La réunion débute à 17 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
La Commission auditionne Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, sur les crédits de la mission « Outre-mer » (M. Philippe Dunoyer, rapporteur pour avis
Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le budget de la mission « Outre-mer ». Madame la ministre je vous laisse la parole pour un propos liminaire qui sera suivi de l'intervention de notre rapporteur pour avis, M. Philippe Dunoyer.
Après avoir accompagné le Président de la République durant quatre jours à Mayotte et à La Réunion puis, dans la foulée, le Premier ministre en Guadeloupe, je suis heureuse de me trouver à vos côtés pour répondre à l'ensemble de vos questions.
La présentation du budget devant les commissions est un moment privilégié. Il nous permet de débattre des questions budgétaires, généralement une semaine avant la discussion en séance publique. Elle nous permet d'affiner nos présentations et d'apporter des réponses. Je serai brève afin de laisser le plus de temps possible aux échanges et aux questions.
Le 17 octobre, j'ai eu l'occasion de réaffirmer au Sénat que l'acte II de mon mandat serait la Trajectoire outre-mer 5.0, une dynamique lancée le 18 avril en présence du Président de la République et du Premier ministre. Après le Livre bleu des outre-mer, cette trajectoire constitue la feuille de route du Gouvernement face aux défis du XXIe siècle que sont l'inclusion des populations – la trajectoire prévoit un objectif « zéro exclusion » –, l'accès à l'eau, la gestion des déchets, la résilience, la démographie, le numérique ou les questions environnementales.
Les territoires d'outre-mer sont au centre de tous ces défis. Nous devons les relever. La Trajectoire 5.0 a été pensée en ce sens. Elle est aussi la reprise des dix-sept objectifs de développement durable qui conduiront la France à retrouver en 2030 l'ensemble des pays de l'Organisation des Nations unies qui ont validé cette initiative pour faire le bilan de leurs engagements.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 s'inscrit dans la continuité de ce que nous avons engagé depuis mai 2017, en cohérence avec le Livre bleu et la Trajectoire 5.0. Pour ce qui est de la mission « Outre-mer », je commencerai par vous donner quelques chiffres.
À périmètre constant et hors exonérations de charges, le budget s'établit à 2,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement. Les chiffres sont donc maintenus au niveau élevé atteint en 2019. Ils sont présentés à périmètre constant car trois importantes mesures affectent le budget cette année, entraînant une diminution faciale des crédits.
Tout d'abord, à la demande des élus polynésiens, la dotation globale d'autonomie du territoire, jusqu'ici financée sur les crédits du ministère des outre-mer, est transformée en prélèvement sur les recettes de l'État. Un montant identique, de 90,5 millions d'euros, est débasé au profit du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Par ailleurs, conformément aux engagements qu'a pris le Président de la République lors de sa visite en Guyane, l'État se modernise et s'adapte aux spécificités de ce territoire : une nouvelle organisation budgétaire répond à la nouvelle organisation fonctionnelle. Un nouveau programme d'intervention territorialisé de l'État (PIT) est créé au sein du ministère de l'intérieur. Il regroupe l'ensemble des crédits d'intervention en faveur de la Guyane. Pour sa part, le ministère des outre-mer reverse 7,2 millions d'euros en autorisations d'engagement, somme transférée au programme 162 du ministère de l'intérieur.
Enfin, à l'inverse, une nouvelle dotation de 27 millions d'euros est créée à destination de la collectivité territoriale de Guyane. Il s'agit de mieux l'accompagner dans la démarche de performance qu'elle a engagée et que nous soutenons pleinement. Ce montant représente une compensation sur les recettes d'octroi de mer, un engagement pris par le Président de la République qui n'avait pas été inscrit dans le temps, ce que nous faisons aujourd'hui.
Au-delà de ces différents mouvements de périmètre, la préservation des autorisations d'engagement est un signal fort de la confiance et de l'ambition du Gouvernement pour les territoires d'outre-mer.
C'est un signal de confiance tout d'abord. Lorsque les restes à payer sont en augmentation et que le rythme de décaissement des crédits ralentit, la logique voudrait que l'on ajuste à la baisse les autorisations d'engagement. Or, ce n'est pas le cas : nous souhaitons garder une dynamique et pousser à davantage de transformations dans les territoires. C'est pourquoi nous maintenons les autorisations d'engagement à leur niveau de 2019.
C'est une marque d'ambition, ensuite, car ces autorisations d'engagement (AE) traduisent aussi une vision d'avenir : elles financeront la Trajectoire 5.0 et les projets des territoires. Nous préservons intégralement les moyens et nous soutenons les initiatives locales. Nous ne relâchons absolument pas nos efforts pour répondre aux besoins.
L'ajustement du montant des crédits de paiement (CP) est loin d'être une fatalité. Ce budget pour 2020 compte 100 millions d'euros de crédits de paiement de moins que celui établi l'année dernière. Vous le savez : il est hors de question de laisser des impayés où que ce soit. S'il était nécessaire de faire évoluer cette enveloppe à la hausse, nous le ferions. Pour l'instant, d'après les AE déjà en réalisation dans les territoires et qui appelleront les CP, une diminution de 100 millions d'euros a été prévue.
Le budget pour 2020 poursuit plusieurs objectifs.
Le quotidien des ultramarins, d'abord, est la principale inquiétude de nos concitoyens, celles que vous entendez certainement s'exprimer sur le terrain, dans les repas de famille, entre amis ou dans vos permanences. Nos concitoyens veulent que nous puissions résoudre leurs problèmes de tous les jours – l'inscription de leurs enfants à l'école comme nous l'avons abordé à Mayotte, l'accès à l'eau qui vient d'être évoqué en Guadeloupe, les sargasses dont il a été question avec l'ensemble des États insulaires du bassin des Caraïbes ainsi qu'avec la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Nous devons apporter des réponses au quotidien.
C'est aussi pour cela que nous avions institué un fonds exceptionnel d'investissement (FEI) de 110 millions d'euros, que le projet de loi de finances pour 2020 maintient à ce niveau – contre 40 millions d'euros en 2018. Nous avons donc la possibilité d'aller plus vite dans la transformation et nous continuons à y travailler. Parmi les projets soutenus, certains sont en lien avec l'électrification, les infrastructures sportives, la voirie, c'est-à-dire des préoccupations se rapportant à la vie quotidienne des ultramarins.
S'agissant des constructions scolaires, vous l'avez vu, nous maintenons un effort de 90 millions d'euros qui s'ajoute aux crédits du ministère de l'éducation nationale.
L'accompagnement des territoires est un autre domaine prioritaire. Il passe par le soutien à l'ingénierie et le montage de dossiers, qui sont fondamentaux. Nous venons de constater, lors de la discussion sur le règlement du budget 2018, qu'un accompagnement avait fait défaut. Je souhaite que nous puissions aller au-delà de ce que nous avions fait. D'une part, j'ai décidé d'augmenter les crédits dédiés à l'ingénierie confiés à l'Agence française du développement (AFD) : ils passeront de 3 à 7 millions d'euros et seront mis à la disposition des acteurs du territoire pour concrétiser leurs projets. D'autre part, 85 millions d'euros supplémentaires seront apportés en cinq ans sous la forme de dotations de péréquation aux différentes collectivités, selon un engagement pris par le Président de la République le 1er février, à l'Élysée, lors de la réception des élus des communes. Une première tranche de 17 millions d'euros est budgétisée. Un rapport, en cours d'élaboration, nous permettra de calibrer au mieux les prochaines tranches.
Par ailleurs, une conférence sur le logement outre-mer a rassemblé les élus des territoires ainsi que les opérateurs, nationaux et locaux. Deux phases ont été menées. La conférence a souhaité maintenir l'effort de la ligne budgétaire unique (LBU) au-delà de l'engagement minimal annuel de 200 millions d'euros. Il est de 215 millions d'euros pour 2020, un seuil qu'il nous reviendra de faire évoluer selon les besoins des territoires et le développement des projets.
