La formation et la prise en charge à long terme sont liées. Nous avons parlé de la formation des professionnels de santé, des intervenants sociaux, et des enseignants ; nous n'avons pas évoqué la question des magistrats et des professionnels du droit de façon beaucoup plus large.
Je pense, au vu des travaux du Grenelle, que cette question va être beaucoup plus investie. On évoque une formation obligatoire de tous les magistrats à chaque changement de fonction, c'est très positif. Nous attirons votre attention sur la nécessaire formation de tous les professionnels du droit, notamment des huissiers. Il y a des expérimentations, que vous devez connaître, qui sont très intéressantes en la matière et je pense par exemple aux 5 000 actes gratuits proposés par l'association des femmes huissiers de justice. Il faut aussi former les avocats sur l'ordonnance de protection. Le guide de la Chancellerie reconnaît que ce dispositif est mal appliqué et souvent on met en avant le fait que les avocats ne le connaissent pas et n'en mesurent pas l'intérêt.
Je reviens sur l'intérêt de prononcer une ordonnance de protection même quand une éviction a été prononcée en amont au pénal. L'ordonnance de protection permet d'assurer les moyens de vie de la femme victime en fixant une contribution à l'entretien des enfants, une prise en charge des frais afférents au logement, les mesures prononcées sur l'exercice de l'autorité parentale. C'est donc absolument fondamental.
La proposition de loi que vous venez d'adopter ouvre des perspectives très intéressantes notamment en prévoyant que les ordonnances de protection sont prononcées dans un délai maximum de six jours. La mise en oeuvre de cette mesure va supposer de former tous les acteurs.
Il ne faut pas former uniquement ceux qui interviennent dans l'accompagnement direct des femmes victimes. Comme l'a souligné Mme Séhier, les femmes victimes de violences ne sont pas que cela : elles sont aussi des citoyennes qui peuvent être salariées, qui ont d'autres problématiques juridiques.
En ce qui l'hébergement d'urgence, je suis complètement d'accord sur le fait que l'éviction du conjoint violent doit être automatique et ne doit être écartée que si la victime ne veut pas rester dans le logement. Je crois comprendre que la question a été posée dans le cadre du Grenelle. Il faut pour cela résoudre un problème en termes de droit civil. La victime n'a en effet pas nécessairement de droits sur le logement.
S'il le logement est la propriété exclusive de l'auteur ou si le bail est seulement à son nom, le droit ne permet pas de maintenir à long terme la victime dans le logement. Si l'auteur et la victime sont propriétaires ensemble, on peut avoir des problèmes sur la prise en charge des frais liés à l'appartement ou le remboursement du prêt. D
Depuis la loi sur la réforme de la justice de mars 2019, en présence d'enfants, le juge aux affaires familiales peut prononcer l'attribution de la jouissance du logement pendant six mois. C'est quelque chose de positif, tout comme la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) qui permet la non-application de la clause de solidarité quand il y a une condamnation pour violences ou une ordonnance de protection.
Même si les violences sont actées par un acte judiciaire, il faut déterminer comment les mesures prises s'articulent avec le droit commun de la propriété ou les droits du titulaire du bail. On ne peut pas bafouer ces droits.
Au-delà des enjeux de condamnation de l'auteur et de l'obtention d'un jugement de divorce – y compris les mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale -, les victimes sont confrontées à des problèmes dans la liquidation du régime matrimonial, la séparation des biens, et surtout, plus que le partage des biens, dans le partage des dettes. Nous avons énormément de femmes qui, bien que la juridiction pénale ou la juridiction civile aient reconnu leur situation de violence, se retrouvent dans des situations de surendettement.
Je pense donc qu'il faut former à cette question tous les professionnels ; je pense ici aux membres des commissions de surendettement, aux juges des tutelles mais aussi aux personnes travaillant dans les banques. Il ne s'agit pas de déroger aux dispositifs légaux ; on ne pourra pas attribuer la propriété d'un bien à une personne victime si elle n'a pas de droit sur cette propriété. En revanche, on peut appréhender ces enjeux plus globalement, en lien avec l'action sociale.
L'accompagnement à long terme, c'est pouvoir accompagner une femme qui, comme il a justement été dit, n'est pas qu'une victime. Il faut penser aussi à la prise en compte de l'environnement professionnel. Nous avons des actions auprès des entreprises pour les sensibiliser sur la question des violences conjugales pour qu'elles soient vigilantes à la situation de ces femmes victimes, en accordant de la souplesse dans l'articulation des temps de vie et dans l'organisation du temps de travail.