J'ai le plaisir de rapporter pour avis pour la première fois cette année les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités ».
Pour ce faire, j'ai auditionné à la fois les administrations – directions générales de la police nationale, direction générale de la gendarmerie nationale, préfecture de police – et les représentants des fonctionnaires de la police nationale – organisations syndicales – et des militaires de la gendarmerie – Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG). Une bonne partie de ces auditions a pu être réalisée conjointement avec les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, que je remercie pour cette collaboration en bonne intelligence.
J'ai également tenu à me rendre au plus près de nos forces, en allant les rencontrer sur le terrain à Rodez – dans mon département – et à Toulouse, des villes où les forces de l'ordre sont particulièrement mises à l'épreuve depuis près d'un an.
Le budget de la mission « Sécurités » dans son ensemble continue d'enregistrer une hausse globale de près de 2 % en autorisations d'engagement. Cette programmation haussière dans un environnement budgétaire pourtant contraint traduit notre engagement envers nos policiers et nos gendarmes, qui oeuvrent au quotidien pour notre sécurité dans des conditions que nous savons très difficiles.
Les enjeux en matière de sécurité sont en effet très divers et requièrent un engagement sans faille de tous les acteurs concernés : lutte contre le terrorisme et les formes les plus graves de criminalité, action contre l'insécurité et la délinquance du quotidien, maintien de l'ordre lors des manifestations sur la voie publique…
Les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale », qui font l'objet de mon avis, rassemblent respectivement 11 et 9,7 milliards en autorisations d'engagement. Ils sont respectivement en hausse de 1 % et de 2,8 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2019. Cette hausse budgétaire est largement due à l'augmentation des dépenses de personnel, en lien avec le plan quinquennal de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes. En 2020, ce sont 1 473 emplois qui vont être créés dans la police au titre de ce plan, et 527 dans la gendarmerie. Je salue la poursuite de ce plan présidentiel qui permet d'assurer une meilleure sécurité du quotidien pour nos concitoyens et de renforcer considérablement nos services de renseignement.
Le poids du titre II, c'est-à-dire des dépenses de personnel, dans les deux programmes, est prépondérant. Il ne doit néanmoins pas se faire, tant pour la police que pour la gendarmerie, au détriment des dépenses d'investissement. Il convient de rester vigilant en la matière car, malgré les importants efforts consentis au cours des dernières années, qui ont permis d'améliorer considérablement la situation, nos forces continuent d'avoir des besoins importants pour exercer leur travail dans de bonnes conditions – pour elles-mêmes et pour le service de tous.
Les prochains mois seront par ailleurs marqués par la préparation puis l'examen d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, annoncé le 12 juin dernier par le Premier ministre lors de son discours de politique générale. Cette loi permettra de fixer un cadre pérenne et ambitieux pour notre police et notre gendarmerie. Elle sera la suite logique du livre blanc sur la sécurité intérieure qui est en cours d'élaboration. Très attendue, monsieur le ministre, elle peut être véritablement fondatrice d'un nouvel élan donné à l'ensemble des systèmes de sécurité en France.
Madame la présidente, en conclusion de cette première partie de mon intervention, vous comprendrez que j'annonce d'ores et déjà que je donnerai tout à l'heure un avis favorable sur les crédits de la mission « Sécurités » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.
Au-delà de ces observations liminaires sur le budget, j'ai souhaité que mon avis soit, cette année, consacré au thème de l'évolution de la doctrine de maintien de l'ordre, en particulier suite au mouvement des gilets jaunes. Ce mouvement, qui a surgi dans notre paysage politique et médiatique il y a presque un an maintenant, a été l'occasion de graves troubles à l'ordre public, avec notamment des destructions, des incendies et des pillages. Des groupes d'individus violents et structurés, le plus souvent sans lien avec les manifestations, ont tiré profit des cortèges pour s'y mêler avec pour seul objectif de se livrer à des exactions, de s'en prendre aux forces de l'ordre et, plus largement, aux symboles du « système » dénoncé par eux, à savoir les institutions publiques ou encore les établissements financiers. Ces groupes d'individus, préparés à l'affrontement et équipés en conséquence, ont aussi pu instrumentaliser les foules tant pour les « retourner » et les conduire à se joindre aux violences que pour s'en servir de bouclier.
