Madame la présidente, avant d'en venir à mon propos, je vous informe que je viens d'apprendre que trente-neuf corps ont été découverts cette nuit au Royaume-Uni, dans un camion en provenance de Bulgarie. Autant dire que le sujet reste plus que d'actualité. Par ailleurs, je saisis l'occasion pour vous dire que j'ai beaucoup apprécié vos propos dans le débat sur l'immigration.
Les crédits de la mission Immigration, asile et intégration augmentent globalement de 162 millions, en hausse de 9,8 % par rapport au budget passé. L'évolution à la hausse de ces crédits est en partie le reflet de l'augmentation du nombre de personnes ayant obtenu l'asile dans notre pays.
Rappelons que pour élaborer la loi de finances pour 2019 et adapter aux évolutions du contexte migratoire les crédits de la mission relatifs à l'asile, le Gouvernement avait retenu une hypothèse faible d'augmentation de la demande : 10 % seulement en 2018 et 0 % en 2019 et 2020. En réalité, les chiffres ont été relativement différents. Il convient, en conséquence, que les moyens budgétaires suivent. La hausse du budget du programme « Asile et immigration », d'à peine plus de 100 millions, n'est dès lors pas satisfaisante, d'autant plus que l'expérience des précédents projets de loi de finances témoigne d'une sous-estimation chronique de la demande d'asile, comme si on ne voulait pas voir la réalité du monde en face.
D'aucuns prennent le prétexte de cette hausse du nombre des demandes d'asile pour renoncer à notre politique d'accueil en brouillant à dessein les différences entre migrants et réfugiés sans distinction des causes : immigration économique, contraintes sécuritaires ou, plus encore demain, contraintes climatiques. Rappelons que l'asile est avant tout une protection accordée à un individu, parce qu'il est susceptible d'être persécuté et qu'il va trouver refuge dans un autre État que le sien. Il ne s'agit pas d'éloigner des étrangers mais de les protéger.
Lorsqu'ils décident de quitter leur pays, les demandeurs d'asile souhaitent d'abord aller dans un pays limitrophe du leur, comme le prouvent les chiffres des migrations internationales observés depuis de nombreuses années par le laboratoire Migrinter, de l'université de Poitiers.
En réalité, la politique d'asile de la France est aujourd'hui devenue un instrument de sa politique migratoire. L'application systématique du règlement inique de Dublin en est un exemple flagrant, puisqu'il est utilisé par la puissance publique comme un déterminant essentiel pour maîtriser la dépense publique, notamment celle de l'allocation pour demandeur d'asile. Yannick Blanc, ancien directeur de la police générale à la préfecture de Paris, n'a-t-il pas déclaré que le tableau Excel l'emporte de loin sur le code ? En disant cela, il dénonce l'obsession permanente du chiffre, le fait que tout soit normé par la pression du chiffre. Ainsi, nous devrions infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d'étrangers arrivant dans notre pays, quelle qu'en soit la cause. C'est là que le bât blesse, parce que la réalité est bien différente de celle à laquelle on veut nous laisser croire.
Au-delà de la simple hausse du nombre de demandeurs d'asile, il convient de regarder lucidement les choses. En 2018, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a recensé plus de 70 millions de personnes réfugiées, demandeuses d'asiles ou déplacées internes dans le monde. Par ailleurs, alors que l'Union européenne verse plusieurs milliards d'euros à la Turquie pour gérer les flux migratoires, plus de 300 000 déplacés sont à déplorer depuis le début de l'offensive de l'armée turque. De même, il est à déplorer que l'on sous-traite la traque aux migrants à des pays comme la Libye, dont on renforce les capacités des garde-côtes, alors que ceux-ci se livrent à des exactions documentées.
S'il est de nombreux domaines dans lesquels nous devons aider les pays confrontés aux crises humanitaires, le premier est le renforcement de notre aide au développement, pour le porter au niveau de nos voisins européens.
Et la France, dans tout cela ? Serions-nous face à une submersion qui nécessiterait d'ériger des murs au moyen de dispositifs plus contraignants encore ? Si la France est le deuxième pays européen d'accueil des demandeurs d'asile, derrière l'Allemagne et devant la Grèce, en rapportant le nombre de demandeurs d'asile au nombre d'habitants, la France ne se place qu'au onzième rang en Europe.
Derrière ces chiffres, le discours ambiant énonce à tous crins qu'il faudrait en même temps plus d'humanité et de fermeté. Dans les faits, cela signifie une instruction plus rapide des demandes d'asile et des enfants plus longtemps en centre de rétention administrative. Or, la France reste l'État membre de l'Union européenne qui enferme le plus en rétention, et les délais de rétention augmentent. Ainsi, en 2018, près de deux mille personnes ont été enfermées plus de quarante jours dans les centres de rétention, chiffre en augmentation de 20 à 30 % par rapport à 2016 et 2017. Cette politique exacerbe les tensions au quotidien. L'effet sur la santé, voire la sécurité des personnes se traduit par une recrudescence d'actes désespérés.
Le doublement, depuis le 1er janvier 2019, de la durée maximale de rétention, passée de 45 jours à 90 jours, oblige le Gouvernement à en améliorer les conditions. Ainsi le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse des dépenses d'investissement immobilier en la matière, de 20 millions en crédits de paiement. L'accroissement du nombre de places de centres de rétention administrative est fixé à 480. Des travaux sont également menés pour améliorer le cadre de vie au sein de ces centres, notamment à destination des familles. Vaste et beau projet !
Ces crédits me conduisent à faire deux observations.
D'une part, ils demeurent insuffisants au regard des conditions de vie dans les centres de rétention, le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont rendu des avis très critiques concernant l'enfermement des enfants et constaté de graves manquements dans la prise en charge sanitaire des personnes placées en rétention.
D'autre part, ces crédits pourraient être considérés comme suffisants si la politique du Gouvernement en faveur de l'enfermement quasi-systématique était revue. Bien souvent, cette politique viole les droits des personnes, et les juges administratifs et judiciaires prononcent des délibérations dont les taux atteignent des niveaux très élevés : 38 % en métropole et 25 % en outre-mer.
Rendre la France moins attractive passerait également par la restriction de l'accès à l'aide médicale d'État ou à la couverture de maladie universelle. Comment croire que cela puisse revenir à ériger un mur capable de dissuader les étrangers de venir en France ? Comme s'ils venaient pour cela ! Quand on sait que 36 % ont besoin de soins urgents, quelle image enverrions-nous ? Cette mesure serait d'ailleurs totalement contre-productive en termes budgétaires, puisque l'économie réalisée à court terme ne prendrait pas en compte les coûts générés par la propagation des infections contagieuses au sein de la population, qui pourraient se révéler bien plus élevés.
En nous emparant des sujets relatifs à la politique d'immigration, d'asile et d'intégration, loin de voguer sur les peurs de beaucoup de nos concitoyens peu ou mal informés, notamment de ceux qui rencontrent de sérieuses difficultés dans leur quotidien, il convient inlassablement de faire preuve d'humilité et de responsabilité. Il convient d'insister sur la nécessité de ne pas céder à la hiérarchisation des douleurs humaines. En cela, les efforts budgétaires doivent se montrer à la hauteur des défis imposés, ce qui n'est pas suffisamment le cas de cette mission budgétaire relative à l'immigration, à l'asile et à l'intégration. C'est pourquoi notre groupe considère que cette politique migratoire n'est pas la bonne. Les crédits qui en sont le reflet ne sont pas suffisants et nous voterons contre.