Intervention de Éric Woerth

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président :

Avec Benjamin Dirx, nous avons mené une mission pendant quatre mois sur les fonds activistes. Nous avons effectué un déplacement à New York, puisqu'il s'agit d'un phénomène assez concentré aux États-Unis. Nous avons rencontré toute une série de fonds ; parmi les plus connus Elliott, Third Point ou Muddy Waters. Nous avons rencontré des entreprises françaises qui ont fait l'objet de demandes des activistes : Pernod Ricard, Scor, Casino et quelques autres. Nous avons rencontré les régulateurs français et européens : l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'European Securities and Markets Authority (ESMA). Nous avons rencontré des banquiers, des spécialistes des marchés financiers comme La Financière de l'Échiquier (LFDE), mais aussi des banquiers comme Lazard, qui ont une activité dédiée aux activistes. Nous avons rencontré des sociétés de communication financière, notamment Image 7 et Shan. Nous avons également rencontré des lawyers spécialisés sur ce sujet.

Au fond, qu'est-ce qu'un activiste ? Il s'agit d'un actionnaire plus actif que les autres, quelqu'un qui a décidé d'entrer dans une société cotée pour y faire entendre sa voix. Soit il fait entendre sa voix à la hausse en disant que la société est sous-cotée, sous-valorisée, qu'il faut révéler sa valeur ; soit il considère que la société est surcotée et il vend ses actions à découvert, en pariant sur le fait que le cours de la société va chuter pour un certain nombre de raisons. Aujourd'hui, ce sont les deux grandes voies de l'activisme.

En général, l'activiste entre dans une société assez brutalement, sans vraiment s'annoncer. Il y a toujours des moments de tension. Il met sous pression l'entreprise. L'activiste fait campagne, c'est-à-dire qu'il prend le public ou les autres actionnaires à témoin pour obtenir une validation de sa stratégie et tenter d'influer sur le cours.

L'activisme est d'abord un phénomène américain. Je vous cite quelques chiffres : en 2018, 922 entreprises ont été ciblées, dont 491 aux États-Unis ; en France, il y a eu quatre campagnes médiatiques. Ce n'est pas un phénomène répandu, mais c'est un phénomène très médiatisé. La pression est très forte, les entreprises sont très connues et les enjeux sont majeurs. L'activisme influe sur la valorisation de l'entreprise. Mais l'action d'un activiste peut aussi avoir une incidence sociale.

Le phénomène va-t-il s'arrêter aux États-Unis, ou à l'inverse prospérer en France ? Nous pensons qu'il tend plutôt à se développer. Certes, le marché américain n'est pas saturé. C'est un marché très large, mais qui est quand même déjà très regardé. Nous pouvons penser que la France et l'Europe sont potentiellement attractives pour ces fonds.

Par ailleurs, les fonds ont tous la même méthode. Après une entrée au capital rapide, inattendue, parfois un peu brutale, ils cherchent soit à libérer de la valeur, soit à révéler une valeur inférieure à celle du marché.

Pour Casino, l'activiste Muddy Waters parie à la baisse du titre. Il considère que les structures juridiques ou financières n'ont pas été totalement prises en compte par le marché. Il pense qu'en réalité, l'action Casino est surcotée par le marché. Il tente de démontrer aux marchés financiers qu'il a raison et que ce titre vaut moins cher que le prix établi par le marché.

Dans les cas contraires, il y a une sous-valorisation du titre. Par exemple, quand Eliott entre au capital de Pernod Ricard, il considère qu'il faut révéler de la valeur. Ce sont évidemment des actions et des méthodes très différentes.

Les activistes émettent souvent des suggestions, sur divers sujets. Le premier est la gouvernance. Les fonds affirment que l'entreprise est mal gouvernée ou que les structures de gouvernance ne sont pas les bonnes. Par exemple, ils prônent la dissociation des fonctions de président et de directeur général ; ou alors ils contestent la trop faible indépendance du board et l'absence de contre-pouvoir à l'intérieur du Conseil d'administration. En dehors de la gouvernance, la stratégie de l'entreprise peut aussi être sujette à caution. Il y a des activités qui, selon l'activiste, doivent être vendues ou transformées pour rendre l'entreprise plus rentable.