Le mouvement des gilets jaunes a été une nouvelle illustration de l'évolution des formes de mobilisation et de contestation constatée au cours des dernières années, marquée par le recul des acteurs structurés et organisés traditionnels, tels que les syndicats, au profit de mouvements moins déclarés et moins encadrés, et de la présence croissante de groupes organisés ultra-violents. Le ministère de l'Intérieur a, en conséquence, commencé à faire évoluer dès décembre 2018 la doctrine, les méthodes et les moyens des forces de l'ordre, pour gagner en efficacité, en souplesse et réactivité.
Je voudrais ici revenir sur quelques-unes de ces nouvelles orientations, en particulier l'enjeu de la mobilité. Le nombre de forces statiques a beaucoup diminué et l'espace entre les forces positionnées à distance et les effectifs en civil intégrés aux cortèges a été comblé. La capacité d'intervention des forces de l'ordre repose sur des principes tactiques révisés : réactivité accrue de la prise de décision, mobilité des unités et moyens matériels pour conserver l'initiative, adaptation permanente des moyens engagés en fonction de l'évolution de la situation, notamment pour prévenir la naissance ou la résurgence de foyers de violences.
Par ailleurs, de nouveaux équipements tactiques ont été déployés afin d'améliorer la réponse publique, en particulier avec l'utilisation de drones. Localement – notamment lors de mon déplacement à Toulouse –, on m'a dit combien ces outils étaient aujourd'hui précieux.
Enfin, il ne faut pas oublier que le législateur a pris sa part dans cette adaptation aux nouvelles formes d'expression de la contestation, avec l'adoption de la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et à garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, dont notre collègue Alice Thourot était rapporteure.
J'en viens aux quelques questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre.
Pouvez-vous nous donner des indications sur les solutions envisagées pour apurer le stock d'heures supplémentaires et éviter sa reconstitution ? Le DPGN que nous avons auditionné nous a indiqué les pistes étudiées actuellement, mais tous les arbitrages n'étaient pas encore rendus. Je voudrais notamment savoir à quel taux seraient indemnisées les heures supplémentaires et si ce taux resterait forfaitaire.
Par ailleurs, les policiers que j'ai entendus m'ont fait part du désir de certains agents de conserver la possibilité de ne pas voir les heures supplémentaires indemnisées, mais de les récupérer. On m'a ainsi indiqué que, dans certains services de la police nationale tels que le service de la protection (SDLP), le nombre d'heures supplémentaires accumulé était tel qu'il pouvait permettre à des agents de partir à la retraite de facto avec plusieurs années d'avance. Cette situation n'est pas sans poser problème pour ces services, puisque les postes restent théoriquement occupés et ne peuvent donc pas être pourvus.
Monsieur le ministre, comme je l'ai expliqué dans mon intervention, j'ai consacré la partie thématique de mon avis à l'évolution de la doctrine de maintien de l'ordre. Je me suis notamment rendu à Toulouse pour discuter avec les acteurs locaux, puisque cette ville a été particulièrement touchée par le mouvement des gilets jaunes. Il faut garder à l'esprit que la violence en marge des manifestations n'a pas été constatée uniquement à Paris, mais également dans plusieurs grandes et moyennes villes de province – c'est le cas de Toulouse, pratiquement sans discontinuer depuis près d'un an.
Je voudrais donc savoir si des mesures particulières ont été prises en prévision de la date anniversaire du mouvement des gilets jaunes. Mes auditions m'ont en effet permis de constater qu'il existait une certaine appréhension d'une recrudescence du mouvement à cette occasion.
Pour ce qui est du parc automobile, comme vous le savez, le projet de budget consacré à l'investissement suscite des interrogations chez les professionnels, au sein tant de la police que de la gendarmerie. Beaucoup s'inquiètent, notamment, sur la capacité à renouveler ce parc. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais conclure par une question, qui, si elle n'est pas directement liée au projet de loi finances pour 2020, a été évoquée systématiquement au cours des auditions que j'ai menées : la question des retraites, un sujet anxiogène s'il en est pour nos forces de l'ordre. Pourriez-vous rassurer nos forces de sécurité intérieure en leur garantissant que les conditions particulières d'exercice de leur métier seront prises en compte dans le cadre de la réforme à venir ?