Madame la ministre, vous répétez à l'envi que, conformément aux engagements du Président de la République le 8 juillet dernier, les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2020 sont préservés et ne portent aucune mesure d'économie. Mais ce n'est pas parce qu'on le répète qu'un artifice devient vérité.
Vous nous dites que la baisse ne concerne que 100 millions d'euros en crédits de paiement, avant d'ajouter que cette baisse ne vous est pas vraiment imputable puisque ce serait de la faute des porteurs de projets et, en particulier, de nos collectivités qui ne seraient pas capables de consommer les crédits, faute d'ingénierie. Permettez-moi d'émettre des doutes face à cette affirmation, quand on sait le poids des restes à payer par l'État outre-mer, lesquels dépassent allègrement 1,68 milliard d'euros !
Ensuite, au lieu de rejeter la faute sur les ultramarins, peut-être serait-il temps de s'interroger sur la responsabilité de l'État face à un tel désastre. De toute évidence, il s'agit ici au minimum d'une responsabilité partagée... Encore cela reste-t-il à voir, car prendre d'une main ce que l'on donne de l'autre ne peut tenir lieu de politique publique responsable.
À en croire les documents budgétaires fournis par Bercy – cette fois dans des délais acceptables –, ce ne sont pas 100 millions d'euros mais bien 166 millions d'euros qui manquent à l'appel en crédits de paiement. Mais, surtout, les autorisations d'engagement sont en baisse d'à peu près 105 millions d'euros. Comment l'expliquer ? Comment le justifier alors que le budget global de l'État augmente cette année de 4,6 milliards d'euros ?
C'est toujours plus pour les riches et encore moins pour les territoires ultramarins, déjà parmi les plus éprouvés de la République. D'ailleurs, vous les faites passer pour des privilégiés, avec un ardent désir de vous attaquer aux quelques avantages sociaux et fiscaux qui leur permettent à peine de surnager – et à leurs habitants de survivre dans la dignité. Je vous rappelle qu'avec ses coups de rabots contre nos entreprises et contre l'abattement fiscal outre-mer, votre budget 2019 avait déjà réussi l'exploit de faire l'unanimité contre lui : même le rapporteur spécial, qui siège pourtant dans votre majorité, s'était abstenu. C'est dire si la situation était dramatique ! Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement cette année, tant les attaques contre nos citoyens sont perfides. Même si elles sont moins brutales, ce sont autant de « coups de canif » pour reprendre l'expression du sénateur Victorin Lurel.
Madame la ministre, pour 2019, vous nous annonciez 70 millions d'euros récupérés sur la démodulation de l'abattement sur l'impôt sur le revenu. Vous nous promettiez également une réforme des exonérations de charges patronales indolore pour nos entreprises, malgré de gros cafouillages sur les différentes projections fournies. Finalement, rien que pour la Guyane, ce ne sont pas moins de 19 millions d'euros qui s'étaient évanouis. Certes, nous avons réussi à les rattraper la semaine dernière sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Cependant, nous aurons perdu un an et nos entreprises en souffrance ont dû certainement beaucoup apprécier !
Dès lors, comment aborder cet exercice budgétaire en confiance ? C'est d'autant plus difficile qu'en justifiant la baisse des crédits de paiement par leur sous-consommation l'année dernière, vous ouvrez la boîte de Pandore. En effet, après avoir diminué les budgets pour 2020, on aura très probablement de nouveau une sous-consommation mécanique. À n'en point douter, cela permettra de justifier une nouvelle baisse, et ainsi de suite…
Vous affirmez que votre budget ne souffre d'aucune mesure d'économie. Mais alors où sont passés les 89 millions d'euros d'autorisations d'engagements et les 150 millions d'euros de crédits de paiement de la ligne budgétaire unique (LBU) outremer, qui se sont quasiment volatilisés ?
Lors du lancement de l'Opération d'intérêt national (OIN) en Guyane en 2016, il était prévu que la LBU monte en puissance jusqu'à être doublée en 2020, à hauteur de 60 millions d'euros. Qu'en-est-il aujourd'hui ? L'engagement a-t-il été tenu, dans un contexte de baisse de l'enveloppe globale ?
Quid de l'OIN à Mayotte cette fois ? Sur quel périmètre et avec quels financements ? Quid également des crédits de l'action 04, « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports ». Ils fondent plus vite que le beurre sous le soleil d'équateur en perdant 73 % de leur volume ! Un comble quand on connaît le profil de nos territoires !
Certains diront que la Guyane s'en sort bien. Il n'empêche que l'effort budgétaire et financier de l'État y est en baisse de 1 % en crédits de paiement et de 5 % en autorisations d'engagement – soit 137 millions d'euros, c'est-à-dire de quoi construire trois lycées. Madame la ministre, ne croyez surtout pas qu'il s'agisse d'une attaque personnelle car je sais à quel point vous manoeuvrez contre des vents contraires au sein de ce Gouvernement. Mais vous n'êtes manifestement pas entendue par Bercy, qui continue allègrement sa casse des outre-mer – un peu, à vrai dire, comme il le fait en toute matière en remplaçant les financements par des slogans. En attendant, si les slogans apportent beaucoup de likes et de retweets sur les réseaux sociaux, ils n'ont jamais fait avancer les territoires, ni amélioré la vie de nos concitoyens.
Je réitère donc ma requête pour que le Gouvernement nous dise, un jour, ce que coûtent et ce que rapportent les outre-mer à la France. Que cessent enfin ces comptes d'apothicaire !
Pour terminer, je dirai que les divergences d'analyse que nous observons devraient nous conduire à changer radicalement les modalités d'étude des budgets, puisque les moyens de la mission « Outre-mer » ne représentent que 12 % des crédits fléchés pour nos territoires. Cela doit certainement biaiser notre regard et, par voie de conséquence, nos analyses et nos conclusions. J'espère vraiment que nous aurons un jour la possibilité d'analyser de manière beaucoup plus globale tous les crédits fléchés pour les territoires d'outre-mer.