Le PLF prévoit aussi le rétablissement, pour les seuls départements et régions d'outre-mer (DROM), d'une allocation pour l'accession à la propriété et à la rénovation. Les paramètres sont donc entièrement rétablis. C'est la reconnaissance non seulement de la spécificité des territoires d'outre-mer, mais aussi de la fragilité de leurs populations. C'est pourquoi cette aide qui existait auparavant dans l'ensemble de nos territoires est rétablie.
Je n'oublie pas le Plan d'investissement volontaire d'Action logement, qui prévoit un volet spécifique pour les outre-mer de 1,5 milliard d'euros sous forme de prêts et de subventions. Cela ne signifie pas que les outre-mer sont exclus des autres volets – au contraire, puisqu'ils ont accès l'ensemble des dispositifs.
Le dernier domaine prioritaire, très sensible dans l'ensemble des territoires d'outre-mer, est le soutien à l'emploi. C'était un axe fort du déplacement du Président de la République à La Réunion. Conformément à l'engagement pris sur place, le Gouvernement a sous-amendé et soutenu les amendements d'origine parlementaire qui proposaient d'élargir le bénéfice des exonérations de charges dans les secteurs renforcés jusqu'à deux fois le salaire minimum de croissance (SMIC). L'an dernier, une réforme importante des exonérations de charges avait été menée, qui comportait une clause de revoyure. Des réunions se sont tenues en juillet dernier, pour lesquelles certaines informations manquaient. Ces données ont été reçues récemment, ce qui nous a permis d'agir. Ce sont donc 35 millions d'euros d'allégements supplémentaires qui ont été décidés pour les entreprises ultramarines. Ces montants viennent aussi en soutien à la presse – une décision attendue notamment aux Antilles et à La Réunion où ce secteur rencontre de grandes difficultés du fait de l'évolution rapide des canaux d'information. La presse est désormais placée intégralement en secteur renforcé dans ces territoires.
Il convient de saluer ces avancées qui accompagnent la réforme d'ampleur de l'an passé. Je me suis toujours engagée à effectuer rapidement une évaluation du dispositif et à le modifier si nécessaire.
Le Président de la République a également annoncé à La Réunion un nouveau plan d'accompagnement pour l'emploi – le plan Pétrel – sur lequel je reviendrai si vous le souhaitez. La lutte contre le travail dissimulé est aussi au coeur de nos travaux puisque nous avons constaté qu'il minait les entreprises par une concurrence déloyale.
D'autres actions sont prévues, comme flécher 24 millions d'euros pour des outils spécifiques d'aide aux entreprises, qu'il s'agisse du microcrédit avec une convention de 1,8 million d'euros avec l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), ou de l'augmentation des montants prêtés qui passent de 12 000 à 15 000 euros. Ce dispositif, expérimenté à Mayotte et étendu à La Réunion, sera mis en place dans tous les territoires. Plusieurs petites entreprises y ont accès.
Nous avons aussi lancé des appels à projets, élargi les conditions d'accès au prêt de développement outre-mer et augmenté les crédits de l'aide au fret.
Comme nous avons pu le dire à Mayotte, à La Réunion et en Guadeloupe, le combat pour l'emploi est un beau combat que nous devons mener ensemble. Il vise à réduire les inégalités, mais aussi à redonner de la fierté aux jeunes à travers la formation et le développement de leur territoire.
Je dirai un dernier mot sur les contrats de convergence et de transformation issus de la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outre-mer et du Livre bleu. Nous avons tous acquis la conviction que les outre-mer doivent se transformer pour répondre aux défis auxquels ils sont confrontés. Ces contrats ont été signés le 8 juillet dernier avec presque tous les départements et régions d'outre-mer (DROM) et certaines collectivités d'outre-mer (COM). Ils représentent une enveloppe de 2,1 milliards d'euros jusqu'en 2022. Nous sommes donc au rendez-vous des attentes de l'ensemble de nos interlocuteurs – citoyens, collectivités, entreprises – qui développent le territoire, et surtout, qui luttent contre le chômage pour permettre à chacun de trouver une place.
Nous examinons la mission « Outre-mer » qui regroupe les crédits dont dispose le ministère dans la conduite de ses actions pour l'ensemble des territoires ultramarins. Elle ne représente qu'une part – moins de 12 % – de l'effort global de la nation en faveur des outre-mer, qui s'élève à 22,05 milliards dans le projet de loi de finances pour 2020, soit une légère progression, de 2 %, par rapport à 2019.
Il me semble important d'aborder l'examen de cette mission en se fondant sur certains éléments de contexte.
Comme Mme la ministre l'a détaillé, la mission doit s'organiser et se comprendre dans le cadre des stratégies de long terme qui découlent de choix politiques – Livre bleu, contrats de convergence et de transformation, changement de dimension du service militaire adapté dans le cadre du plan « SMA 2025 », Trajectoire outre-mer 5.0 ou plan Logement outre-mer. Ces éléments stratégiques sont autant d'engagements que le Gouvernement devra honorer pour construire la confiance dans les territoires et avec les populations.
Par ailleurs, ce budget s'inscrit dans le prolongement de la réforme importante réalisée au cours de l'exercice précédent dans les matières fiscale et sociale – redéfinition du périmètre des exonérations spécifiques à l'outre-mer dès 2019 en conséquence de la disparition du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), abaissement du plafond de la réduction d'impôt sur le revenu pour les foyers des outre-mer, suppression du mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée non perçue récupérable (TVA NPR). Le Gouvernement a fait le choix de privilégier les exonérations de cotisations sociales et le soutien à l'économie par des instruments communs à l'ensemble des territoires. En raison de ce choix, il est devenu difficile de retracer la répartition des sommes allouées aux différentes collectivités : les crédits non répartis, qui représentaient 176 millions d'euros d'autorisations d'engagement et moins de 1 % de l'effort budgétaire global dans la loi de finances pour 2018, atteindront en 2020 une somme de 2,5 milliards d'euros représentant 12 % de l'enveloppe totale.
Enfin, nous examinons ce budget dans le cadre de l'engagement pris par le Gouvernement, lors des débats budgétaires de l'année 2019, de sanctuarisation des crédits de la mission « Outre-mer ».
J'en viens à présent à l'analyse des crédits de la mission, dans son ensemble, d'abord, puis de ceux de chacun des deux programmes qui la composent.
La mission « Outre-mer » connaît une baisse faciale de ses crédits. En autorisations d'engagement, le budget s'élève à 2,555 milliards d'euros, soit une diminution de 4 %. Le recul des crédits de paiement est plus important puisque le budget de 2,409 milliards d'euros baisse de 6,54 %, soit 166 millions de moins.
Il résulte toutefois de l'analyse globale de cette mission, corrigée des effets de périmètre, que la baisse des crédits n'en est pas vraiment une. Elle représente en réalité 20 millions d'euros, soit 0,8 %. À l'inverse, la loi de finances pour 2019 affichait une hausse substantielle qui n'était qu'apparente. En deux ans, la mission a connu des modifications importantes de périmètre qui rendent sa lecture complexe et incertaine.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » voit son enveloppe reculer légèrement au regard de l'exercice 2019, avec une baisse de l'ordre de 1,9 %. Cette baisse ne porte cependant que sur une seule action, l'action 01 « Soutien aux entreprises » qui représente 60 % de la mission. Les prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), effectuées au début de l'été, indiquent une variation à la baisse du montant total des exonérations de cotisations de l'ordre de 34 millions d'euros au regard de l'exercice précédent. Cette inscription impérative prive les décideurs publics de toute visibilité sur le pilotage du budget de la mission « Outre-mer » puisque le moindre ajustement en cours d'année devrait être comblé par la recherche des crédits nécessaires dans d'autres actions.
