Intervention de Khadija Azougach

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 17h20
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Khadija Azougach, juriste et personne-ressource du Planning familial sur les violences :

Bien qu'avocate et anthropologue, j'ai mesuré l'importance du travail de terrain pour se former à la question des violences. Militante depuis vingt ans au Planning familial, j'ai été invitée à me former dès le début. Le Planning, avec ses outils de formation, m'a appris à mieux écouter, à mieux repérer. Quand on frappe à la porte d'une association, d'un commissariat, ou d'un cabinet d'avocats, la parole ne se libère pas tout de suite ; il y a un climat de confiance à établir. Du fait de la médiatisation, du fait du Grenelle et autres, on entend plus parler de ces violences, mais il est toujours difficile de parler de soi. Avec ces outils de formation, on permet aux différents acteurs de libérer la parole et d'entendre. Les personnes qui viennent vous voir ne vous diront pas spontanément être victimes ; elles vous parleront d'autres choses, des effets sur les enfants, de problèmes de santé ou de la nécessité d'un divorce,… Les violences ne sont évoquées qu'ensuite ; elles sont pourtant le sous-jacent de tous ces éléments.

Les formations permettent aussi de mesurer ce qui est déployé dans le cadre des partenariats départementaux. Ils permettent de la co-formation entre forces de l'ordre, travailleurs sociaux, avocats, magistrats… Sont ainsi réunis les différents acteurs de la chaîne, ce qui permet une cohérence et d'éviter que la victime ne soit perdue par toutes les démarches. Se dévoiler une fois, c'est beaucoup, mais se dévoiler auprès de chacun des acteurs, c'est très difficile. Quand elles viennent nous voir, elles nous disent être épuisées par ce parcours. Il me semble donc primordial que tous les acteurs travaillent ensemble avec les mêmes outils. Cela est vrai pour identifier les violences mais aussi pour les prévenir. L'urgence ne doit pas nous faire oublier l'importance de la prévention, ainsi que le rappelait Véronique Séhier quand elle parlait de la sensibilisation sur le sexisme dès le plus jeune âge. La violence, avant tout, est un rapport de genre.

Avec le Planning familial, nous avons un programme au collège, mais nous aimerions qu'il y ait cette sensibilisation dès l'école primaire. On nous remonte des problématiques, des signalements de rapports de genre, de violences liées au sexe dès l'école primaire. onc, plus tôt on intervient, mieux c'est. Ce serait plus cohérent et cela répondrait d'ailleurs aux exigences de la convention d'Istanbul qui insiste sur cette prévention dès le plus jeune âge. En France, nous avons encore ce problème de sensibilisation aux violences sexistes. Quand nous parlons de violences sexistes au Planning familial, nous ne nous arrêtons pas simplement aux violences de couple, nous traitons aussi des violences intrafamiliales comme les mariages forcés ou les crimes d'honneur.

Nous essayons d'intervenir dans les quartiers dits « sensibles » en prévention, en travaillant avec les collèges, les lycées, mais aussi avec d'autres travailleurs sociaux par la formation et auprès des parents. Il faut considérer les parents comme des partenaires pour, par exemple, éviter des renouvellements de mariages forcés ou des crimes d'honneur en renvoyant l'enfant au pays.

Nous avons appelé de nos voeux de la loi de 2010 et la création de l'ordonnance de protection ; c'était un combat central pour nous. Malheureusement, dix ans après, on parle encore des mêmes problèmes, oubliant les textes qui sont pourtant clairs et qui doivent permettre de protéger la victime, d'évincer le conjoint violent et d'éviter que la victime ne doive aller dans des structures d'hébergement. Si la victime veut rester chez elle, on ne lui préconise pas d'aller dans un hébergement d'urgence. Souvent, les victimes me disent avoir été contraintes de retourner dans leur logement car elles ne se sentaient pas en sécurité dans l'hébergement d'urgence qui leur était proposé. Elles préfèrent revenir chez elles plutôt que d'aller d'un foyer à l'autre. Mais elles disent se sentir jugées quand elles font ce choix. Il faudrait pourtant leur poser la question dès le début, leur laisser le choix entre rester chez elles et rejoindre un centre d'hébergement. La majorité des victimes, 80 %, demande à rester dans leur logement. Cette solution coûterait moins cher à l'État que de créer des centres d'hébergement pour les femmes, un homme auteur de violences pouvant être logé dans un hôtel.