De plus, les activistes font appel au public et ont souvent recours aux médias. Très souvent, des articles de journaux permettent de valider ou en tout cas de renforcer leurs thèses.

Par ailleurs, des batailles de vote peuvent survenir. Les activistes vont chercher à faire voter des résolutions : cela peut concerner le salaire des dirigeants comme constituer une mise en cause de la stratégie de l'entreprise. Il y a des batailles de procurations, que l'on appelle batailles de proxy. Nous avons rencontré des agences de vote qui représentent des actionnaires et qui votent au nom d'un certain nombre d'entre eux.

Cela étant, nous considérons que l'activisme est d'abord utile. C'est toujours difficile à dire, mais il est essentiel que les actionnaires soient actifs. Notre rapport entend démontrer qu'il faut combattre les excès, et qu'un bon marché financier, c'est d'abord un marché financier très transparent dans lequel l'information, la bonne information, est diffusée. Un bon marché financier est un marché qui régule la qualité de l'information et dans lequel l'information n'est pas asymétrique.

On peut distinguer trois types de campagnes d'activistes. Un premier type de campagne correspond aux campagnes qui se déclenchent sur des événements particuliers. Par exemple, Scor, quatrième réassureur mondial, est sous la pression de son actionnaire de référence, Covéa, qui souhaite en prendre le contrôle. Un fonds activiste français, Charity Investment Asset Management (CIAM), a racheté moins de 1 % du capital et a commencé à exercer une pression sur le management pour dire que l'entreprise doit être gérée autrement.

Il y a une deuxième catégorie d'activistes, ceux qui entrent au capital à tout moment et sans événement particulier. Eliott est entré au capital de Pernod Ricard parce que ses experts ont étudié les comptes financiers du groupe et estiment que cette entreprise est sous-valorisée. À ce moment-là, la discussion s'engage avec l'entreprise. À partir d'une participation souvent très faible, l'activiste construit un dialogue stratégique avec l'entreprise.

Le troisième type de campagne activiste est le short selling, c'est-à-dire la vente à découvert : l'activiste parie sur la baisse d'un titre. C'est évidemment la plus emblématique et elle continue d'ailleurs à animer la planète financière française. Il s'agit de Muddy Waters chez Casino. En une seule journée, Casino a perdu 20 % de sa valeur. Derrière cela, la survie de l'entreprise est en jeu.

Les campagnes d'activistes ont des conséquences qui peuvent être parfois extrêmement négatives, mais elles peuvent aussi avoir des conséquences positives. Là aussi, il faut distinguer au cas par cas. Après une campagne d'activistes, souvent, nous pouvons remarquer que l'entreprise a évolué. C'est pour cela que nous pensons que la meilleure façon de lutter contre l'activisme actionnarial est d'abord de prévenir le phénomène en essayant de gommer l'ensemble des points faibles d'une société.

Quels sont les principes qui ont conduit nos recommandations ? Le premier est qu'il ne faut pas nuire à l'attractivité de la place de Paris. Tout le monde le dit. Il n'y a pas que la City ! Nous devons être attractifs. Cela veut dire que nous devons réglementer le moins possible.

Deuxième point, il faut favoriser la transparence des marchés financiers. La transparence est aussi un facteur d'attractivité. Elle ne doit pas être synonyme de lourdeur. Tout ce qui favorise la transparence, qui n'obère pas ou ne freine pas le fonctionnement efficient des marchés, doit être promu.

Il faut cibler les comportements les plus excessifs, qui nuisent à la transparence et à l'efficience des marchés financiers.

De plus, il faut privilégier le droit souple. Il ne faut pas accumuler la réglementation extrêmement lourde, comme on sait parfois faire.

À partir de ces principes, nous avons quatre axes de recommandations : le renforcement de la transparence du marché ; la réduction de l'asymétrie des informations entre l'émetteur et l'activiste ; l'encadrement plus strict de la vente à découvert ; le rapprochement du temps du régulateur du temps du marché.