Je propose qu'à l'avenir, les éventuelles variations, qui sont presque certaines chaque année, soient prises en compte au sein du budget de l'État afin de gommer les effets d'échelle, non sur la seule mission « Outre-mer ».
L'action 02 « Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » abrite notamment l'enveloppe allouée au service militaire adapté (SMA), marqué en 2020 par la mise en place progressive du plan « SMA 2025 ». Il prévoit le recrutement de 135 personnes en cinq ans, dont 35 dès l'année 2020, et la création d'une nouvelle compagnie à Bourail, en Nouvelle-Calédonie – permettez-moi, avec un peu de chauvinisme, de le saluer. (Sourires.)
Enfin, l'action 04 « Financement de l'économie » est maintenue au même niveau. Elle se compose à la fois de mesures anciennes – aide au fret et promotion à l'export notamment – et de dispositifs institués en 2019 à la suite des réformes fiscales, comme le prêt de développement outre-mer dont la dotation augmente de 7,5 à 10 millions d'euros afin de l'élargir aux entreprises situées dans les collectivités du Pacifique. Je tiens également à saluer cet effort.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » subit des diminutions de crédits un peu plus importantes, avec des baisses de 8 % pour les autorisations d'engagement et de 16 % pour les crédits de paiement. Si l'on retire les effets de périmètre – suppression du financement de la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française, transfert des crédits inscrits au contrat de convergence et de transformation conclu avec la Guyane dans la mission « Cohésion des territoires », compensation de l'octroi de mer en Guyane, fin de l'abondement du régime de solidarité de la Polynésie française –, la baisse ne serait que de 50 millions d'euros en crédits de paiement.
En outre, Mme la ministre a signalé que le Gouvernement propose de rétablir une aide à l'accession au logement dans la mission « Logement ». La baisse de crédits sur la mission « Outre-mer » sera compensée à due concurrence par la mission « Logement » à hauteur d'une trentaine de millions d'euros.
Trois actions du programme 123 sont néanmoins affectées à la baisse en raison de la sous-consommation des crédits alloués en 2018 et certainement aussi en 2019. Il s'agit de l'action 02 relative à l'aménagement du territoire, l'action 08 sur le fonds exceptionnel d'investissement et l'action 09 sur l'appui à l'accès aux financements bancaires.
Si la logique implacable consistant à baisser le niveau des crédits de paiement en fonction de leur taux d'exécution peut s'entendre d'un strict point de vue budgétaire, je recommande au Gouvernement de faire preuve de la même tolérance que celle qu'il affiche à l'égard de la marge d'erreur de l'ACOSS dans la prévision du coût des exonérations de charges. Si on tolère de l'ACOSS qu'elle se trompe de 30 à 50 millions d'euros chaque année, on peut accepter que les collectivités bénéficient de la même indulgence, d'autant que les difficultés sont réelles dans ces territoires. À Mayotte et en Guyane, des plateformes d'ingénierie ont été constituées afin d'atténuer ces difficultés. Il pourrait en aller de même dans d'autres territoires.
Ces difficultés en termes de consommation de crédits ne peuvent pas nous faire oublier les besoins de financement réels que les territoires ont exprimés, même si la technique juridique et administrative conduisant à les utiliser leur fait défaut. Ces carences peuvent être facilement palliées, à moindre coût, si l'AFD et les services de l'État conduisent un effort conjoint.
Je tiens en outre à noter deux points positifs au sein des actions 01 et 02 de ce programme : d'abord, l'accompagnement de la mise en place dans chaque territoire d'un observatoire local du logement et de l'habitat ; ensuite, le doublement des crédits alloués au fonctionnement de l'ensemble des observatoires des prix, des marges et des revenus, pour 600 000 euros. Ce sont des structures importantes dans l'ensemble des territoires.
Je regrette cependant que les crédits alloués à la protection de l'environnement dans cette mission, qui ne poursuit pas cet objectif principal, demeurent insuffisants. C'est le cas pour les fonds de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) au sein des actions 01 et 02 ainsi que pour ceux qui concernent le Fonds vert, de l'action 09. J'ai déposé sur ces sujets des amendements que nous étudierons tout à l'heure.
Je terminerai par les deux éléments que j'ai souhaité mettre en exergue dans le rapport pour avis – la politique de continuité territoriale et l'indemnité temporaire de retraite (ITR).
La politique de continuité territoriale est un volet essentiel de l'action de l'État outre-mer. Cependant, ainsi que cela a été rappelé lors de la récente remise d'un rapport de la délégation aux outre-mer, le dispositif reste perfectible à plusieurs titres. J'insisterai plus particulièrement sur le nécessaire développement de la continuité intérieure – qui fait partie des objectifs assignés par la loi relative à l'égalité réelle outre-mer (ÉROM) – et sur le développement de la liaison vers d'autres destinations plus proches de ces territoires.
Le législateur a expressément prévu la possibilité d'une continuité intérieure. Mais, pour le moment, seule la Guyane en bénéficie. C'est bien pour ce territoire puisqu'il dispose d'un faible maillage routier. Mais je crois que l'État devrait également intervenir en faveur des populations des espaces archipélagiques confrontées à des difficultés comparables. Je pense en particulier à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'à Wallis-et-Futuna dans une moindre mesure, puisque cette collectivité bénéficie déjà d'un accompagnement pour les déplacements entre les deux îles.
De même, je considère que la possibilité d'accompagner les ultramarins vers d'autres destinations que l'Europe, dans le cadre d'une politique de formation professionnelle reposant sur l'intégration régionale, devrait être envisagée pour faciliter les démarches à accomplir et réduire les coûts budgétaires.
Quant à l'indemnité temporaire de retraite, c'est un dispositif qui a bénéficié à plusieurs pensionnés de l'État pendant un certain temps. Le législateur a fait, en 2008, le choix de sa mise en extinction progressive. Je n'ai rien à dire sur ce choix si ce n'est qu'il produit un effet important : depuis le 1er janvier 2019, les nouveaux pensionnés connaîtront une diminution régulière de l'indemnité temporaire de retraite, jusqu'à sa disparition totale prévue en 2027. Cela ne pose pas de problème pour ceux qui ont fait valoir leurs droits avant cette date. Mais, pour ceux qui partent depuis le 1er janvier 2019, l'objectif affiché de la stabilisation budgétaire est plus qu'atteint puisqu'on en arrive à une extinction du dispositif. Pourtant, les fondements de la création de l'ITR sont toujours justifiés, au premier rang desquels la cherté de la vie, problématique essentielle dans les territoires concernés. Si cette cherté n'est plus compensée, il en résultera inévitablement une paupérisation des anciens agents de l'État. Le Gouvernement devrait à tout prix l'éviter en honorant l'engagement pris il y a dix ans, celui de prévoir un système de compensation équitable et financièrement équilibré.
Je conclurai mon rapport en indiquant à la Commission mettre un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des crédits de la mission.
La répartition des crédits et leur traçabilité apparaissent en effet moins clairement, territoire par territoire. Mais je publierai une note explicative pour apporter des éléments complémentaires.
Sur le dérapage du programme 138, j'ai obtenu l'étanchéité de cette ligne par rapport aux autres, alors qu'on avait tendance à imputer tout dépassement des prévisions de l'ACOSS sur le programme 123. Il est acquis aujourd'hui que le programme 138 repose sur une estimation de l'ACOSS et que nous rouvrirons des crédits en cas de nécessité. Ainsi, en 2019, 133 millions d'euros ont été ouverts sur le programme 138 pour en réévaluer le montant, au fur et à mesure des estimations de l'ACOSS. C'est vrai que cette différence entre les réalisations et les prévisions est surprenante. J'en discute avec l'ACOSS. Mais, à partir du moment où l'étanchéité du programme 138 est garantie, je crois les risques sous contrôle.
