Je ne reviendrai pas sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui viennent d'être présentés de manière très complète par MM. les rapporteurs spéciaux. La commission des lois a émis un avis favorable à leur adoption, et je m'en réjouis.
L'usage de la commission des lois est d'aborder l'examen des crédits de cette mission sous un angle thématique. J'ai choisi cette année de travailler sur le thème de la participation citoyenne à l'échelon local. Ce sujet, je le concède, se situe à la périphérie de la mission, mais il n'est pas anecdotique pour nos concitoyens. Moins d'un an après la communication de la mission flash sur la démocratie locale et la participation citoyenne, conduite par nos collègues Émilie Chalas et Hervé Saulignac, il m'a paru essentiel de prolonger ces réflexions à la lumière du grand débat national.
Il est temps de faire droit à la parole des Français, qui s'est largement exprimée à l'occasion du grand débat, et de réinventer notre modèle de démocratie. Le Premier ministre nous a rappelé cette nécessité en nous invitant, le 8 avril, à « construire les outils d'une démocratie plus délibérative ».
En matière de participation locale, notre pays présente la particularité de disposer d'une législation foisonnante, presque entièrement inutilisée même par les collectivités les plus avancées dans ce domaine. Je ne vais pas faire ici l'inventaire des dispositifs existants : ils sont extrêmement nombreux, la multiplication des lois sur le sujet ayant imposé aux collectivités territoriales toutes sortes d'obligations.
Conseils de quartier, conseils citoyens, commissions consultatives des services publics locaux, conseils de développement : les instances sont là, mais elles n'échappent pas au syndrome du « toujours les mêmes », c'est-à-dire à la surreprésentation de certaines populations – les plus militants, les plus éduqués, ou encore les retraités. Quant aux outils de consultation directe de la population – consultation locale, droit de pétition, référendum décisionnel – , leur encadrement est trop strict pour qu'ils puissent véritablement être utilisés.
En matière de participation citoyenne, la France se trouve donc aujourd'hui dans une situation paradoxale : alors qu'elle dispose d'un cadre législatif particulièrement riche, la plupart des innovations y sont mises en oeuvre, avec succès, hors de tout cadre légal.
J'ai été agréablement surprise, lors des auditions et de mes déplacements, par l'incroyable dynamisme et les innombrables innovations démocratiques de nombreuses collectivités, notamment dans les grandes villes, comme Lyon, ainsi que dans des communes rurales, comme Saillans, dans la Drôme.
Or ces innovations – budgets participatifs, chartes citoyennes, ateliers citoyens avec tirage au sort, etc. – sont décidées, en général, après une simple délibération de l'organe délibérant, sans encadrement réglementaire ou législatif. Cela ne pose pas de problème quand c'est bien organisé, ce qui est souvent le cas, mais nous pouvons tout de même nous interroger quant aux véritables garanties accordées aux citoyens.
Les dynamiques territoriales à l'oeuvre, conjuguées à l'expérience du grand débat national et au bel exercice, en cours, de la convention citoyenne pour le climat m'ont convaincue – mais je ne suis pas la seule à l'être – qu'il était temps de changer d'échelle et de faire franchir un palier qualitatif à la participation citoyenne locale.
J'aimerais appeler plus particulièrement votre attention sur l'une des six propositions qui figurent dans le rapport pour avis que j'ai rédigé au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République : celle qui vise à créer un véritable droit de la participation par l'élaboration d'une loi-cadre. Soyons clairs : nous n'avons pas l'intention de brider les collectivités territoriales ni d'imposer de nouvelles contraintes aux élus locaux, nous souhaitons au contraire leur fournir une sorte de guide de bonne conduite, suffisamment clair pour sécuriser au plan juridique ces initiatives participatives, ce qui en renforcera la crédibilité tout en accordant de réelles garanties aux participants.
L'article 34 de la Constitution donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Une telle loi-cadre définirait des principes généraux pour les consultations, mais les élus locaux resteraient libres d'appliquer ou non ce socle commun de garanties minimales à l'occasion de leurs différentes démarches. Cette loi pourrait également créer un statut du participant citoyen afin, par exemple, d'indemniser les participants tirés au sort, comme le sont les jurés d'assise.
Madame la ministre, vous avez douté, en commission des lois, de l'opportunité de légiférer en la matière, soulignant que la participation citoyenne n'était pas la même suivant les régions et qu'il fallait respecter les habitudes et les cultures locales des élus. Je pense, au contraire, que les mêmes garanties de transparence, de sincérité et d'équité doivent entourer les démarches participatives de tous les citoyens français, quel que soit le territoire où ils résident. Seule la loi peut leur accorder ce droit.
Alors que la démocratie traverse une période de crise, il est temps de prendre notre part de responsabilité en recréant du commun, en refaisant société – ce qui nous impose, j'en suis persuadée, d'accompagner les dynamiques de démocratie locale et participative dans tous les territoires de France.