Je rappellerai tout d'abord les enjeux de la construction du drone MALE européen. L'idée est bien de disposer d'un drone européen en propre pour ériger une base industrielle technologique de défense européenne et donc s'affranchir des contraintes qui peuvent peser sur des matériels achetés sur étagère ; je pense en particulier au Reaper. Le ministère a fortement insisté sur la nécessité pour les industriels de maîtriser leurs coûts, et la DGA semble plutôt optimiste quant à l'issue des négociations en cours. On peut donc raisonnablement penser que le budget prévu dans le programme 146 pour l'année 2020 est réaliste.
Monsieur Lejeune, vous vous inquiétez de la capacité des industriels à répondre à nos besoins. Avec la nouvelle loi de programmation militaire, nous rencontrons en effet des difficultés inédites, des problèmes de riche, en quelque sorte : auparavant, c'était une tension à la baisse qui s'exerçait sur les effectifs, aujourd'hui ce sont les chaînes de production qui ont parfois du mal à fournir ! On rencontre ce problème dans le domaine terrestre, mais pas seulement. Le frein principal ne réside d'ailleurs pas tant dans l'outil de production que dans les ressources humaines. C'est là que se font jour les besoins les plus criants, dans les métiers les plus techniques, pour les compétences rares parfois dites orphelines, comme les soudeurs : dans les ports de Saint-Nazaire ou de Brest, on n'en recrute pas assez, faute de candidats. Voilà où nous devons porter notre effort en agissant efficacement avec le tissu industriel et l'ensemble de notre système d'éducation et de formation pour accompagner ces filières et éviter qu'elles ne soient trop en tension à l'avenir.
Monsieur Marilossian, vous m'interrogez sur le programme franco-allemand SCAF et sur le projet Tempest des Britanniques, appuyés par les Italiens et les Suédois. J'ai eu l'occasion lors des auditions d'interroger longuement les Britanniques sur ce sujet ; plusieurs questions se posent.
Le projet Tempest est à prendre au sérieux : avec l'engagement des Suédois, c'est en quelque sorte le « club Eurofighter » qui se reconstitue – moins les Allemands –, entre des acteurs qui savent travailler ensemble, tout comme les industriels BAE Systems et Leonardo. Ils le montrent d'ailleurs déjà. Quant à savoir s'il s'agit d'un simple développement technologique visant à rester au niveau de la compétition mondiale ou si l'ambition est d'aboutir à la construction d'un véritable avion de combat, l'avenir nous le dira. On peut également s'interroger sur le financement du projet, la situation de la Grande-Bretagne étant pour l'heure assez incertaine. Nous verrons dans les prochains mois sur quels leviers les Britanniques pourront s'appuyer pour financer le Tempest.
S'agissant du programme SCAF, il avance bien. Le conseil des ministres franco-allemand qui s'est tenu la semaine dernière a permis de lever certaines incertitudes. Sur l'initiative de nos amis allemands, le MGCS et le SCAF ont commencé d'être développés conjointement. Les parlementaires allemands du Bundestag avaient été quelque peu réticents à financer les études amont sur le SCAF ; cette difficulté est désormais écartée. Français et Allemands sont tombés d'accord sur une architecture industrielle pour le MGCS, et un démonstrateur d'avion de combat de nouvelle génération devrait voler d'ici à 2026. La question du moteur reste en suspens : si Safran et MTU sont convenus de travailler ensemble, reste à trouver l'équilibre industriel qui permettra de donner un moteur à cet avion du futur.
Monsieur Chassaigne, vous m'interrogez sur notre degré d'indépendance vis-à-vis des États-Unis dans le programme SCAF, dont l'objectif est précisément que nous atteignions en 2040 une capacité autonome dans le domaine aérien. Pour le dire crûment, le but est que nous ne nous retrouvions pas avec leur F-35… Or cela suppose un travail en commun, car le coût unitaire des matériels croît de manière très significative. Si on ne sait pas construire un avion ensemble en 2040-2050, on ne saura pas en faire du tout.