Intervention de Annick Girardin

Réunion du lundi 28 octobre 2019 à 17h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Annick Girardin, ministre des outre-mer :

Vous avez dit, monsieur Serville, qu'il faudrait enfin savoir ce que coûtent et rapportent les outre-mer. Ce n'est pas un coût, ce sont des investissements pour l'avenir. J'essaie d'éviter de parler de « coût » : vous trouverez rarement ce terme dans mon vocabulaire – je l'ai laissé passer dans un discours il y a peu de temps et j'en suis restée gênée pendant plusieurs jours. Il est normal que la France s'engage outre-mer et qu'elle y investisse pour l'avenir.

Vous laissez entendre que certaines entreprises seraient en difficulté parce qu'il y a eu une réforme importante l'an dernier. Ce n'est pas possible : la réforme n'a pu être mise en oeuvre qu'assez tardivement, à partir du mois de juillet – c'est d'ailleurs ce qui explique les chiffres récents et un peu perturbants de l'ACOSS. Moins de trois mois après le début de l'entrée en application, la clause de revoyure nous permet d'apporter une réponse à la hauteur de ce qui était attendu. Je m'étais engagée sur ce sujet et nous sommes au rendez-vous. On ne va payer aucune charge dans les territoires d'outre-mer jusqu'à deux SMIC – soit le double de ce qui est possible en métropole, ce qui est légitime compte tenu de la situation. Nous avons répondu au besoin d'engagement de l'État aux côtés des entreprises. Cela représente à peu près 35 millions d'euros supplémentaires pour les territoires d'outre-mer.

Y a-t-il une responsabilité de l'État pour ce qui est des baisses de crédits de paiement ? L'État est au rendez-vous : j'ai souhaité l'an dernier qu'il y ait une veille, tous les mois, sur l'utilisation des crédits de paiement et les besoins d'accompagnement des collectivités. Les services de l'État peuvent être en partie responsables de certains retards, tout simplement parce qu'ils ne sont pas suffisamment dotés en ingénierie : la déconcentration et la décentralisation ont conduit à une baisse dans ce domaine. C'est pourquoi nous avons créé des plateformes à Mayotte et en Guyane. Les territoires d'outre-mer n'étaient pas nécessairement prêts à l'évolution qui a eu lieu – elle a été trop rapide. Nous devons être en mesure de répondre aux besoins. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'ingénierie dans les territoires d'outre-mer, mais qu'elle n'est pas nécessairement au service des projets.

J'ai regardé les projets bloqués : sur le montant de 1,6 milliard d'euros évoqué tout à l'heure, je m'inquiète pour 600 millions d'euros – quand on voit que le foncier n'a toujours pas été mis à disposition ou que les permis de construire n'ont pas été délivrés. Il y a des réponses à apporter. C'est pourquoi nous prévoyons de faire passer les moyens de l'AFD de 3 à 7 millions d'euros. Il faut aller plus vite dans le domaine du logement, surtout dans les territoires à la démographie importante. On perd du terrain tous les jours car on n'est pas à la hauteur des annonces faites. Nous devons tous ensemble agir vigoureusement.

Je n'ai pas de difficulté à dire que les responsabilités sont multiples. On peut se poser des questions sur nos modes de fonctionnement et sur l'organisation du budget. Les crédits de paiement (CP) sont annuels alors que les autorisations d'engagement (AE) peuvent s'étaler sur plusieurs années. On peut discuter ensemble pour regarder comment évoluer.

Cela étant, cette année est la plus belle que nous ayons connue depuis longtemps au ministère des outre-mer en ce qui concerne la consommation des crédits de paiement – je vous donnerai des chiffres précis dès que nous les aurons. Nous sommes aux côtés des collectivités et des porteurs de projets au jour le jour. On ne se contente pas d'attendre et de dire ce qui ne va pas : on demande que les projets soient transmis au plus vite et on aide à les finaliser. C'est la volonté qui m'anime même si ce n'est pas toujours facile. L'idée n'est pas de chercher à rejeter la responsabilité sur d'autres acteurs. Il faut voir comment utiliser les crédits mis à disposition des territoires d'outre-mer pour de véritables investissements pour l'avenir.