Sur les autorisations d'engagement et sur les interrogations au regard de la diminution des crédits de paiement, je veux redire que les crédits de paiement bénéficieront de nouvelles ouvertures si nécessaire. Pour l'instant, ils sont estimés à moins de 100 millions d'euros. Actuellement, quelque 1,6 milliard d'euros en autorisations d'engagement n'ont pas appelé de crédits de paiement dans les territoires. Ce sont autant de projets en attente de réalisation ou d'achèvement. Et on estime que, sur cette somme, il faut s'interroger sur un volant d'à peu près 600 millions de crédits, qui correspond à des opérations prenant trop de retard.
Sur la continuité intérieure et la loi ÉROM, vous le savez, je défends toujours les engagements pris pour les territoires d'outre-mer, dans un grand respect du législateur et de ses intentions. Mais, en l'occurrence, il n'y a pas de disposition suffisamment précise sur laquelle je puisse m'appuyer. Je pense aux problèmes de continuité intérieure, dans les archipels ou dans les différents territoires. La loi ÉROM indique ainsi : « Le plan de convergence de Nouvelle-Calédonie prévoira une révision du dispositif. » D'abord, cela ne vise que la Nouvelle-Calédonie. Ensuite, ce n'est pas très précis… Je sais combien la situation est compliquée pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et la Guyane. N'est-on pas venu apporter un complément dans des contrats négociés avec ce dernier territoire ? Cela mérite des débats sur le sujet.
Sur l'ITR, cette indemnité va être mise en extinction progressive d'ici à 2027. Nous commençons à subir les effets de sa diminution. J'en parle d'autant plus facilement que je fais partie de ceux qui ont manifesté, dans leur territoire, contre cette décision annoncée il y a tout de même très longtemps. Peu de personnes avaient réagi alors. Nous sommes aujourd'hui confrontés à la difficulté. Les réactions se font plus nombreuses au fur et à mesure que des concitoyens sont touchés. C'est dommage. On nous avait promis il y a dix ans un dispositif de substitution qui n'a jamais fait l'objet d'une réflexion. Il n'est pas facile de revenir sur le sujet dix ans après. Peut-être la réforme des retraites offrira-t-elle l'occasion d'en débattre ? J'ai posé quelques questions à cet égard : les fonctionnaires des territoires d'outre-mer bénéficiant d'une surrémunération cotiseront-ils aussi sur cette surrémunération ? Quid des bonifications de retraite pour les territoires d'outre-mer ? J'en débats régulièrement avec mes collègues et avec vous.
Enfin, j'ai ouvert une réflexion sur la réforme de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). Cela ne va pas assez vite pour moi. En tout cas, nous porterons en 2020 une réforme de cet organisme, réforme à laquelle je continuerai de vous associer.
Madame la ministre, vous répétez à l'envi que, conformément aux engagements du Président de la République le 8 juillet dernier, les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2020 sont préservés et ne portent aucune mesure d'économie. Mais ce n'est pas parce qu'on le répète qu'un artifice devient vérité.
Vous nous dites que la baisse ne concerne que 100 millions d'euros en crédits de paiement, avant d'ajouter que cette baisse ne vous est pas vraiment imputable puisque ce serait de la faute des porteurs de projets et, en particulier, de nos collectivités qui ne seraient pas capables de consommer les crédits, faute d'ingénierie. Permettez-moi d'émettre des doutes face à cette affirmation, quand on sait le poids des restes à payer par l'État outre-mer, lesquels dépassent allègrement 1,68 milliard d'euros !
Ensuite, au lieu de rejeter la faute sur les ultramarins, peut-être serait-il temps de s'interroger sur la responsabilité de l'État face à un tel désastre. De toute évidence, il s'agit ici au minimum d'une responsabilité partagée... Encore cela reste-t-il à voir, car prendre d'une main ce que l'on donne de l'autre ne peut tenir lieu de politique publique responsable.
À en croire les documents budgétaires fournis par Bercy – cette fois dans des délais acceptables –, ce ne sont pas 100 millions d'euros mais bien 166 millions d'euros qui manquent à l'appel en crédits de paiement. Mais, surtout, les autorisations d'engagement sont en baisse d'à peu près 105 millions d'euros. Comment l'expliquer ? Comment le justifier alors que le budget global de l'État augmente cette année de 4,6 milliards d'euros ?
C'est toujours plus pour les riches et encore moins pour les territoires ultramarins, déjà parmi les plus éprouvés de la République. D'ailleurs, vous les faites passer pour des privilégiés, avec un ardent désir de vous attaquer aux quelques avantages sociaux et fiscaux qui leur permettent à peine de surnager – et à leurs habitants de survivre dans la dignité. Je vous rappelle qu'avec ses coups de rabots contre nos entreprises et contre l'abattement fiscal outre-mer, votre budget 2019 avait déjà réussi l'exploit de faire l'unanimité contre lui : même le rapporteur spécial, qui siège pourtant dans votre majorité, s'était abstenu. C'est dire si la situation était dramatique ! Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement cette année, tant les attaques contre nos citoyens sont perfides. Même si elles sont moins brutales, ce sont autant de « coups de canif » pour reprendre l'expression du sénateur Victorin Lurel.
Madame la ministre, pour 2019, vous nous annonciez 70 millions d'euros récupérés sur la démodulation de l'abattement sur l'impôt sur le revenu. Vous nous promettiez également une réforme des exonérations de charges patronales indolore pour nos entreprises, malgré de gros cafouillages sur les différentes projections fournies. Finalement, rien que pour la Guyane, ce ne sont pas moins de 19 millions d'euros qui s'étaient évanouis. Certes, nous avons réussi à les rattraper la semaine dernière sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Cependant, nous aurons perdu un an et nos entreprises en souffrance ont dû certainement beaucoup apprécier !
Dès lors, comment aborder cet exercice budgétaire en confiance ? C'est d'autant plus difficile qu'en justifiant la baisse des crédits de paiement par leur sous-consommation l'année dernière, vous ouvrez la boîte de Pandore. En effet, après avoir diminué les budgets pour 2020, on aura très probablement de nouveau une sous-consommation mécanique. À n'en point douter, cela permettra de justifier une nouvelle baisse, et ainsi de suite…
Vous affirmez que votre budget ne souffre d'aucune mesure d'économie. Mais alors où sont passés les 89 millions d'euros d'autorisations d'engagements et les 150 millions d'euros de crédits de paiement de la ligne budgétaire unique (LBU) outremer, qui se sont quasiment volatilisés ?
Lors du lancement de l'Opération d'intérêt national (OIN) en Guyane en 2016, il était prévu que la LBU monte en puissance jusqu'à être doublée en 2020, à hauteur de 60 millions d'euros. Qu'en-est-il aujourd'hui ? L'engagement a-t-il été tenu, dans un contexte de baisse de l'enveloppe globale ?
Quid de l'OIN à Mayotte cette fois ? Sur quel périmètre et avec quels financements ? Quid également des crédits de l'action 04, « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports ». Ils fondent plus vite que le beurre sous le soleil d'équateur en perdant 73 % de leur volume ! Un comble quand on connaît le profil de nos territoires !
Certains diront que la Guyane s'en sort bien. Il n'empêche que l'effort budgétaire et financier de l'État y est en baisse de 1 % en crédits de paiement et de 5 % en autorisations d'engagement – soit 137 millions d'euros, c'est-à-dire de quoi construire trois lycées. Madame la ministre, ne croyez surtout pas qu'il s'agisse d'une attaque personnelle car je sais à quel point vous manoeuvrez contre des vents contraires au sein de ce Gouvernement. Mais vous n'êtes manifestement pas entendue par Bercy, qui continue allègrement sa casse des outre-mer – un peu, à vrai dire, comme il le fait en toute matière en remplaçant les financements par des slogans. En attendant, si les slogans apportent beaucoup de likes et de retweets sur les réseaux sociaux, ils n'ont jamais fait avancer les territoires, ni amélioré la vie de nos concitoyens.
