Nous examinons la mission « Outre-mer » qui regroupe les crédits dont dispose le ministère dans la conduite de ses actions pour l'ensemble des territoires ultramarins. Elle ne représente qu'une part – moins de 12 % – de l'effort global de la nation en faveur des outre-mer, qui s'élève à 22,05 milliards dans le projet de loi de finances pour 2020, soit une légère progression, de 2 %, par rapport à 2019.
Il me semble important d'aborder l'examen de cette mission en se fondant sur certains éléments de contexte.
Comme Mme la ministre l'a détaillé, la mission doit s'organiser et se comprendre dans le cadre des stratégies de long terme qui découlent de choix politiques – Livre bleu, contrats de convergence et de transformation, changement de dimension du service militaire adapté dans le cadre du plan « SMA 2025 », Trajectoire outre-mer 5.0 ou plan Logement outre-mer. Ces éléments stratégiques sont autant d'engagements que le Gouvernement devra honorer pour construire la confiance dans les territoires et avec les populations.
Par ailleurs, ce budget s'inscrit dans le prolongement de la réforme importante réalisée au cours de l'exercice précédent dans les matières fiscale et sociale – redéfinition du périmètre des exonérations spécifiques à l'outre-mer dès 2019 en conséquence de la disparition du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), abaissement du plafond de la réduction d'impôt sur le revenu pour les foyers des outre-mer, suppression du mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable (TVA NPR). Le Gouvernement a fait le choix de privilégier les exonérations de cotisations sociales et le soutien à l'économie par des instruments communs à l'ensemble des territoires. En raison de ce choix, il est devenu difficile de retracer la répartition des sommes allouées aux différentes collectivités : les crédits non répartis, qui représentaient 176 millions d'euros d'autorisations d'engagement et moins de 1 % de l'effort budgétaire global dans la loi de finances pour 2018, atteindront en 2020 une somme de 2,5 milliards d'euros représentant 12 % de l'enveloppe totale.
Enfin, nous examinons ce budget dans le cadre de l'engagement pris par le Gouvernement, lors des débats budgétaires de l'année 2019, de sanctuarisation des crédits de la mission « Outre-mer ».
J'en viens à présent à l'analyse des crédits de la mission, dans son ensemble, d'abord, puis de ceux de chacun des deux programmes qui la composent.
La mission « Outre-mer » connaît une baisse faciale de ses crédits. En autorisations d'engagement, le budget s'élève à 2,555 milliards d'euros, soit une diminution de 4 %. Le recul des crédits de paiement est plus important puisque le budget de 2,409 milliards d'euros baisse de 6,54 %, soit 166 millions de moins.
Il résulte toutefois de l'analyse globale de cette mission, corrigée des effets de périmètre, que la baisse des crédits n'en est pas vraiment une. Elle représente en réalité 20 millions d'euros, soit 0,8 %. À l'inverse, la loi de finances pour 2019 affichait une hausse substantielle qui n'était qu'apparente. En deux ans, la mission a connu des modifications importantes de périmètre qui rendent sa lecture complexe et incertaine.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » voit son enveloppe reculer légèrement au regard de l'exercice 2019, avec une baisse de l'ordre de 1,9 %. Cette baisse ne porte cependant que sur une seule action, l'action 01 « Soutien aux entreprises » qui représente 60 % de la mission. Les prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), effectuées au début de l'été, indiquent une variation à la baisse du montant total des exonérations de cotisations de l'ordre de 34 millions d'euros au regard de l'exercice précédent. Cette inscription impérative prive les décideurs publics de toute visibilité sur le pilotage du budget de la mission « Outre-mer » puisque le moindre ajustement en cours d'année devrait être comblé par la recherche des crédits nécessaires dans d'autres actions.
Je propose qu'à l'avenir, les éventuelles variations, qui sont presque certaines chaque année, soient prises en compte au sein du budget de l'État afin de gommer les effets d'échelle, non sur la seule mission « Outre-mer ».
L'action 02 « Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » abrite notamment l'enveloppe allouée au service militaire adapté (SMA), marqué en 2020 par la mise en place progressive du plan « SMA 2025 ». Il prévoit le recrutement de 135 personnes en cinq ans, dont 35 dès l'année 2020, et la création d'une nouvelle compagnie à Bourail, en Nouvelle-Calédonie – permettez-moi, avec un peu de chauvinisme, de le saluer. (Sourires.)
Enfin, l'action 04 « Financement de l'économie » est maintenue au même niveau. Elle se compose à la fois de mesures anciennes – aide au fret et promotion à l'export notamment – et de dispositifs institués en 2019 à la suite des réformes fiscales, comme le prêt de développement outre-mer dont la dotation augmente de 7,5 à 10 millions d'euros afin de l'élargir aux entreprises situées dans les collectivités du Pacifique. Je tiens également à saluer cet effort.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » subit des diminutions de crédits un peu plus importantes, avec des baisses de 8 % pour les autorisations d'engagement et de 16 % pour les crédits de paiement. Si l'on retire les effets de périmètre – suppression du financement de la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française, transfert des crédits inscrits au contrat de convergence et de transformation conclu avec la Guyane dans la mission « Cohésion des territoires », compensation de l'octroi de mer en Guyane, fin de l'abondement du régime de solidarité de la Polynésie française –, la baisse ne serait que de 50 millions d'euros en crédits de paiement.
