Je ne peux que réitérer les interrogations et les doutes que m'inspire depuis plusieurs exercices la lecture des programmations du ministère de la justice.
Le budget pour 2020 s'inscrit dans la continuité des exercices précédents : il affiche une inflation des moyens et gage l'amélioration des performances de la justice sur des réformes procédurales d'une portée encore très incertaine. Pour être inédit, le niveau des crédits et des emplois n'en laisse pas moins entière une question essentielle : permettent-ils de satisfaire les besoins fondamentaux du service public de la justice et des justiciables ?
En premier lieu, on s'étonnera de ce que le projet de loi de finances pour 2020 tende à s'affranchir de la trajectoire budgétaire approuvée dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Alors que nous avons voté ce texte il y a sept mois à peine, nous ne sommes qu'à la moitié des 400 millions d'euros supplémentaires prévus ! La ministre de la justice nous a expliqué hier, en commission des lois, que l'écart est lié à des problèmes dans le déroulement des opérations. Mais, dans ce cas, on peut s'interroger sur la sincérité même de la loi de programmation ! Ce n'est pas dans l'intervalle des sept mois que la ministre a découvert ces éléments.
En second lieu, nous constatons que la maquette de performance pour 2020 marque peu d'inflexions significatives du point de vue des indicateurs censés évaluer le fonctionnement de la justice. Leur amélioration se révèle souvent conditionnée par les réalisations attendues de la loi de programmation. D'ailleurs, l'adaptation de la maquette de performance aux nouveaux objectifs rend parfois difficile toute prévision, faute d'outils capables de consolider des données jusque-là inexistantes ou peu exploitées. On nous renvoie à la loi de programmation, sans se doter des moyens qu'elle avait prévus…
En ce qui concerne la justice judiciaire, les délais moyens de traitement des procédures civiles reculent de manière très limitée. En fait, il n'y a pas vraiment d'amélioration. Le projet annuel de performance se révèle très prudent quant à l'impact de trois mesures touchant à l'organisation judiciaire : la constitution des pôles sociaux des tribunaux de grande instance au 1er janvier 2020, qui affecte directement la charge de travail des cours d'appel ; la création des tribunaux judiciaires ; l'organisation d'un contentieux de la protection.
Pour ce qui est de l'administration pénitentiaire, on peut sans doute se féliciter de la volonté affichée de maintenir la qualité de la prise en charge des personnes placées sous main de justice. Néanmoins, le projet annuel de performance n'offre la perspective que d'une réduction relativement limitée de la surpopulation carcérale. On est bien loin des 15 000 places promises par le candidat Macron. Sans doute espère-t-il un deuxième mandat pour réaliser sa promesse ! La volonté d'atteindre de tels objectifs était-elle réelle ou la ministre de la justice ne respecte-t-elle pas les objectifs fixés par le Président de la République ?
En dernier lieu, je ne peux qu'appeler à la nécessaire vigilance quant à l'évolution des dépenses exposées pour l'aide juridictionnelle. Certes, l'augmentation des autorisations d'engagement et des crédits de paiement du programme 101 découle essentiellement de l'affectation au budget général de deux ressources attribuées jusque-là au Conseil national des barreaux (CNB), à savoir le prélèvement sur la taxe spéciale sur les conventions d'assurance et le produit de certaines amendes pénales. En outre, à périmètre constant, le montant des crédits recule de 13 millions d'euros, compte tenu de deux facteurs : une hausse moins importante que prévu de la dépense tendancielle ; une ressource exceptionnelle de 9 millions d'euros. Cela étant, là aussi, les effets potentiellement inflationnistes de la réforme menée entre 2015 et 2017 demeurent. Je dois dire que la garde des sceaux n'a pas vraiment apporté d'éléments de réponse aux questions que j'ai posées hier.
Du fait de plusieurs doutes qui subsistent, je préconise l'abstention dans le vote sur les crédits de la mission. Il n'est pas normal que six mois après la promulgation de la loi de programmation, le Gouvernement ne respecte pas ce que le Parlement a voté. Cela pose la question de la crédibilité de la parole gouvernementale. Je tiens à alerter l'ensemble des commissaires sur cette situation anormale et sur le fait que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements.