'est pas ce que l'on constate. Il y a donc une création de valeur qui se perd quelque part dans la chaîne de transformation et de distribution. Au-delà de la question de la concentration des outils, il faut réfléchir à la transparence de la chaîne, de la ferme au consommateur, afin que les producteurs puissent bénéficier des prix qui doivent leur revenir.
C'est un sujet dont j'ai clairement parlé avec les représentants des éleveurs bovins. Je leur ai demandé s'il ne faudrait pas créer une espèce de cadran, comme celui de Plévin pour l'élevage porcin, afin de mesurer en temps réel l'équilibre entre l'offre et la demande. Mes interlocuteurs m'ont répondu qu'il faut certainement imaginer quelque chose, mais qu'un cadran a aussi des inconvénients : quand il y a un déséquilibre très fort, les prix chutent très vite. Il y a néanmoins une question qui se pose. Si on veut que les éleveurs soient convaincus que l'ouverture aux exportations est une bonne chose pour eux, il faut qu'ils puissent le constater lorsqu'ils regardent leurs revenus – sinon ils n'y croiront jamais. Pour ma part, je partage leurs inquiétudes.
Mme Pinel a souligné que la réduction du déficit de la balance commerciale est notamment due au fait que l'énergie coûte moins cher. C'est une réalité, mais je voudrais vous faire part d'un autre élément. Un de mes interlocuteurs, le directeur général de Business France, m'a dit que le déficit commercial français correspond, presque à l'euro près, à la somme des dividendes versés par les filiales des industries françaises à leurs maisons mères. Les entreprises françaises ont davantage délocalisé leur production – cela a été dit tout à l'heure – que les entreprises allemandes. Il y a une logique : personne n'imaginerait acheter un véhicule automobile allemand haut de gamme, d'un prix très élevé, sans avoir la garantie qu'il est fabriqué avec le soin dont on sait que les industriels allemands font preuve. Or cela ne concerne pas les produits français qui se situent à un autre niveau de gamme. Notre économie n'est pas si malade qu'on le dit parfois : elle est organisée différemment. Il est vrai, néanmoins, comme je le souligne dans mon rapport, que nous avons des marges de progression considérables en matière d'exportation. Seulement 20 % des PME françaises se tournent à l'export alors que 80 % de leurs homologues participent à une stratégie d'exportation en Allemagne. C'est l'objet de la création de la « Team France Export », qui va réellement dans le bon sens.
Mon propos n'était pas de trancher entre les avantages et les inconvénients, dans une sorte d'anticipation d'un futur rapport sur la ratification de l'accord avec le Mercosur ou d'autres accords commerciaux. Comme nous avons senti qu'il y a de très fortes tensions dans le monde agricole, je voulais simplement faire une photographie de la situation et de la manière dont le défi de l'exportation est ressenti. Je vous livre une matière première, et je laisse chacun apprécier ce qui peut constituer des avantages ou des inconvénients pour l'économie française ou certaines circonscriptions.
J'ajoute qu'on parle de contingents négociés de 67 000 tonnes pour la viande bovine avec le Canada et de 18 000 tonnes pour la volaille dans le cadre du Mercosur – je cite des ordres de grandeur –, alors que l'enjeu du Brexit est d'un million de tonnes pour le secteur de la volaille, soit l'équivalent de l'ensemble de la production française, dont je rappelle qu'elle est la plus chère d'Europe. Il n'y a pas que les accords commerciaux dont nous avons déjà eu l'occasion de débattre : le Brexit constitue une véritable bombe à retardement qui peut totalement déstabiliser la production française et, plus généralement, européenne. Je souhaitais aussi émettre ce signal d'alerte à travers mon rapport.
Notre commission a prévu d'organiser, le 29 octobre prochain, une table ronde sur la manière dont l'administration française se prépare à faire face au Brexit. Nous souhaitions qu'une deuxième table ronde porte sur certaines filières particulièrement exposées, mais ce n'est pas possible pour des raisons de calendrier. Il faudra organiser très vite une telle réunion, étant entendu que nous pourrons mieux mesurer l'impact économique lorsque nous connaîtrons les règles qui régiront le Brexit.