S'agissant plus particulièrement de la Guyane, l'État est au rendez-vous. En matière de logement, les crédits sont passés de 30 à 50 millions d'euros. En 2017-2018, 200 millions d'euros ont été alloués à l'accompagnement de cette collectivité. Par ailleurs, 27 millions d'euros figurent dans ce projet de loi de finances en compensation de l'octroi de mer. Il y a un accompagnement dans la durée, à côté de la montée en puissance à laquelle nous travaillons en matière de performance.

La baisse de 166 millions d'euros du budget des outre-mer évoquée comprend, en réalité, l'ajustement lié à la consommation des crédits, les prévisions de l'ACOSS au sujet des exonérations de charges à compenser – nous intégrons une variation de 35 millions d'euros – et les mesures de périmètre. Sur ce dernier point, j'ai expliqué tout à l'heure que certains éléments ne figurent plus dans le budget des outre-mer mais dans ceux qui relèvent, d'une part, du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et, d'autre part, du ministère de l'intérieur. Il faut arriver à se mettre d'accord sur ce que l'on compare sinon il n'y a pas de discussion possible.

En ce qui concerne les crédits alloués au Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) en lien avec la réforme de l'impôt sur le revenu, le montant ne s'est élevé en 2019 qu'à 23 millions d'euros – au lieu de 70 – parce qu'il a fallu du temps pour mettre en oeuvre le dispositif. Cela représente donc 23 millions d'euros sur quatre mois. Le montant sera un peu supérieur en 2020 parce qu'il y aura un rattrapage. Peu importe le rendement de l'impôt sur le revenu : 70 millions d'euros seront versés au FEI chaque année, c'est garanti jusqu'à la fin du quinquennat.

En ce qui concerne l'emploi, monsieur Ratenon, il faut commencer par l'éducation et la formation : on doit faire en sorte qu'il y ait davantage de jeunes, et de moins jeunes, qui soient formés à La Réunion. Nous y avons conclu un plan de formation dans le cadre duquel l'État doit apporter 253 millions d'euros. Le plan Pétrel, annoncé par le Président de la République, fait de l'emploi la priorité. Les mesures prévues représentent 700 millions d'euros. On n'en fait jamais assez compte tenu du taux de chômage dans les territoires d'outre-mer, mais l'État n'a jamais mis aussi peu de temps à réagir face aux besoins. C'est un investissement nécessaire et utile.

Le taux de chômage est élevé, c'est vrai, mais il y a eu 2 000 chômeurs en moins à La Réunion en un an. Ce n'est pas considérable si on rapporte ce chiffre à la population, mais ce sont quand même 2 000 personnes... On constate une hausse de 35 % des reprises d'emploi et de 47 % des entrées en formation. On observe aussi une baisse du chômage chez les jeunes. Ce sont des résultats fragiles, mais on avance dans la bonne direction ! On renforce la dynamique en agissant en matière de formation, de création d'emploi et d'accompagnement économique. On n'avait pas vu de telles évolutions depuis longtemps. Je ne dis pas que ces résultats ne sont pas également le fruit des années précédentes, mais il faut en tout cas se féliciter que l'on aille dans un autre sens que les pertes d'emplois antérieures.

En ce qui concerne l'accompagnement, on peut étudier la question de l'élargissement des plateformes d'ingénierie à toutes les collectivités. Certains territoires en ont besoin. De quoi s'agit-il ? Des hommes et des femmes vont aller à Mayotte et en Guyane pour servir ces territoires : c'est de l'ingénierie fixe si je puis dire. D'autres collectivités qui ont des besoins ponctuels peuvent demander des crédits et bénéficier d'une ingénierie via des entreprises ou en recrutant elles-mêmes du personnel pour certaines opérations. Comme le Président de la République l'a rappelé à Mayotte, nous utilisons le levier de l'AFD pour que les actions menées soient rapides. Le défi réside, en effet, dans la rapidité d'exécution : nous sommes trop lents. C'est pourquoi j'ai souhaité une dotation complémentaire pour l'AFD.