Je réitère donc ma requête pour que le Gouvernement nous dise, un jour, ce que coûtent et ce que rapportent les outre-mer à la France. Que cessent enfin ces comptes d'apothicaire !
Pour terminer, je dirai que les divergences d'analyse que nous observons devraient nous conduire à changer radicalement les modalités d'étude des budgets, puisque les moyens de la mission « Outre-mer » ne représentent que 12 % des crédits fléchés pour nos territoires. Cela doit certainement biaiser notre regard et, par voie de conséquence, nos analyses et nos conclusions. J'espère vraiment que nous aurons un jour la possibilité d'analyser de manière beaucoup plus globale tous les crédits fléchés pour les territoires d'outre-mer.
Quand on reprend les chiffres et qu'on les corrige avec l'inflation et l'augmentation de la population, nous constatons que le budget outre-mer est en régression de presque 8 %. Ce sont donc 100 millions d'euros qui vont encore manquer à nos territoires.
Alors que le chômage a augmenté de deux points outre-mer entre 2016 et 2018, on peut voir que le programme 138 « Emploi outre-mer » recule de 3,5 % – attendons de voir quelle sera son évolution. Pour le logement : moins 29 millions d'euros. Pour l'aménagement du territoire : moins 12,4 millions d'euros. Concernant le domaine sanitaire et social, la culture et le sport : moins 15,5 millions d'euros.
Le Président de la République est venu très récemment à La Réunion après être passé par Mayotte. À cette occasion, il a voulu nous faire croire que tout irait bien et que de grandes mesures seraient mises en place. Mais, en fait, il ne s'agit que de demi-mesures, de fausses solutions et de choses déjà annoncées. Bref, c'était une grande opération de communication, très loin des préoccupations des Réunionnais.
Je veux cependant saluer la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) puisque je formule cette demande depuis le début de mon mandat – et je n'étais pas le seul à le faire. Cela étant, allez-vous éponger la dette d'un milliard d'euros que l'État doit au département de La Réunion ? Je parle, bien entendu, de la dette accumulée.
Rien d'autre n'est à saluer dans les annonces du Président de la République. Il veut nous faire croire qu'en formant 10 000 chômeurs de plus, ils pourront trouver du travail ! Ce n'est pas simplement un problème de compétences – comme vous le savez, l'outre-mer est plein de talents. Il faut surtout créer de l'emploi et, pour cela, il faut créer de la demande, ce qui ne se produira pas avec votre politique et encore moins avec votre budget.
Autre tour de passe-passe : le Président de la République a annoncé vouloir stabiliser le nombre d'emplois aidés à 12 000 par an jusqu'en 2022. Rappelons que c'est toujours nettement moins que ce que nous avions avant son arrivée au pouvoir ! Même l'INSEE l'indique : depuis que vous gouvernez, notre territoire a perdu au moins 6 500 contrats aidés… C'est autant d'emplois qui nous font défaut pour lutter contre l'épidémie de dengue – qui fait des ravages à La Réunion –, mais aussi pour assurer le fonctionnement des écoles, des associations humanitaires, des hôpitaux… Bref, autant de services en moins pour la population !
En vérité, à la souffrance des gens, vous répondez par des manoeuvres budgétaires détestables qui ne font illusion pour personne. Le Gouvernement a pris dans nos poches et, maintenant, il jette quelques miettes pour essayer d'apaiser la population. Rien de nouveau, rien d'exceptionnel !
Ce budget, comme les annonces du Président de la République, constitue une véritable déception pour les populations. Ces orientations n'ambitionnent pas de régler le durcissement de la pauvreté chez les personnages âgées, chez les jeunes ou dans les familles. Il est donc difficile d'approuver ce projet de loi de finances, comme il est difficile d'apprécier cet exercice budgétaire en confiance.
Le décalage est impressionnant entre les différentes tonalités d'intervention... Pour ma part, je commenterai ce budget avec beaucoup d'humilité et une connaissance sans doute imparfaite de la réalité de terrain. Je me fonderai sur le document budgétaire et l'avis de notre rapporteur.
Je relève que, en cohérence avec le Livre bleu et la Trajectoire 5.0, les niveaux d'engagement de l'État restent extrêmement ambitieux. Cela se traduit par un maintien des autorisations d'engagement, ce qui n'est pas anodin dans une période où chacun voit les difficultés à boucler le budget. Cela montre l'engagement de l'État en matière d'outre-mer.
Une question se pose, effectivement, à propos des crédits de paiement. Beaucoup d'explications ont été données. Je ne reviens pas sur les effets de périmètre qui ont déjà été évoqués. La sous-consommation des crédits de paiement existe aussi en métropole : compte tenu des cycles électoraux, on consomme davantage au cours des 3e et 4e années d'un mandat et en peu moins au cours des années suivantes. C'est vrai partout et on voit bien quelle est l'explication si on a fait un peu de gestion municipale. Cela dit, il serait faux de croire qu'il n'y a pas de singularité outre-mer. Il y a des difficultés, notamment en matière d'ingénierie, pour faire aboutir les projets. Le signaler ne revient pas à mettre en accusation les collectivités locales. Il faut tout simplement pouvoir les accompagner différemment et mieux, comme le souhaite le Gouvernement.
Au-delà des 40 millions d'euros alloués aux mesures de soutien aux collectivités locales mises en oeuvre par l'AFD, pouvez-vous revenir sur les dispositions prévues ? Il y a notamment une augmentation de 85 millions d'euros de la péréquation, ce qui n'est pas rien. Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique va permettre de revenir sur le verrou lié à la participation minimale – de 20 % – des communes au montant total des financements publics. Cela permettra aussi de mieux consommer les crédits. En ce qui concerne l'ingénierie, comment fera-t-on pour mieux accompagner les collectivités locales ?
Vous avez déjà répondu en ce qui concerne les exonérations pour les entreprises. Il faudrait clarifier les règles afin que tout le monde puisse les connaître. Le mécanisme est un peu subtil.
Je voudrais saluer le fait que l'État continue à accompagner les outre-mer en matière d'innovation et de recherche : 170 millions d'euros ont été mobilisés depuis un an pour les projets en faveur de la transition écologique et énergétique, de l'aménagement du territoire et de la formation, dont 67 millions d'euros pour le déploiement du réseau à très haut débit.
Pour ce qui est du logement, il y a des singularités outre-mer, mais on est aussi dans une période particulière partout sur le territoire national : les projets de construction et la délivrance des permis de construire sont ralentis à l'heure actuelle. Il est vrai, néanmoins, que le foncier constitue un sujet complexe outre-mer. Notre collègue Serge Letchimy a fait adopter une bonne proposition de loi dans ce domaine. Il y a un problème fondamental qu'on ne peut pas résoudre du jour au lendemain. Il faut saluer l'engagement pris par Action Logement dans ce domaine, en lien avec l'État.
Ce budget pour l'outre-mer mérite d'être soutenu car il traduit, une fois corrigé des effets de périmètre, un engagement puissant de l'État.
Je veux également souligner l'action conduite pour lutter contre le logement indigne. Vous connaissez mon attachement à cette cause – j'ai très récemment rendu un rapport au Premier ministre sur ce sujet.
Enfin, je voudrais revenir un instant sur les récents déplacements des plus hautes autorités de l'État outre-mer. Le Premier ministre s'est rendu en Guadeloupe, le week-end dernier, pour clore la conférence internationale sur la lutte contre les sargasses et pour visiter le site du futur centre hospitalier universitaire (CHU). Il y a une volonté de faire évoluer des situations enkystées depuis longtemps et de traiter des problèmes qui pèsent lourdement sur les collectivités locales. L'intérêt et l'investissement de l'État s'inscrivent dans la durée mais aussi dans des circonstances particulières, quand c'est nécessaire.
