Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Des collègues du groupe Les Républicains m'ont demandé si notre groupe accepterait l'article 57 en l'état ou souhaiterait le durcir puisqu'il s'agit d'un dispositif de lutte contre la fraude fiscale. Ce ne sera pas le cas ; je vais plutôt m'associer aux amendements de suppression – nous en déposerons un en séance publique – même si vous tentez d'améliorer le dispositif.

Depuis plusieurs années déjà, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a adopté des techniques de collecte en masse de données et de data mining pour faire rentrer l'argent dans les caisses de l'État, même si cela ne concernait pas les réseaux sociaux que vise le présent dispositif. Or, au cours de la même période, on a supprimé des milliers de postes d'agents chargés du contrôle fiscal.

Le document de politique transversale sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, annexé au projet de loi de finances pour 2020, est clair. On contrôle moins : est-ce parce qu'on contrôle mieux grâce au data mining ? On récupère moins d'argent. Pourquoi ? Est-ce parce qu'il y a moins de fraudeurs ? Ce serait une bonne nouvelle, mais je ne le crois pas. Est-ce parce qu'on les attrape moins bien ? C'est la triste réalité : lorsqu'on analyse l'évolution de notre produit intérieur brut et celle des rentrées fiscales, on note une divergence de plusieurs milliards d'euros, confirmée par l'association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne (ATTAC) ou le syndicat Solidaires Finances publiques. La fraude fiscale pourrait atteindre 80 milliards d'euros !

Avec mon collègue de La République en Marche, Jacques Maire, j'ai produit un rapport d'évaluation de la lutte contre la délinquance financière. À aucun moment au cours de nos auditions, les services de l'administration fiscale, de la police, de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ou du parquet national financier ne nous ont demandé à avoir accès aux données personnelles des contribuables sur les réseaux sociaux ! Je le répète, personne ne nous l'a demandé… Si vous ne me croyez pas sur parole, vous pourrez interroger votre collègue de la majorité.

Récemment, le ministre Darmanin s'est félicité que l'État ait recouvré 5,6 milliards d'impôts dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, soit 40 % de plus que l'année dernière à la même période. Mais – je vous renvoie au document de politique transversale – 2018 avait été une année particulièrement faible en termes de recouvrement. C'est probablement pourquoi le ministre nous avait alors dit que les fraudeurs étaient moins nombreux ! Quand le recouvrement diminue, c'est qu'il y a moins de fraudeurs, et quand il augmente, c'est parce que les services ont mieux travaillé ! Il va falloir choisir…

S'agissant de l'équilibre entre liberté et sécurité, je partage les propos de mon collègue Philippe Gosselin ; nous devrions en tenir plus souvent de tels – je pense notamment à nos débats sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Je m'opposerai donc à l'article 57 par cohérence, d'autant que je suis persuadé que le renseignement humain est bien plus efficace que n'importe quelle technologie.

Les plus grands fraudeurs fiscaux – ceux qui sont dans mon collimateur – ne postent pas leurs photos sur Facebook, Twitter ou Instagram ! Ils n'y sont pas. Ils vivent dans leur petite bulle, où l'argent circule facilement. Quel est l'objectif de ce nouveau dispositif ? Je m'inquiète déjà des prérogatives et droits octroyés aux caisses d'allocations familiales, qui peuvent accéder très facilement aux comptes bancaires des allocataires, alors que l'OCLCIFF, chargé de la lutte contre la grande délinquance financière et le blanchiment de fraude fiscale aggravée, n'y a pas directement accès – ce qui est normal puisqu'il faut une réquisition judiciaire.

Je vous alerte : nous prenons une voie qui risque de faire de nous les objets des technologies que nous avons créées, plutôt que les acteurs de notre destin commun.

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