La femme victime de violences qui doit partir, souvent avec des enfants, doit être protégée. Il nous faut donc développer les partenariats avec les préfets et les parquets. À Paris notamment, nous avons des parquets très réactifs : dès qu'il y a une plainte, le parquet prend une ordonnance de contrôle judiciaire. Sans avoir à attendre une ordonnance de protection, on éloigne le conjoint violent et on lui interdit d'approcher le logement. Malheureusement, ces progrès restent liés à la bonne volonté des parquets.

Au Planning familial, nous avons pu voir qu'en accompagnant les femmes dans ce dispositif, nous arrivons plus rapidement à les faire sortir de ce cycle de violence, parce que non seulement l'auteur a une interdiction de s'approcher de la victime le temps que l'affaire soit jugée mais surtout, en raison de cette interdiction, il ne peut exercer de pression sur elle, prétendant vouloir voir les enfants. On l'a déjà évoqué, mais les violences post séparation sont importantes. On les minimise ; beaucoup de magistrats les minimisent, considérant que l'ordonnance de protection n'est plus nécessaire puisque l'auteur n'est plus dans le logement. Je crois qu'on ne voit pas la réalité : l'enfant est instrumentalisé dans ces violences post-séparation et la femme est en grand danger, avec un fort risque de féminicide. Le film Jusqu'à la garde le montre très bien.

C'est la raison pour laquelle les ordonnances de protection doivent être plus en cohérence avec le pénal. D'un côté, le parquet rend une ordonnance de contrôle judiciaire et, de l'autre, le juge aux affaires familiales (JAF) rend, ou non, une ordonnance de protection. On constate hélas trop souvent que le juge civil, dès lors qu'il voit une ordonnance de contrôle judiciaire, refuse l'ordonnance de protection. Seulement seul le juge aux affaires familiales peut, par l'ordonnance de protection, prononcer des mesures liées aux enfants. Seul lui peut protéger les femmes et les enfants en évitant qu'ils soient harcelés après la séparation. Il faut ensuite que le juge se prononce au cas par cas et se penche sur la question de l'autorité parentale.

Nous considérons que l'hébergement est en enjeu subsidiaire dans l'accompagnement des victimes. Il est surtout essentiel de les écouter, de les entendre en tant que sujets de droit, de savoir ce qu'elles veulent et de leur rappeler que si elles partent du logement, elles n'auront pas tout de suite un autre logement. Beaucoup de mes clientes pensaient, à tort, qu'elles bénéficieraient immédiatement d'un autre logement. Il faut bien que nous les prévenions de cette réalité car sinon elles vont retourner à leur domicile pour éviter les violences des autres personnes accueillies dans les foyers.

Le Planning familial a contribué en 2017 à un rapport du CESE sur la prise en charge des enfants et les effets des violences sur eux. Trop souvent les violences faites aux femmes sont minimisées si l'enfant n'en est pas directement victime lui aussi. S'il n'y a pas maltraitance, on considère que l'enfant n'est pas concerné. Le père reste un bon père et on estime que s'il est un mauvais mari, cela ne veut pas forcément dire qu'il est un mauvais père.

Les rapports des pédopsychiatres et les auditions d'enfants montrent pourtant les effets indirects de ces violences, que les enfants y aient assisté directement ou qu'ils les aient entendues. Interrogés - quand ils sont en âge de l'exprimer - ils disent préférer voir leurs parents séparés que vivre sous le même toit car la mère n'y est pas en sécurité. Plusieurs rapports confirment bien qu'un mauvais mari peut être un mauvais père.

Il faut travailler aussi sur les auteurs de violences ; au Planning un groupe de parole leur est dédié. Dans certains départements, ce travail est fait dans ou hors des prisons, notamment lorsqu'une peine accessoire est prononcée. L'idée est de faire un travail sur les violences pour éviter qu'elles se renouvellent, notamment sur les enfants. Cet accompagnement est essentiel pour donner une chance à la parentalité.

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