En outre, Mme la ministre a signalé que le Gouvernement propose de rétablir une aide à l'accession au logement dans la mission « Logement ». La baisse de crédits sur la mission « Outre-mer » sera compensée à due concurrence par la mission « Logement » à hauteur d'une trentaine de millions d'euros.
Trois actions du programme 123 sont néanmoins affectées à la baisse en raison de la sous-consommation des crédits alloués en 2018 et certainement aussi en 2019. Il s'agit de l'action 02 relative à l'aménagement du territoire, l'action 08 sur le fonds exceptionnel d'investissement et l'action 09 sur l'appui à l'accès aux financements bancaires.
Si la logique implacable consistant à baisser le niveau des crédits de paiement en fonction de leur taux d'exécution peut s'entendre d'un strict point de vue budgétaire, je recommande au Gouvernement de faire preuve de la même tolérance que celle qu'il affiche à l'égard de la marge d'erreur de l'ACOSS dans la prévision du coût des exonérations de charges. Si on tolère de l'ACOSS qu'elle se trompe de 30 à 50 millions d'euros chaque année, on peut accepter que les collectivités bénéficient de la même indulgence, d'autant que les difficultés sont réelles dans ces territoires. À Mayotte et en Guyane, des plateformes d'ingénierie ont été constituées afin d'atténuer ces difficultés. Il pourrait en aller de même dans d'autres territoires.
Ces difficultés en termes de consommation de crédits ne peuvent pas nous faire oublier les besoins de financement réels que les territoires ont exprimés, même si la technique juridique et administrative conduisant à les utiliser leur fait défaut. Ces carences peuvent être facilement palliées, à moindre coût, si l'AFD et les services de l'État conduisent un effort conjoint.
Je tiens en outre à noter deux points positifs au sein des actions 01 et 02 de ce programme : d'abord, l'accompagnement de la mise en place dans chaque territoire d'un observatoire local du logement et de l'habitat ; ensuite, le doublement des crédits alloués au fonctionnement de l'ensemble des observatoires des prix, des marges et des revenus, pour 600 000 euros. Ce sont des structures importantes dans l'ensemble des territoires.
Je regrette cependant que les crédits alloués à la protection de l'environnement dans cette mission, qui ne poursuit pas cet objectif principal, demeurent insuffisants. C'est le cas pour les fonds de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) au sein des actions 01 et 02 ainsi que pour ceux qui concernent le Fonds vert, de l'action 09. J'ai déposé sur ces sujets des amendements que nous étudierons tout à l'heure.
Je terminerai par les deux éléments que j'ai souhaité mettre en exergue dans le rapport pour avis – la politique de continuité territoriale et l'indemnité temporaire de retraite (ITR).
La politique de continuité territoriale est un volet essentiel de l'action de l'État outre-mer. Cependant, ainsi que cela a été rappelé lors de la récente remise d'un rapport de la délégation aux outre-mer, le dispositif reste perfectible à plusieurs titres. J'insisterai plus particulièrement sur le nécessaire développement de la continuité intérieure – qui fait partie des objectifs assignés par la loi relative à l'égalité réelle outre-mer (ÉROM) – et sur le développement de la liaison vers d'autres destinations plus proches de ces territoires.
Le législateur a expressément prévu la possibilité d'une continuité intérieure. Mais, pour le moment, seule la Guyane en bénéficie. C'est bien pour ce territoire puisqu'il dispose d'un faible maillage routier. Mais je crois que l'État devrait également intervenir en faveur des populations des espaces archipélagiques confrontées à des difficultés comparables. Je pense en particulier à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'à Wallis-et-Futuna dans une moindre mesure, puisque cette collectivité bénéficie déjà d'un accompagnement pour les déplacements entre les deux îles.
De même, je considère que la possibilité d'accompagner les ultramarins vers d'autres destinations que l'Europe, dans le cadre d'une politique de formation professionnelle reposant sur l'intégration régionale, devrait être envisagée pour faciliter les démarches à accomplir et réduire les coûts budgétaires.
Quant à l'indemnité temporaire de retraite, c'est un dispositif qui a bénéficié à plusieurs pensionnés de l'État pendant un certain temps. Le législateur a fait, en 2008, le choix de sa mise en extinction progressive. Je n'ai rien à dire sur ce choix si ce n'est qu'il produit un effet important : depuis le 1er janvier 2019, les nouveaux pensionnés connaîtront une diminution régulière de l'indemnité temporaire de retraite, jusqu'à sa disparition totale prévue en 2027. Cela ne pose pas de problème pour ceux qui ont fait valoir leurs droits avant cette date. Mais, pour ceux qui partent depuis le 1er janvier 2019, l'objectif affiché de la stabilisation budgétaire est plus qu'atteint puisqu'on en arrive à une extinction du dispositif. Pourtant, les fondements de la création de l'ITR sont toujours justifiés, au premier rang desquels la cherté de la vie, problématique essentielle dans les territoires concernés. Si cette cherté n'est plus compensée, il en résultera inévitablement une paupérisation des anciens agents de l'État. Le Gouvernement devrait à tout prix l'éviter en honorant l'engagement pris il y a dix ans, celui de prévoir un système de compensation équitable et financièrement équilibré.
Je conclurai mon rapport en indiquant à la Commission mettre un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des crédits de la mission.