Je me demande s'il ne faut pas aller plus loin : j'ai demandé au Président de la République si l'on pourrait faire en sorte que les outils employés par l'AFD dans les pays en développement soient également mis à la disposition des collectivités d'outre-mer. Nous utilisons les outils de l'aide publique au développement (APD) à l'international. Certains territoires, comme Mayotte et la Guyane, en ont aussi besoin pour l'accompagnement des collectivités, des ONG et des associations ou encore des entreprises. Je crois que ces outils ont également vocation à intervenir outre-mer. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : l'AFD ne fait que de l'ingénierie et des prêts bonifiés dans ces territoires. Tous ses outils ne sont pas au service de l'outre-mer car cela n'entre pas dans sa mission. Doit-on aller plus loin ? Le Président est d'accord pour Mayotte, la Guyane et les territoires qui le demanderont. Je reste prudente car il s'agit d'un organisme pour les pays en développement – vous voyez bien ce que cela peut impliquer. Mais je crois, honnêtement, qu'on a besoin de ces outils et je n'ai pas de scrupule, en tant qu'ultramarine, à les demander. S'il faut aller plus vite, on doit trouver les moyens nécessaires pour y arriver.

En ce qui concerne les délais de paiement, le foncier et la manière dont lever les freins à la réalisation des projets, il faut travailler sur les modes d'organisation dans nos territoires afin d'aller, je le répète, plus vite.

Madame la présidente, vous avez raison, l'adaptation du droit est une nécessité : je le constate tous les jours sur le terrain. Si je connaissais les freins sur mon territoire, je découvre petit à petit ceux auxquels tous les territoires ultramarins sont confrontés. Nous manquons par exemple de moyens législatifs s'agissant de la démolition de l'habitat informel. Sur la demande d'asile, on a bien vu qu'à Mayotte ou en Guyane, cette question était porteuse de défis différents de ceux auxquels la métropole est confrontée. Peut-être devons-nous aller plus loin dans la prise en compte de certaines particularités ? Le phénomène des « mules » concerne plus particulièrement la Guyane mais le trafic de drogue se développe aussi en Guadeloupe et en Martinique. Comment prendre en compte ces spécificités ? Devons-nous aller plus loin en matière législative ? Il faut prévoir à chaque fois des procédures adaptées aux territoires d'outre-mer – c'est ce que j'appelle le réflexe outre-mer.

Nombre de dispositifs ne sont pas suffisamment efficaces sur le terrain car ils nécessitent d'être adaptés. Faut-il pour cela imaginer un projet de loi relatif aux outre-mer afin de les régulariser sur l'ensemble des sujets ? Rouvrir l'ensemble des sujets me pose personnellement un problème. Faut-il au contraire glisser dans chaque projet de loi une législation dédiée en faveur des territoires d'outre-mer ?

J'en viens à la réforme du code minier : elle est en cours. Là encore, j'ai souhaité que l'Assemblée nationale puisse faire des propositions. Cette réforme comportera certainement un titre spécifique à la Guyane. Par ailleurs, un « M. Mines », M. Didier Le Moine, a été nommé en Guyane : il est placé auprès du préfet et devra alimenter au plus près du terrain la réflexion relative à la réforme du code minier.

Concernant La Réunion, je dois encore vous indiquer que les PEC (Parcours emploi compétences) y sont confirmés à hauteur de douze mille places, ce qui représente 15 % de l'enveloppe nationale. Le Président de la République l'a souligné sur place : certaines réformes nationales ont davantage d'impact sur les territoires ultramarins en raison de leur plus grande fragilité. Cela ne devrait pas vous étonner outre mesure puisque nombre d'entre vous étaient montés au créneau sur ces sujets. Eh bien, sur la question du logement, ou de l'emploi, avec les PEC, on en revient à des dispositifs ayant existé précédemment ! Ainsi, à La Réunion, l'État s'engage fortement sur les PEC affectés à la lutte contre la dengue puisque le pourcentage de prise en charge des emplois concernés augmente significativement.

S'agissant du FEI, grâce à lui, cette année, l'État a financé à 100 % des projets dans certaines communes en grande difficulté. Je ne pense pas qu'il faille le faire systématiquement. Un tel mécanisme doit cependant être mis en oeuvre lorsque des collectivités sont incapables d'apporter leur part de financement de 20 % et qu'il est absolument nécessaire que le projet en question soit réalisé. Nous restons là aussi à l'écoute de toutes les collectivités.

Il me semble avoir fait le tour des questions qui ont été abordées. Si certaines étaient restées sans réponse, je les intégrerai dans mon discours au moment où les crédits de la mission « Outre-mer » seront examinés en séance publique.

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