Pour renforcer la transparence du marché, nous proposons d'abaisser le niveau de la déclaration de franchissement de seuil, qui est de 5 %, à 3 %. Dans le domaine de l'activisme, nous voyons bien que nous sommes très souvent face à des seuils de participation inférieurs à 5 %. Ce sont des gens qui prennent des participations beaucoup plus faibles, et 3 % nous semble être un niveau approprié.

La deuxième recommandation est que les déclarations de franchissement de seuil doivent être connues à la hausse comme à la baisse. Les entreprises doivent mieux connaître leurs actionnaires. Nous indiquons également que la non-déclaration doit s'accompagner de mesures de sanction, notamment pécuniaire. Aujourd'hui, cela ne coûte quasiment rien de ne pas déclarer. Oublier de déclarer se traduit seulement par une privatisation temporaire du droit de vote. Il doit y avoir aussi des sanctions pécuniaires et statutaires.

La troisième recommandation dans le domaine de la transparence concerne la procédure de titres au porteur identifiable (TPI). Elle doit être plus facile à mettre en oeuvre et moins coûteuse. Toutes les entreprises que nous avons rencontrées nous disent que cet outil est très coûteux. Or, la directive européenne permet d'exiger qu'on ne facture pas de frais ou de limiter la capacité à facturer des frais pour un service d'identification des actionnaires. Nous proposons de mieux utiliser les possibilités qui sont ouvertes par le droit de l'Union européenne, pour que les entreprises puissent plus facilement, plus finement et à plus faible coût, connaître la composition de leur actionnariat.

La deuxième catégorie de recommandation porte sur la réduction de l'asymétrie de l'information entre les sociétés émettrices et les fonds activistes. Nous pensons que, lorsqu'une société fait l'objet d'une campagne qui met directement en cause sa structure financière, sa structure de gouvernance ou ses résultats, et que des informations substantielles sont transmises aux actionnaires, il est naturel que les mêmes informations soient transmises à la société elle-même. Elle ne doit pas les découvrir au hasard de l'envoi des informations reçues par tel ou tel actionnaire. Il devrait y avoir une procédure dans laquelle l'information ne peut pas être asymétrique entre le fonds et la société cotée, lorsque les informations sont transmises aux autres actionnaires.

Lorsque l'information est rendue publique par voie de presse, nous pensons qu'il est très compliqué d'encadrer cela. Nous demandons également que les entreprises, qui doivent respecter des périodes de silence au moment où elles vont annoncer leurs résultats, puissent communiquer des informations pendant ces périodes, si elles sont attaquées par un fonds activiste. Nous proposons enfin la rédaction d'un guide sur le dialogue actionnarial. Tous les activistes ne veulent pas nécessairement aboutir à un conflit absolu. Une bonne partie de la résolution des conflits repose sur le dialogue actionnarial, entre les acteurs de marché, les investisseurs, les entreprises concernées et le fonds. Cela doit faire l'objet d'un guide de bonne conduite.

Nous voyons bien que les avocats conseillent quelque chose de très structuré sur le dialogue à engager, sur sa nature, sur les informations que l'on échange, sur le temps de ce dialogue et sur la communication au public. Nous pensons que ce serait une très bonne chose que la place puisse travailler sur cela.

Troisième catégorie de recommandations, il faut encadrer plus étroitement la vente à découvert, qui apparaît comme le phénomène le plus critiqué. Nous pensons qu'il faut introduire une présomption de fonctionnement anormal de marché, dans le cas où l'ampleur de la vente à découvert dépasserait une certaine limite du capital, du capital flottant ou de volume des titres.

Dans le cas Casino, déjà évoqué, le président de l'AMF avait indiqué que nous pouvons nous demander si nous étions vraiment dans le cadre de fonctionnement normal du marché, alors que près de 40 % du flottant du capital d'une société a pu faire l'objet de ventes à découvert. Si l'on atteint un niveau par rapport à la capitalisation de l'entreprise et par rapport à son capital flottant, alors il faut une sorte de présomption de fonctionnement anormal du marché. Nous n'avons pas fixé précisément de montant. Il s‘agit bien de lutter contre les excès des ventes à découvert.