Je voudrais également vous poser une question, madame la ministre.
Je me suis rendue très récemment en Guyane avec notre collègue Philippe Gosselin, vice-président de la Commission. Nous avons constaté un engagement formidable des services de l'État et beaucoup d'agilité pour faire face à des situations hors norme. On nous a beaucoup parlé, à propos de la lutte contre l'orpaillage illégal, de la nécessité d'adapter le code minier. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Que pensez-vous de l'adaptation du droit aux réalités locales dans certains territoires ? Nos règles sont parfois totalement décalées par rapport aux particularités qui peuvent exister, notamment sur le plan géographique.
Vous avez dit, monsieur Serville, qu'il faudrait enfin savoir ce que coûtent et rapportent les outre-mer. Ce n'est pas un coût, ce sont des investissements pour l'avenir. J'essaie d'éviter de parler de « coût » : vous trouverez rarement ce terme dans mon vocabulaire – je l'ai laissé passer dans un discours il y a peu de temps et j'en suis restée gênée pendant plusieurs jours. Il est normal que la France s'engage outre-mer et qu'elle y investisse pour l'avenir.
Vous laissez entendre que certaines entreprises seraient en difficulté parce qu'il y a eu une réforme importante l'an dernier. Ce n'est pas possible : la réforme n'a pu être mise en oeuvre qu'assez tardivement, à partir du mois de juillet – c'est d'ailleurs ce qui explique les chiffres récents et un peu perturbants de l'ACOSS. Moins de trois mois après le début de l'entrée en application, la clause de revoyure nous permet d'apporter une réponse à la hauteur de ce qui était attendu. Je m'étais engagée sur ce sujet et nous sommes au rendez-vous. On ne va payer aucune charge dans les territoires d'outre-mer jusqu'à deux SMIC – soit le double de ce qui est possible en métropole, ce qui est légitime compte tenu de la situation. Nous avons répondu au besoin d'engagement de l'État aux côtés des entreprises. Cela représente à peu près 35 millions d'euros supplémentaires pour les territoires d'outre-mer.
Y a-t-il une responsabilité de l'État pour ce qui est des baisses de crédits de paiement ? L'État est au rendez-vous : j'ai souhaité l'an dernier qu'il y ait une veille, tous les mois, sur l'utilisation des crédits de paiement et les besoins d'accompagnement des collectivités. Les services de l'État peuvent être en partie responsables de certains retards, tout simplement parce qu'ils ne sont pas suffisamment dotés en ingénierie : la déconcentration et la décentralisation ont conduit à une baisse dans ce domaine. C'est pourquoi nous avons créé des plateformes à Mayotte et en Guyane. Les territoires d'outre-mer n'étaient pas nécessairement prêts à l'évolution qui a eu lieu – elle a été trop rapide. Nous devons être en mesure de répondre aux besoins. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'ingénierie dans les territoires d'outre-mer, mais qu'elle n'est pas nécessairement au service des projets.
J'ai regardé les projets bloqués : sur le montant de 1,6 milliard d'euros évoqué tout à l'heure, je m'inquiète pour 600 millions d'euros – quand on voit que le foncier n'a toujours pas été mis à disposition ou que les permis de construire n'ont pas été délivrés. Il y a des réponses à apporter. C'est pourquoi nous prévoyons de faire passer les moyens de l'AFD de 3 à 7 millions d'euros. Il faut aller plus vite dans le domaine du logement, surtout dans les territoires à la démographie importante. On perd du terrain tous les jours car on n'est pas à la hauteur des annonces faites. Nous devons tous ensemble agir vigoureusement.
Je n'ai pas de difficulté à dire que les responsabilités sont multiples. On peut se poser des questions sur nos modes de fonctionnement et sur l'organisation du budget. Les crédits de paiement (CP) sont annuels alors que les autorisations d'engagement (AE) peuvent s'étaler sur plusieurs années. On peut discuter ensemble pour regarder comment évoluer.
Cela étant, cette année est la plus belle que nous ayons connue depuis longtemps au ministère des outre-mer en ce qui concerne la consommation des crédits de paiement – je vous donnerai des chiffres précis dès que nous les aurons. Nous sommes aux côtés des collectivités et des porteurs de projets au jour le jour. On ne se contente pas d'attendre et de dire ce qui ne va pas : on demande que les projets soient transmis au plus vite et on aide à les finaliser. C'est la volonté qui m'anime même si ce n'est pas toujours facile. L'idée n'est pas de chercher à rejeter la responsabilité sur d'autres acteurs. Il faut voir comment utiliser les crédits mis à disposition des territoires d'outre-mer pour de véritables investissements pour l'avenir.
S'agissant plus particulièrement de la Guyane, l'État est au rendez-vous. En matière de logement, les crédits sont passés de 30 à 50 millions d'euros. En 2017-2018, 200 millions d'euros ont été alloués à l'accompagnement de cette collectivité. Par ailleurs, 27 millions d'euros figurent dans ce projet de loi de finances en compensation de l'octroi de mer. Il y a un accompagnement dans la durée, à côté de la montée en puissance à laquelle nous travaillons en matière de performance.
La baisse de 166 millions d'euros du budget des outre-mer évoquée comprend, en réalité, l'ajustement lié à la consommation des crédits, les prévisions de l'ACOSS au sujet des exonérations de charges à compenser – nous intégrons une variation de 35 millions d'euros – et les mesures de périmètre. Sur ce dernier point, j'ai expliqué tout à l'heure que certains éléments ne figurent plus dans le budget des outre-mer mais dans ceux qui relèvent, d'une part, du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et, d'autre part, du ministère de l'intérieur. Il faut arriver à se mettre d'accord sur ce que l'on compare sinon il n'y a pas de discussion possible.
En ce qui concerne les crédits alloués au Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) en lien avec la réforme de l'impôt sur le revenu, le montant ne s'est élevé en 2019 qu'à 23 millions d'euros – au lieu de 70 – parce qu'il a fallu du temps pour mettre en oeuvre le dispositif. Cela représente donc 23 millions d'euros sur quatre mois. Le montant sera un peu supérieur en 2020 parce qu'il y aura un rattrapage. Peu importe le rendement de l'impôt sur le revenu : 70 millions d'euros seront versés au FEI chaque année, c'est garanti jusqu'à la fin du quinquennat.
En ce qui concerne l'emploi, monsieur Ratenon, il faut commencer par l'éducation et la formation : on doit faire en sorte qu'il y ait davantage de jeunes, et de moins jeunes, qui soient formés à La Réunion. Nous y avons conclu un plan de formation dans le cadre duquel l'État doit apporter 253 millions d'euros. Le plan Pétrel, annoncé par le Président de la République, fait de l'emploi la priorité. Les mesures prévues représentent 700 millions d'euros. On n'en fait jamais assez compte tenu du taux de chômage dans les territoires d'outre-mer, mais l'État n'a jamais mis aussi peu de temps à réagir face aux besoins. C'est un investissement nécessaire et utile.
Le taux de chômage est élevé, c'est vrai, mais il y a eu 2 000 chômeurs en moins à La Réunion en un an. Ce n'est pas considérable si on rapporte ce chiffre à la population, mais ce sont quand même 2 000 personnes... On constate une hausse de 35 % des reprises d'emploi et de 47 % des entrées en formation. On observe aussi une baisse du chômage chez les jeunes. Ce sont des résultats fragiles, mais on avance dans la bonne direction ! On renforce la dynamique en agissant en matière de formation, de création d'emploi et d'accompagnement économique. On n'avait pas vu de telles évolutions depuis longtemps. Je ne dis pas que ces résultats ne sont pas également le fruit des années précédentes, mais il faut en tout cas se féliciter que l'on aille dans un autre sens que les pertes d'emplois antérieures.
