Le budget est marqué par la volonté de renoncer à différentes recettes : les exonérations s'élèvent à 66 milliards d'euros, soit environ 13 % du total. Non seulement nous sommes enfermés dans une politique d'exonérations massives qui nous interdit d'affronter l'incurie de la baisse incessante de la rémunération du travail, mais le Gouvernement décide d'enfreindre le principe de compensation intégrale et de faire supporter à la sécurité sociale des charges indues, ce qui n'est pas neutre pour le déficit budgétaire.
Nous connaissions un système où c'était la cotisation sociale qui finançait la sécurité sociale et garantissait les droits collectifs de ses propriétaires. Nous sommes passés à un système où elle est de plus en plus financée par l'impôt, et arrive désormais ce qui devait arriver : l'impôt vient à faire défaut et nos droits sont de moins en moins garantis. J'admire parfois, mais pas longtemps, la patience et la créativité des libéraux…
Cependant, les recettes progressent plus vite que les dépenses. Où va donc la différence, puisqu'elle ne sert pas à améliorer les prestations ? Au remboursement accéléré de la dette liée à la crise financière de 2008, que vous espérez porter cette année à 17 milliards d'euros, après avoir versé 11,7 milliards l'année écoulée.
La sécurité sociale est donc potentiellement excédentaire, mais une sécurité sociale en déficit permet de justifier son rabougrissement, et les assurés sociaux payent en affaiblissement de droits les largesses octroyées aux possédants.
Cette politique de la brochette, qui ajoute chaque année de nouvelles exonérations, provoque des dégâts monumentaux dans la société. Depuis trois ans, la protection sociale prend cher. Déjà se prépare une réforme des retraites destinée à porter atteinte aux garanties des droits et que le Président, inquiet, essaye d'imposer par un discours d'intimidation.
De son côté, l'hôpital n'en finit plus de s'abîmer dans une crise dont vous ne prenez pas la mesure. Les calculs sont vite faits : au lieu d'une nouvelle dynamique, c'est une compression de dépenses de 1 milliard d'euros qui est demandée, s'ajoutant aux 2,3 milliards des deux années précédentes. Cela n'est pas sérieux, cela n'est pas réaliste. L'hôpital public n'est pas en état de supporter un nouveau choc.
Il se murmure dans les couloirs qu'un train peut en cacher un autre, que vous auriez gardé une poire pour la soif, une réserve pour les mauvais jours, et que ce budget de défiance et de déni serait destiné à être amodié selon l'ampleur des mobilisations de novembre. Ce serait une stratégie détestable, obligeant les personnels à se mobiliser plus encore pour obtenir ce qui leur est dû, visant à limiter leurs justes exigences, et qui se doublerait au passage de mépris vis-à-vis du Parlement.
En tout état de cause, vous devrez entendre les personnels et les patients, vous devrez garantir les soins et le droit à la santé. Vous devez revoir votre copie sans tarder.
S'agissant du soutien à l'autonomie, vous prévoyez près de 350 millions d'euros pour les EHPAD, ce qui n'est pas rien mais demeure bien loin des besoins chiffrés par le rapport de Dominique Libault.
Enfin – la critique ne vaut que si elle sait aussi reconnaître les points positifs – , votre projet de loi, comme pour demander pardon, comporte quelques bonnes mesures. Je salue ainsi la traduction en droit d'une idée que j'avais défendue dans une proposition de loi cosignée par les députés communistes et les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine : l'indemnisation du congé de proche aidant. Il s'agit, pour les millions de personnes aidantes, d'une première avancée sociale, obtenue grâce à la mobilisation des associations qui s'efforcent de faire avancer la cause des aidés et des aidants.
Mais vous reconnaîtrez avec moi que ces quelques mesures pèsent peu dans la balance. Nous sommes d'autant plus inquiets que la pente que vous faites suivre à la sécurité sociale la fragilise singulièrement, alors qu'elle est un élément fondamental de la République sociale.