La vente à découvert est néanmoins nécessaire. Elle assure la fluidité du marché et l'immense majorité des transactions de ventes à découvert n'ont aucune relation avec des activistes. Certains nous suggéraient d'interdire la vente à découvert, mais personne ne peut penser qu'il s'agit d'une recommandation sérieuse.

Nous pensons également qu'il faut intégrer dans le calcul d'une position courte nette, tous les instruments et titres financiers qui concourent à cette position. Je pense aux swaps, à divers outils financiers et aux dérivés. Il faut une vision complète de la position des vendeurs à découvert pour avoir une vision complète de leur exposition économique vis-à-vis d'une société.

Nous souhaitons encourager les places financières à développer des outils de transparence sur les prêts-emprunts de titres. Une des méthodes serait l'interdiction de la vente à découvert nue, qui permet de vendre dans le futur des titres qui ne sont pas encore acquis. Les entreprises qui font cela, les short sellers, empruntent les titres. Cela s'appelle le prêt-emprunt de titres. Qui prête ces titres ? Des banques, des grands fonds. Ils les prêtent et cette activité produit un profit important.

L'existence d'une place de marché centralisée du prêt-emprunt de titres permettrait de rendre les choses plus claires. Souvent, nous ne savons pas précisément qui participe à un prêt-emprunt de titres. Nous avions pensé à formuler une recommandation interdisant qu'il soit anonyme. Mais cela serait très vite contourné, puisqu'il est possible de passer par des intermédiaires. Je pense qu'en réalité, cette recommandation aurait assez peu d'efficacité et serait même certainement contre-productive.

Nous pensons donc que l'idée de faire émerger une place de marché en discussion avec d'autres marchés européens serait une avancée. Cette place centraliserait toutes les informations relevant du prêt-emprunt de titres. Cela a existé aux États-Unis dans les années 30, nous pourrions peut-être le refaire.

Il faut sans doute dissocier, pour les titres qui font l'objet d'un prêt-emprunt de titres, le prêt-emprunt lui-même du droit de vote et faire en sorte qu'il ne soit pas systématiquement transféré en même temps que le titre. Il y a des grands gestionnaires d'actifs qui, dans les contrats de prêt-emprunt, proposent ou organisent cette dissociation.

Enfin, nous proposons d'introduire une procédure de référé devant l'AMF. Évidemment, la société qui est attaquée peut écrire à l'AMF, mais ce n'est pas une procédure en elle-même. Je pense que qu'une telle procédure, qui n'existe pas aujourd'hui, pourrait favoriser la stabilisation du marché. Cela supposerait d'établir des critères de recevabilité de la demande en référé, évidemment.

Je rappelle que l'affaire Casino est devant l'AMF depuis décembre 2015. Le temps économique est clairement dissocié du temps du régulateur. L'enquête est compliquée pour le régulateur qui doit aller chercher des informations aux États-Unis, auxquelles il n'a pas nécessairement accès.

Nous pensons qu'il faut renforcer les moyens financiers de l'AMF. Quand nous regardons tous les autres régulateurs, nous sommes très loin du compte. Je pense que pour augmenter les moyens financiers du régulateur, en réalité, il faut lui verser l'intégralité de la taxe affectée qui est payée par les entreprises et dont le produit s'élève à 120 millions d'euros. Seuls un peu moins de 100 millions sont reversés au régulateur. Nous pensons qu'il suffirait tout simplement de déplafonner cette taxe de manière progressive

Nos treize recommandations vont évidemment faire réagir les fonds, parfois très puissants, qui demandent la liberté totale. Au fond, l'asymétrie constitue pour eux une partie de leur liberté. Quant à nous, nous essayons de réintroduire un peu d'équilibre entre les uns et les autres.

Par ailleurs, je pense que le plus important est de reconnaître que le phénomène de l'activisme est un phénomène utile pour les marchés et utile probablement pour les entreprises.

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