Vos questions et les témoignages que vous rapportez mettent l'accent sur les enjeux de la sensibilisation et de la formation de tous les professionnels, en l'espèce des gendarmes et des avocats. J'ai pu intervenir auprès de gendarmes de la région Centre dans le cadre d'une formation délivrée par le Planning. Ils ont dit être démunis, gérer l'urgence et ne pas avoir le temps de traiter toutes les plaintes et les mains courantes. Si une victime dit vouloir déposer une main courante, ils le font sans se demander s'il n'aurait pas fallu recueillir une plainte car il y a bien des violences. Ils ne connaissent pas les protocoles cadres ni les textes qui sont pourtant clairs ! Le protocole de 2014 prévoit par exemple que même une main courante doit être signalée au parquet. Les gendarmes disent qu'ils ont des difficultés du fait d'un manque global de sensibilisation et de formation.
Les groupes de formation sont indispensables et permettraient que les forces de l'ordre arrêtent par exemple de conseiller automatiquement à la victime de quitter le domicile. Mes clientes me disent qu'à Paris on leur conseille d'agir ainsi. Il faudrait plutôt rappeler à la victime ses droits et avertir le parquet qui peut ainsi prononcer une ordonnance de contrôle judiciaire, la protégeant temporairement elle et ses enfants.
Le manque que nous constatons chez les médecins existe aussi chez les avocats. Pour ces derniers, la sensibilisation ne peut passer que par le contrôle continu. Le Planning familial propose des formations avec le barreau de Paris mais seulement pour les avocats qui le souhaitent ; ce n'est pas une obligation. Il est regrettable que dans notre formation nous n'ayons rien sur les violences faites aux femmes, même quand on veut se spécialiser en droit de la famille. Beaucoup d'avocats se disent spécialisés et experts en droit de la famille, mais ils ne maîtrisent pas du tout ces questions et demandent à la victime de faire un divorce. Or une procédure de divorce demande, en moyenne, trois ans. Et une ordonnance de non-conciliation demande souvent un an même si c'est très variable selon les départements ; à Paris il faut compter huit à neuf mois. La loi prévoit en revanche un délai de 15 jours pour une ordonnance de protection. En réalité, sauf dans le cas de l'expérimentation de Bobigny, on est plutôt sur un délai d'un mois. La victime peut donc bénéficier d'une protection avec l'ordonnance du parquet et l'ordonnance de protection peut prendre des mesures provisoires qui auraient notamment réservé les droits du père.
Concernant l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales est toujours saisi par un référé. Dès lors que des éléments montrent le danger, surtout lorsque l'auteur des violences est en contact avec la femme et les enfants, on peut demander l'exercice exclusif de l'autorité parentale. Le retrait total de l'autorité parentale concerne les cas extrêmes, quand il y a maltraitance sur enfant. Le juge civil comme le juge pénal peuvent prendre une telle mesure mais seulement dans les cas extrêmes. L'exercice exclusif peut au contraire être prononcé par un référé, notamment lorsqu'il n'y a pas communication dans le couple, ce qui est contraire à l'intérêt des enfants. C'est sur ce fondement que le magistrat peut intervenir.
Sur la formation dans les établissements scolaires, avec le Planning familial, nous avons constaté une régression. Beaucoup de jeunes filles ont un rapport à leur corps où elles se dévalorisent, où elles acceptent plus facilement la violence, où il n'est pas facile pour elles de dire non. Face à cette situation, nous en arrivons à faire des groupes de parole distincts quand nous intervenons dans des collèges, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, pour libérer facilement la parole. Ensuite, on remet filles et garçons ensemble. Quand j'ai commencé à militer au Planning il y a 20 ans, nous n'avions pas ce phénomène.
Comme vous, nous constatons de la violence dans les jeunes couples, dès l'âge de 15 ans. J'ai même des dossiers devant le tribunal pour enfants à cause de ce type de violences. Je crois que la violence est banalisée par une sorte de conditionnement liée aux références sur Internet ou à des films. Nous essayons d'intervenir, mais à 15 ans, c'est déjà trop tard. Il faut agir bien plus tôt, dans les écoles primaires avec des exemples comme celui que vous évoquiez.