Intervention de Claude de Ganay

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, rapporteur pour avis (Soutien et logistique interarmées) :

Le projet de loi de finances pour 2020 correspond à la deuxième année d'exercice de la loi de programmation militaire. Mon rapport pour avis vous donnera des clés, je l'espère, pour comprendre les évolutions de la maquette budgétaire qui est profondément transformée cette année, notamment dans le domaine des soutiens. En particulier, les crédits d'infrastructures, autrefois regroupés à l'action 4 du programme 212, sont désormais ventilés sur les programmes 178, 146 et 212 en fonction de leur objectif. Cela ne facilite pas les comparaisons par rapport à 2019, mais cela nous offrira dès l'année prochaine un outil de suivi plus fin des arbitrages gouvernementaux entre les infrastructures technico-opérationnelles, d'une part, et l'infrastructure de vie, d'autre part, dont dépend pour beaucoup la condition du personnel et donc, la fidélisation.

Le PLF 2020 me donne une autre source de satisfaction : l'augmentation des crédits du service de santé des armées (SSA). Après des années à déplorer l'attrition continue de ce budget ô combien indispensable pour nos armées, on peut enfin noter une vraie revalorisation : plus 17 % en autorisations d'engagement, plus 22 % du côté de la masse salariale. Il était temps ! Je rappelle qu'en 2018, le taux de projection des équipes médicales était de 106 %, malgré l'apport des réservistes, et de 200 % pour les équipes chirurgicales… Le président du Haut comité d'évaluation de la condition militaire, que j'ai rencontré et qui a consacré son treizième rapport thématique à « la mort, la blessure, la maladie », n'a pas caché ses vives préoccupations à l'égard des tensions observées au sein du SSA. Je crois savoir que le Président de la République a été légitimement alarmé du constat qu'il lui a présenté. Je me réjouis donc de cette évolution du budget du SSA tout en espérant qu'elle s'inscrira dans le temps, en particulier s'agissant du suivi de l'évolution de la santé mentale du combattant et de sa famille.

S'il y a en revanche une évolution que j'ai du mal à comprendre, c'est celle des crédits dédiés à la reconversion. Au moment où Défense Mobilité doit augmenter ses efforts en direction des militaires blessés et des conjoints de militaires dans le cadre du plan « Famille », les crédits dédiés à la reconversion baissent de plus de 5 % par rapport à 2019. Les réponses écrites que j'ai reçues m'ont laissé dubitatif. À l'heure des remontées en puissance et d'un effort concerté sur la fidélisation, il peut être tentant de croire que la reconversion n'est pas une priorité ; ce serait une erreur grossière, tant la promesse d'employabilité est fondatrice de l'attractivité des armées, en particulier pour les jeunes militaires du rang contractuels.

La partie thématique de mon rapport porte cette année sur le plan « Famille ». J'ai voulu savoir ce que recouvrait réellement ce plan et s'il s'agissait d'un « coup de com'» ou non. L'honnêteté me commande de dire qu'il serait abusif de parler d'un pur habillage, même si les efforts consentis mériteraient une meilleure ligne organisatrice. Oui, il y a eu au ministère des Armées une prise de conscience quant à la nécessité d'une approche globale de l'action sociale en direction des militaires et de leurs familles : oui, il y a une mobilisation des administrations pour mettre en oeuvre des mesures de bon sens au profit d'un meilleur accès à l'aide sociale et aux soutiens ; oui, il y a une augmentation des ressources budgétaires dédiées aux infrastructures, aux petits équipements, à l'ouverture de places en crèches et à des chantiers de numérisation, même si ces augmentations de ressources étaient en partie déjà prévues.

En revanche, la même honnêteté me commande de signaler les faiblesses de ce plan « Famille ».

Premièrement : où est la « revue stratégique » préalable au plan « Famille » ? Il n'y en a pas ! Plusieurs des personnes que j'ai entendues me disent que ce plan est bienvenu mais pas forcément novateur. Il n'y a pas eu d'analyse sur les besoins de l'action sociale des armées à long terme compte tenu des évolutions sociales. Je vais illustrer simplement ce point : prenez l'objectif d'augmenter le nombre de places en crèche de 20 %, par exemple. Pourquoi 20 % ? Parce que c'est l'effort que le ministère a estimé pouvoir fournir dans le délai imparti compte tenu du cadrage pré-loi de programmation militaire – LPM –, alors en cours d'élaboration… La méthode me paraît assez contestable et peu satisfaisante. Il faut plutôt définir un objectif sous la forme d'un taux de satisfaction des besoins de garde d'enfants et d'évaluer la pertinence de cet objectif par rapport à l'évolution probable des besoins de garde d'enfants. Le rapport de nos excellents collègues Geneviève Gosselin-Fleury et Charles de la Verpillière, en 2017, avait déjà bien pointé cet enjeu.

Deuxièmement : pourquoi les états-majors sont-ils écartés du processus d'expression des besoins ? Encore un enjeu souligné par nos deux collègues en 2017 dans leur rapport sur l'accompagnement social des militaires. Le ministère des Armées s'enorgueillit à juste titre d'avoir mené une grande concertation directe des militaires – mais sans demander aux états-majors et aux chefs de corps quelles sont leurs priorités… Résultat, le militaire du rang hébergé au 1er régiment d'infanterie-chars de marine (RICM) regarde des séries télévisées depuis sa chambre grâce à un Wifi flambant neuf et hors de prix, mais il doit prendre sa douche en traversant la cour du régiment en claquettes et en serviette, faute de budget suffisant pour rénover les douches qui tombent en ruines ! Pour un chef de corps, c'est injustifiable. Or, jusqu'à preuve du contraire, ce sont les chefs de corps et les états-majors qui sont les responsables du moral de leurs hommes ; c'est à eux d'établir les priorités dans les dépenses pour améliorer le quotidien des soldats qu'ils commandent et côtoient. Cela ne doit pas relever d'une décision unilatérale émanant de Paris.

Le plan Famille est appelé à être un formidable outil de territorialisation grâce à l'ancrage des familles de militaires dans le lien armée-nation. Il est donc grand temps d'envisager un acte II.

Premièrement, il faut développer la communication dont les modalités restent à inventer. Tout le monde vous le confirmera : peu de militaires connaissent le plan Famille en tant que tel. L'important est qu'ils sachent où trouver les réponses qu'ils se posent avec leur conjoint ou leurs parents. La communication digitale tant vantée par le ministère n'est pas encore opérationnelle et elle ne fera pas tout. J'ai rencontré des commandants de base de défense et pris connaissance de leurs initiatives. Je tiens à saluer l'intelligence de leurs propositions qui illustrent l'utilité de développer une communication adaptée à chaque public au niveau local.

Deuxièmement, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) m'a mis, à juste titre, en garde contre la tentation de considérer ce plan Famille comme l'alpha et l'oméga de l'amélioration de la condition militaire. La qualité du soutien santé, la juste compensation des sujétions dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération et la réforme des retraites sont des chantiers autrement plus déterminants, avec des implications financières bien plus importantes, ne l'oublions pas.

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