En ce qui concerne l'accompagnement, on peut étudier la question de l'élargissement des plateformes d'ingénierie à toutes les collectivités. Certains territoires en ont besoin. De quoi s'agit-il ? Des hommes et des femmes vont aller à Mayotte et en Guyane pour servir ces territoires : c'est de l'ingénierie fixe si je puis dire. D'autres collectivités qui ont des besoins ponctuels peuvent demander des crédits et bénéficier d'une ingénierie via des entreprises ou en recrutant elles-mêmes du personnel pour certaines opérations. Comme le Président de la République l'a rappelé à Mayotte, nous utilisons le levier de l'AFD pour que les actions menées soient rapides. Le défi réside, en effet, dans la rapidité d'exécution : nous sommes trop lents. C'est pourquoi j'ai souhaité une dotation complémentaire pour l'AFD.
Je me demande s'il ne faut pas aller plus loin : j'ai demandé au Président de la République si l'on pourrait faire en sorte que les outils employés par l'AFD dans les pays en développement soient également mis à la disposition des collectivités d'outre-mer. Nous utilisons les outils de l'aide publique au développement (APD) à l'international. Certains territoires, comme Mayotte et la Guyane, en ont aussi besoin pour l'accompagnement des collectivités, des ONG et des associations ou encore des entreprises. Je crois que ces outils ont également vocation à intervenir outre-mer. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : l'AFD ne fait que de l'ingénierie et des prêts bonifiés dans ces territoires. Tous ses outils ne sont pas au service de l'outre-mer car cela n'entre pas dans sa mission. Doit-on aller plus loin ? Le Président est d'accord pour Mayotte, la Guyane et les territoires qui le demanderont. Je reste prudente car il s'agit d'un organisme pour les pays en développement – vous voyez bien ce que cela peut impliquer. Mais je crois, honnêtement, qu'on a besoin de ces outils et je n'ai pas de scrupule, en tant qu'ultramarine, à les demander. S'il faut aller plus vite, on doit trouver les moyens nécessaires pour y arriver.
En ce qui concerne les délais de paiement, le foncier et la manière dont lever les freins à la réalisation des projets, il faut travailler sur les modes d'organisation dans nos territoires afin d'aller, je le répète, plus vite.
Madame la présidente, vous avez raison, l'adaptation du droit est une nécessité : je le constate tous les jours sur le terrain. Si je connaissais les freins sur mon territoire, je découvre petit à petit ceux auxquels tous les territoires ultramarins sont confrontés. Nous manquons par exemple de moyens législatifs s'agissant de la démolition de l'habitat informel. Sur la demande d'asile, on a bien vu qu'à Mayotte ou en Guyane, cette question était porteuse de défis différents de ceux auxquels la métropole est confrontée. Peut-être devons-nous aller plus loin dans la prise en compte de certaines particularités ? Le phénomène des « mules » concerne plus particulièrement la Guyane mais le trafic de drogue se développe aussi en Guadeloupe et en Martinique. Comment prendre en compte ces spécificités ? Devons-nous aller plus loin en matière législative ? Il faut prévoir à chaque fois des procédures adaptées aux territoires d'outre-mer – c'est ce que j'appelle le réflexe outre-mer.
Nombre de dispositifs ne sont pas suffisamment efficaces sur le terrain car ils nécessitent d'être adaptés. Faut-il pour cela imaginer un projet de loi relatif aux outre-mer afin de les régulariser sur l'ensemble des sujets ? Rouvrir l'ensemble des sujets me pose personnellement un problème. Faut-il au contraire glisser dans chaque projet de loi une législation dédiée en faveur des territoires d'outre-mer ?
J'en viens à la réforme du code minier : elle est en cours. Là encore, j'ai souhaité que l'Assemblée nationale puisse faire des propositions. Cette réforme comportera certainement un titre spécifique à la Guyane. Par ailleurs, un « M. Mines », M. Didier Le Moine, a été nommé en Guyane : il est placé auprès du préfet et devra alimenter au plus près du terrain la réflexion relative à la réforme du code minier.
Concernant La Réunion, je dois encore vous indiquer que les PEC (Parcours emploi compétences) y sont confirmés à hauteur de douze mille places, ce qui représente 15 % de l'enveloppe nationale. Le Président de la République l'a souligné sur place : certaines réformes nationales ont davantage d'impact sur les territoires ultramarins en raison de leur plus grande fragilité. Cela ne devrait pas vous étonner outre mesure puisque nombre d'entre vous étaient montés au créneau sur ces sujets. Eh bien, sur la question du logement, ou de l'emploi, avec les PEC, on en revient à des dispositifs ayant existé précédemment ! Ainsi, à La Réunion, l'État s'engage fortement sur les PEC affectés à la lutte contre la dengue puisque le pourcentage de prise en charge des emplois concernés augmente significativement.
S'agissant du FEI, grâce à lui, cette année, l'État a financé à 100 % des projets dans certaines communes en grande difficulté. Je ne pense pas qu'il faille le faire systématiquement. Un tel mécanisme doit cependant être mis en oeuvre lorsque des collectivités sont incapables d'apporter leur part de financement de 20 % et qu'il est absolument nécessaire que le projet en question soit réalisé. Nous restons là aussi à l'écoute de toutes les collectivités.
Il me semble avoir fait le tour des questions qui ont été abordées. Si certaines étaient restées sans réponse, je les intégrerai dans mon discours au moment où les crédits de la mission « Outre-mer » seront examinés en séance publique.
À l'issue de l'audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Outre-mer » (M. Philippe Dunoyer, rapporteur pour avis
Article 38 et État B : Crédits du budget général
La Commission est saisie de l'amendement II-CL66 du rapporteur pour avis.
L'amendement II-CL66 porte sur le Fonds de secours doté, en 2020 comme en 2019, de 10 millions d'euros. Comme son nom l'indique, il est appelé à être mobilisé sur des territoires victimes de catastrophes naturelles.
Or, un rapport d'information du Sénat portant sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer a évalué les besoins de financement à hauteur de 20 millions d'euros. Il considère que, si elle demeure bienvenue, la dotation budgétaire de 10 millions d'euros reste malheureusement très en deçà du coût des dégâts subis par les territoires lors des passages de cyclones ou d'ouragans – nous avons tous en mémoire des exemples récents.
Je ne veux pas paraître un oiseau de mauvais augure, mais la prudence et l'expérience justifient que nous nous montrions plus volontaristes dans la dotation de ce fonds en la faisant passer de 10 millions à 20 millions d'euros.
Nous entendons l'argument de la meilleure prise en compte du changement climatique dont les manifestations sont toujours plus violentes et présentent toujours plus de risques. Pour autant, nous considérons que le budget a atteint un équilibre et qu'il prend en compte ces aléas. Nous serons donc défavorables à cet amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement II-CL67 du rapporteur pour avis.
L'amendement II-CL67 porte sur l'équivalent du Fonds vert pour le climat. Créé dans le cadre de la COP21, il ne concerne pas, bizarrement, les territoires d'outre-mer qui sont peut-être les plus exposés aux conséquences du changement climatique. Ceux-ci ne bénéficient pas non plus du fonds Barnier relatif à la prévention des risques naturels majeurs.
Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit un recul des crédits de paiement prévus au titre de l'action 09 « Appui à l'accès aux financements bancaires » du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » abritant la dotation budgétaire de cet équivalent. Or, le réchauffement climatique ne recule pas malheureusement – loin s'en faut.
Afin d'aider un peu plus ces collectivités du Pacifique, qui ne peuvent donc pas faire appel au Fonds vert, et les outre-mer en général, l'amendement propose de doter de 7 millions d'euros les trois territoires auxquels je pense et qui n'auront pas de trop de ces crédits pour mener des actions visant à s'adapter aux effets du changement climatique.
Avis défavorable : des outils existent déjà. J'ajoute que la ministre a pris l'engagement que les crédits de paiement suivront si cela s'avérait nécessaire.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL33 du rapporteur pour avis.
