Le budget de la justice s'inscrit cette année dans un contexte particulier : celui de la mise en oeuvre de la loi de programmation des finances publiques et de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Les moyens du ministère de la justice augmentent de près de 3 % en 2020, avec 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à la loi de finances pour 2019, même s'il ne nous a pas échappé qu'il manque près de 200 millions d'euros par rapport à ce qui était prévu dans la loi de programmation, en raison d'importants retards de chantiers de constructions de prisons sur l'ensemble du territoire.
Madame la garde des sceaux, nous avons bien entendu vos explications de cet énorme retard. Cependant, cela n'efface pas nos inquiétudes. Pouvez-vous bien confirmer que cette somme sera créditée l'an prochain et que les engagements d'exécution du plan pénitentiaire seront bien honorés ?
Les crédits supplémentaires de la mission sont essentiellement consacrés à l'administration pénitentiaire, dans le cadre du plan immobilier dit « des 15 000 », c'est-à-dire visant à 15 000 créations de places à l'horizon 2027. Ils permettent également la création de 1 000 emplois afin d'étoffer les effectifs des équipes de surveillants et de développer les politiques d'insertion. On ne peut que saluer ces efforts en faveur de la modernisation du service public pénitentiaire. Je note en particulier qu'un crédit de paiement de 14 millions d'euros a été ouvert afin de permettre de commencer en 2020 les travaux de construction du centre pénitentiaire de Koné.
Cependant, l'enveloppe consacrée à la maintenance annuelle, d'un montant de 110 millions d'euros, ne couvre pas le Camp Est, centre pénitentiaire de Nouméa dont vous connaissez la vétusté – il a bien besoin d'une rénovation ambitieuse – , pour lequel un nouveau schéma directeur doit être adopté ou au moins présenté d'ici à la fin de l'année. J'ai donc déposé un amendement pour tenter de corriger cet oubli.
La hausse de crédits est louable ; il faut toutefois nuancer cette appréciation pour plusieurs raisons.
En premier lieu, les efforts portent essentiellement sur la construction d'établissements pénitentiaires, au détriment d'autres aspects de la justice. Ainsi, selon nous, le budget ne consacre pas suffisamment de moyens au milieu ouvert, seules 2 000 places en structures d'accompagnement vers la sortie étant prévues. L'un des objectifs affichés de la réforme de la justice était pourtant bien de mettre fin aux peines d'emprisonnement de courte durée et d'abaisser le seuil d'aménagement des peines d'emprisonnement.
En second lieu, nous constatons que l'accès au droit reste le programme le moins bien loti de la mission. Or la multiplication de réseaux judiciaires de proximité demeure une nécessité sur tous les territoires.
Les prévisions pour le programme 166 « Justice judiciaire » suscitent également des incompréhensions. Sur le plan pénal, la nouvelle politique des peines doit être mise en place et un plan de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance économique et financière est annoncé. Pourtant, les crédits de l'action 02 « conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales » diminuent de 27 millions d'euros.
Les crédits alloués à l'action 07 « Formation » accusent également une baisse, de 9 millions d'euros, malgré la demande récurrente des personnels de justice d'être mieux formés.
J'en viens à une autre priorité de ce budget : la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants et la réforme de la justice pénale des mineurs, champ extrêmement sensible. Je me félicite que l'ordonnance sur le code de la justice pénale des mineurs, qui entrera en vigueur en octobre 2020, ait pris en compte les spécificités locales en Nouvelle-Calédonie, en impliquant les instances coutumières, conformément à l'avis formulé par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, la loi de programmation et de réforme pour la justice a autorisé le travail d'intérêt général en milieu coutumier, disposition dont le décret d'application est imminent. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous confirmer que des moyens seront prévus dès l'année prochaine pour la mise en oeuvre de cette disposition ?
Je souhaite également vous interroger sur la création de la peine de réparation citoyenne. Celle-ci permet de responsabiliser les parents de mineurs récidivistes, en leur faisant effectuer, avec leur enfant, une sorte de peine d'intérêt général, dans des structures d'accueil publiques ou auprès d'associations agréées. Un récent rapport de la commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale, remis par les députés Jean-Michel Fauvergue et Christophe Naegelen, a suggéré d'instaurer ce type de peine. Le Gouvernement est-il favorable à une telle expérimentation ?
Enfin, l'aide aux victimes d'infractions pénales bénéficiera en 2020 d'un budget de 28,8 millions d'euros, soit une hausse de 500 000 euros. Ces crédits seront nécessaires pour mettre en oeuvre le Grenelle contre les violences conjugales, dont le travail arrive à son terme. Une interrogation demeure : nous venons d'adopter la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, déposée par notre collègue Aurélien Pradié, laquelle prévoit un accès facilité au téléphone grave danger. Le budget qui lui est alloué permettra-t-il de faire face aux demandes ? Par ailleurs, le dispositif du bracelet anti-rapprochement nécessiterait 5,6 millions d'euros de crédits supplémentaires la première année ; or la mission correspondante ne prévoit rien. Je déposerai donc un amendement tendant à ouvrir ces crédits dans le projet de loi de finances, car il est urgent de protéger les femmes victimes de violences conjugales.
En définitive, bien que le groupe UDI, Agir et indépendants regrette que l'effort n'ait pas été mieux réparti – je songe notamment à l'accès au droit et aux alternatives aux poursuites – , nous émettons un avis favorable sur les crédits de la mission « Justice ».