Un marronnier, vous le savez, n'est pas qu'un arbre : dans le jargon journalistique, c'est un sujet qui revient chaque année à la même époque et sous le même angle de traitement. C'est un peu redondant et pourtant, bizarrement, on ne s'en lasse pas… S'agissant du programme 148, qui regroupe les crédits alloués à la direction générale de l'administration et de la fonction publique, la DGAFP, afin qu'elle mène son action interministérielle en matière de gestion des ressources humaines publiques, le marronnier peut se résumer en une question que nous nous posons invariablement à chaque automne budgétaire : « la DGAFP va-t-elle enfin devenir la DRH – la direction des ressources humaines – de l'État que nous appelons de nos voeux ? »
Dans un premier temps, je dirais que le PLF pour 2020 nous offre quelques signaux encourageants. Le programme 148 se voit doté de 211 millions d'euros, soit une augmentation de 2,74 % par rapport à 2019. Cette légère augmentation se traduit par au moins trois bonnes nouvelles pour les agents publics et pour la GRH – la gestion des ressources humaines – publique.
La première d'entre elles porte sur l'articulation des temps de vie des agents, grâce à la revalorisation et à l'extension du CESU – le chèque emploi service universel – , pour la garde des jeunes enfants, qui bénéficiera à 36 000 nouveaux agents, mais aussi à l'augmentation des réservations de berceaux en crèches, mille places supplémentaires étant offertes aux agents en 2020.
La deuxième bonne nouvelle concerne les conditions de vie des agents, avec le triplement des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence. Cette dotation, qui vise à répondre aux situations d'urgence sociale ou professionnelle que connaissent les agents en leur permettant de bénéficier d'un logement temporaire, passe de 310 000 à 1 million d'euros en 2020. Au-delà du logement, c'est aussi la mobilité des agents qui est favorisée avec le déploiement du forfait mobilité durable à hauteur de 200 euros par an pour soutenir les mobilités douces.
La troisième bonne nouvelle a trait à l'égalité professionnelle, déclarée grande cause du quinquennat. Dans le sillage des engagements pris en 2018 dans le cadre du protocole d'accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, le projet de loi de finances pour 2020 crée un fonds pour l'égalité professionnelle, doté d'1 million d'euros, qui soutiendra des projets visant à favoriser l'égalité et à lutter contre les discriminations et les pratiques sexistes.
Quelques bonnes mesures relatives aux ressources humaines font-elles pour autant une véritable politique des ressources humaines de l'État, jouant à plein son rôle, à savoir donner aux agents les moyens de relever les défis de la transformation des services publics tout en s'épanouissant dans leur travail ?
Cette année, nous avons adopté un texte important, la loi du 6 août portant transformation de la fonction publique. Elle constitue à n'en pas douter un progrès sur les deux volets de la GRH publique que sont le dialogue social, d'une part, et la formation et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d'autre part. De même, nous progressons en matière de prévention des risques psychosociaux et de santé au travail, deux domaines dans lesquels vous avez pris des engagements il y a quelques jours, monsieur le ministre, à la suite du rapport que vous a remis ma collègue Charlotte Lecocq.
Il reste cependant beaucoup à faire concernant au moins trois volets, afin de couvrir l'ensemble du champ d'intervention d'une véritable politique générale des ressources humaines.
Sur le volet du recrutement d'abord, malgré la mise en place de la plateforme de l'emploi public, nous restons très loin d'une véritable politique d'attraction et de rétention des talents. Nous n'avons toujours ni marque ni stratégie de marque employeur identifiée et nos outils de recrutement sont inadaptés face à la crise des vocations qui vide les salles de concours.
Sur le volet de la diversité ensuite – j'y reviendrai plus tard – , notre façon de recruter et de fabriquer les futurs leaders publics, notamment par l'ÉNA, l'École nationale d'administration, est un échec en matière de diversité sociale et géographique, alors même que nous connaissons l'importance d'avoir une fonction publique, surtout, une haute fonction publique, ressemblant aux Français. Nous devons mener une véritable politique de diversité qui traite notamment de questions encore taboues comme les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ou les croyances religieuses.
Troisième volet, enfin : la gouvernance des ressources humaines. La création de comités de pilotage ne suffira pas à faire de la DGAFP une véritable DRH de l'État. Il est temps, à mon sens, de revoir le décret de décembre 2016 et d'avoir le courage de mettre au débat ce qui constitue la pierre angulaire de la légitimité de toute direction des ressources humaines : la définition et la maîtrise de la politique de rémunération. Tant que la DGAFP ne pilotera pas effectivement la masse salariale de l'État et que nous ne mènerons pas une politique de rémunération moderne, cette direction souffrira d'un déficit de légitimité. J'ai, avec ma collègue Cendra Motin, déposé cette année une proposition de résolution visant à prévoir un jaune budgétaire sur le pilotage de la masse salariale. Nous avons également proposé de désigner de véritables responsables de la rémunération et des avantages sociaux dans les ministères et, au-delà, de créer un système d'évaluation équitable et efficace de reconnaissance de l'effort individuel et collectif.
Si nous nous attelons à ce chantier fondamental qu'est la politique de rémunération, j'ai bon espoir que l'année prochaine, au lieu de planter un nouveau marronnier, nous posions enfin la première pierre d'une véritable DRH de l'État !