Le présent amendement concerne les plafonds d'éligibilité à l'aide à la continuité territoriale. Comme je l'ai dit tout à l'heure – j'ai d'ailleurs consacré un développement à ce sujet dans mon avis – on constate, avec le recul, que les territoires les plus éloignés bénéficient, de manière surprenante, d'une aide moindre, alors que les déplacements sont, par définition, plus onéreux. La difficulté – que l'on retrouvera en examinant un amendement relatif aux bourses d'enseignement supérieur – tient au fait que le plafond d'éligibilité, fixé de manière homogène pour l'ensemble des territoires, ne tient pas compte des différences de revenus ni, surtout, de la cherté de la vie. Si tous les territoires d'outre-mer souffrent d'un coût de la vie supérieur, ils ne sont toutefois pas logés à la même enseigne. La Nouvelle-Calédonie a vu le nombre des bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale divisé par trois en l'espace de cinq ans. Cette évolution s'explique non pas, malheureusement, par l'augmentation du niveau de vie des Calédoniens, mais par le fait que nous ne sommes pas encore parvenus à ouvrir une discussion avec le Gouvernement sur la différenciation des plafonds d'éligibilité. Peut-être faudrait-il envisager une pondération en fonction du coût de la vie ?
L'amendement vise à abonder les crédits de l'action 03 « Continuité territoriale » du programme 123 pour préparer le relèvement – qui n'est pas encore engagé – des plafonds d'éligibilité. C'est un appel à la vigilance.
Tous les amendements du rapporteur pour avis ciblent des sujets particulièrement sensibles. En l'occurrence, le problème évoqué a fait l'objet d'un examen approfondi dans différents rapports. Cela justifie qu'on en discute ; la ministre y a d'ailleurs très largement répondu. Dans le cadre de ce budget, il ne semble pas opportun de modifier l'affectation des crédits. Nous voterons donc contre votre amendement d'appel.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement II-CL34 du rapporteur pour avis.
Cet amendement porte sur le même sujet mais il a trait, cette fois, à la continuité inter-îles. J'ai noté que Mme la ministre acceptait l'augure d'un débat, tant sur la continuité inter-îles que sur celle reliant les parties d'un même territoire. Par sa réponse, elle ne donne pas un accord explicite à l'amendement que je présente, mais elle laisse ouverte la possibilité qu'une disposition soit adoptée à ce sujet.
Contrairement à ce que j'ai cru comprendre, il est bien inscrit dans la loi que l'État peut assurer la continuité territoriale intérieure. C'est précisément ce que le Gouvernement fait et continuera de faire, en 2020, entre Wallis et Futuna, deux îles reliées par une liaison aérienne dont le coût est compensé par l'État. Cela existe donc déjà mais seulement dans certains territoires. La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie rencontrent des difficultés de même nature, mais dans des proportions différentes. Je souhaiterais que le dispositif de la continuité territoriale, qui a été modifié à trois reprises depuis sa création par le Président Jacques Chirac, continue d'être adapté, en particulier, à l'évolution du coût de la vie. Un ménage aux revenus modestes habitant sur l'une des îles Loyauté et devant se rendre, pour des raisons médicales ou administratives, sur la Grande Terre, renonce parfois à accomplir cette démarche compte tenu du prix – entre 200 et 300 euros – d'un billet d'avion. Ce n'est pas cosmétique. Les collectivités territoriales participent déjà assez largement. J'espère que la proposition sera entendue et que l'amendement sera voté en séance publique.
Pour avoir été rapporteur des projets de loi relatifs à la Polynésie française, je sais ce qu'est le rapprochement inter-îles. Mais je ne saurais paraphraser la ministre qui a tenu des propos assez complets. Je pense qu'elle vous aurait demandé de retirer l'amendement ou, à défaut, qu'elle aurait donné un avis défavorable.
Je voudrais ajouter, puisque je reviens de Guyane, que le problème de la continuité territoriale ne se pose pas seulement entre les îles. Certains territoires continentaux ne bénéficient pas, par exemple, d'un réseau routier développé. Le problème de liaison aérienne les concerne donc tout autant.
J'avais déposé une proposition de loi à la suite des projets de loi relatifs à la Polynésie française, dont l'une des dispositions concernait l'aéroport. Nous sommes donc parfaitement conscients de cet enjeu.
Compte tenu de vos prises de position et de vos engagements, je vais retirer l'amendement pour le redéposer en séance publique. Je note, au vu de vos constats et de vos propositions, que vous avez commencé à poser les jalons de la réforme de la continuité territoriale.
L'amendement est retiré.
La Commission se saisit de l'amendement II-CL35 du rapporteur pour avis.
Cet amendement part du même constat que précédemment. Le barème déterminant l'attribution de bourses pour étudier dans l'enseignement supérieur est uniforme au niveau national. Il ne fait l'objet d'aucune pondération en fonction du coût de la vie. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, la proportion de boursiers parmi les étudiants calédoniens de l'enseignement supérieur est de 27 % contre 38 % en moyenne nationale et 65 % à Mayotte. Ces chiffres, relativement constants, traduisent manifestement l'absence de prise en compte du coût d'un déplacement entre Nouméa et Paris, soit 2 500 euros. Seule la moitié des frais engagés par un étudiant non boursier est prise en charge : il s'agit d'une dépense considérable pour des familles modestes. Cet amendement d'appel vise à susciter la vigilance du Gouvernement et à permettre l'organisation d'un débat, en vue de l'adoption par décret d'un barème plus adapté à nos territoires.
La Commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement II-CL65 du rapporteur pour avis.
J'avais déjà déposé cet amendement l'année dernière ; il avait été adopté par la Commission avant d'être rejeté en séance publique. Je le représente car je considère que la situation n'a pas évolué. Il concerne l'IFRECOR, établissement public administratif en charge de la protection et de la gestion durable des récifs coralliens et des écosystèmes associés – sujet d'actualité s'il en est. Cette institution célèbre en 2019 la vingtième année de sa création. Elle supporte deux charges particulières : l'élaboration d'un cinquième programme d'action et la réalisation d'un bilan de l'état de santé des récifs coralliens. Les comités locaux, que nous avons consultés, regrettent que l'IFRECOR manque des moyens humains et financiers qui lui permettraient d'assumer pleinement ses missions. Par ailleurs, l'établissement fait appel au mécénat pour financer ses projets ; une trentaine d'entre eux sont en attente de prise en charge pour 2,5 millions d'euros.
La proposition que nous faisons est bien en deçà de cette somme mais, symboliquement, ces 300 000 euros témoigneraient de l'attention que l'État porte à la préservation, à la sauvegarde et à la connaissance des récifs coralliens. Ceux-ci sont très spécifiques, symboliques et emblématiques de nos territoires. Or, ils subissent une détérioration progressive. L'amendement a pour objet de réaliser un petit transfert de crédits et constitue un modeste témoignage en faveur de nos récifs. J'en appelle à la fibre récifale de l'ensemble des membres de la Commission. (Sourires.)
J'avoue que, dans le Val-d'Oise, cette fibre est parfois ténue. (Sourires.) C'est avec beaucoup d'humilité que je réagis à la proposition du rapporteur pour avis, qui nous a décrit le parcours de cet amendement l'année dernière. Même si les sommes en jeu sont très symboliques, il me semble qu'il conviendrait que nous en discutions avec la ministre. À ce stade notre avis sera défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Conformément aux conclusions de M. Philippe Dunoyer, rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » pour 2020.
La réunion s'achève à 18 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Yaël Braun-Pivet, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Naïma Moutchou, Mme George Pau-Langevin, M. Bruno Questel, M. Gabriel Serville, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Éric Ciotti, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Michel Mis, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage, M. Arnaud Viala
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Hugues Ratenon