Intervention de Emmanuelle Ménard

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

J'ai déjà eu l'occasion de dire toutes mes craintes et mon opposition à cet article lors de la discussion générale du projet de loi de finances il y a quelques jours. J'en ai même fait l'essentiel de mon intervention. L'article 57 prévoit d'autoriser l'administration fiscale à collecter et exploiter les contenus librement accessibles publiés sur internet. Une autorisation donnée à titre expérimental, pour trois ans, en attendant plus car, s'il estime que cela fonctionne, Bercy ne se privera pas…

Il s'agit ni plus ni moins d'espionner les contribuables, afin de détecter si leur train de vie est en adéquation avec ce qu'ils déclarent au fisc. Ce type de procédé, appelé CFVR, existe déjà et le Gouvernement nous explique simplement poursuivre dans cette voie.

C'est faux et la CNIL l'explique très bien dans son avis du 12 septembre dernier : nous sommes confrontés à un véritable renversement de méthode. Jusqu'à présent, on aspirait des données issues des fichiers et des données internes aux administrations. Avec l'article 57, on s'appuiera désormais « sur une collecte générale préalable de données relatives à l'ensemble des personnes ».

La CNIL est allée jusqu'à s'interroger sur la proportionnalité entre l'ampleur de la collecte et l'objectif recherché : « une telle atteinte ne saurait être admise que si elle apparaît strictement nécessaire et proportionnée au but poursuivi et qu'elle présente des garanties suffisantes au regard du respect des principes fondamentaux du droit à la protection des données personnelles ». La CNIL considère qu'en l'état actuel de la rédaction de l'article, cette proportionnalité n'est pas assurée.

Pour promouvoir la mesure, le Gouvernement explique que les informations et les photographies publiées sur les réseaux sociaux sont accessibles à tout le monde, et qu'il n'y a pas de raison que l'administration fiscale soit la seule à ne pas pouvoir les prendre en compte. En réalité, le fait que des données sont accessibles sur internet ne signifie pas qu'elles puissent être librement aspirées dans un but autre que celui dans lequel elles ont été publiées. C'est d'ailleurs le sens de l'avis très critique rendu par la CNIL.

Plus inquiétant encore, les ordinateurs de Bercy ne se contenteront pas de récolter les données des personnes concernées, mais aussi celles qui seront publiées par des tiers – avis ou commentaires. Cela va contribuer à instituer, via les réseaux sociaux, un véritable système généralisé d'aviseurs fiscaux – l'autre nom des mouchards ou des délateurs.

Outre ces risques, la CNIL a également averti, et c'est probablement le plus grave, que la mise en oeuvre d'un tel mécanisme est « susceptible de porter atteinte à la liberté d'opinion et d'expression » des personnes concernées. Et pour cause, puisque ce que les contribuables publieront sera enregistré, analysé par des algorithmes et potentiellement conservé pendant un an si une procédure est lancée.

Aujourd'hui, notre responsabilité est lourde. Ce dispositif est critiquable et cette technique très intrusive ne peut se justifier que vis-à-vis de catégories ciblées de personnes, déjà suspectées d'infractions. Elle ne saurait être utilisée pour tous les citoyens, transformés en autant de suspects. C'est pourquoi je m'opposerai à l'article 57.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.