Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mardi 5 novembre 2019 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je souscris tout à fait à vos propos. D'ailleurs, c'est sur le territoire de l'actuelle Macédoine du Nord qu'un coup d'arrêt important a été porté au premier conflit mondial, au cours de la bataille d'Uskub, dans laquelle les Français se sont illustrés. C'est l'un des derniers raids qui a conduit, avec l'aide des partenaires locaux, à la signature de l'Armistice quelques jours plus tard. Ce rôle important que les Macédoniens ont joué, ils le jouent encore et il ne faut pas les rejeter. Il faut donc continuer à travailler sur des solidarités, sur des liens, mais de façon un peu différente.

Monsieur Habib, les relations entre la France et la Russie ont changé de braquet après la rencontre entre le président Poutine et le président Macron à Brégançon. Jean-Yves Le Drian et Florence Parly se sont rendus à Moscou, au mois de septembre, pour un dialogue stratégique, ce qui n'était pas arrivé depuis 2013. En matière économique et commerciale, nous avons accueilli, avec Business France, il y a quelques semaines, un séminaire passionnant auquel ont participé de nombreux entrepreneurs russes et français et, au début du mois de décembre, se tiendra le Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC), qui est une sorte de commission mixte économique entre la France et la Russie. Par ailleurs, nous avons adapté notre outil, puisque Business France a contractualisé avec des prestataires particulièrement bien implantés sur le marché russe pour accompagner nos entreprises. Je pense que tous ces éléments produiront leurs effets.

Monsieur El Guerrab s'interroge sur la transcription au niveau national du rapport d'évaluation européen sur la mise en oeuvre des accords, souhaitant savoir où la France est gagnante et où elle est perdante. Les chiffres permettent de constater que, par exemple, l'accord avec la Corée est particulièrement bénéfique pour la France : le déficit commercial que nous avions avec ce pays avant 2012 est devenu, depuis la signature de l'accord, un excédent parmi les principaux de la France. Avec le Canada, l'excédent commercial est passé de 40 millions à 800 millions. Avec ces pays, la France est donc clairement gagnante. Je ne vois que des avantages à ce qu'on puisse éventuellement poursuivre cet exercice sur l'ensemble des accords.

Liliana Tanguy a demandé ce qu'il en serait des mécanismes de protection et d'indemnisation des secteurs agricoles, à la suite des sanctions commerciales décidées par les États-Unis. Notre action s'accomplit « en stéréo » : le ministre de l'agriculture a soulevé la question lors du conseil des ministres de l'Union européenne chargée de l'agriculture et je le ferai également lors du prochain Conseil commerce. Nous attendons une réponse pour le mois de décembre dans l'enceinte agricole. J'ai dit clairement que cela ferait partie de nos éléments de langage vis-à-vis de la Commission.

S'agissant du marché du porc avec la Chine, compte tenu de la pandémie qui frappe ce pays, les exportations françaises y sont très dynamiques. Guillaume Roué, le président de l'interprofession nationale porcine, fait d'ailleurs partie de la délégation française en Chine. Notre objectif est d'obtenir des Chinois des avancées sur le principe du zonage pour la peste porcine africaine, ce qui permettra de protéger nos exportations en cas d'épidémie localisée en France. Nous veillons aussi à ce que les exportateurs obtiennent leurs agréments pour se développer sur le marché chinois.

La négociation de l'accord de libre-échange avec l'Australie, évoqué par Sylvain Waserman, a effectivement insufflé une dynamique réelle. Lors de son déplacement à La Réunion il y a quelques jours, le Président de la République a affirmé que la France était, avec Mayotte, La Réunion ainsi qu'une présence militaire navale, pleinement un territoire de l'Indo-Pacifique, et qu'elle avait à coeur d'assurer la liberté de circulation dans ces eaux qui font parfois l'objet de frictions. C'est aussi dans le cadre de cette déclinaison de l'Indo-Pacifique que nous avons intérêt à avoir des accords, y compris commerciaux, avec les États riverains dont l'Australie. J'ajoute que ce pays est un partenaire stratégique dans le domaine des sous-marins, et que tout cela est assez structurant pour plusieurs décennies.

Nicole Le Peih demande comment prendre en compte la neutralité carbone dans les accords. La réponse la plus ambitieuse consiste à instaurer un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, qui est d'ailleurs dans la feuille de route de la Commission. C'est donc une grande avancée vers un travail concret et tout à fait compatible avec les règles de l'OMC. Pour les accords proprement dits, il faut faire en sorte que l'Accord de Paris y figure comme une clause essentielle – mais, pour le moment, nous ne sommes pas très nombreux à plaider cette cause. Si nous arrivions à créer un précédent avec l'accord avec la Nouvelle-Zélande, cela nous aiderait. Et puis il y a également des stratégies nationales. Par exemple, la France a adopté, à l'initiative de François de Rugy, une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée. Ce sont des éléments très concrets qui peuvent parfois conduire à des tensions avec nos amis de l'ASEAN – je pense à l'Indonésie, s'agissant de l'huile de palme.

Madame Cazebonne, les élections consulaires se tiendront au mois de mai prochain, et l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) sera renouvelée au mois de juin. Les conseillers consulaires élus agissent sous le signe de l'engagement et de la proximité, pour reprendre le titre d'un projet de loi bien connu dans cette assemblée. Ce texte doit être l'occasion d'acter plusieurs avancées. Pour sa part, le Gouvernement déposera un amendement rappelant que, selon l'article 1er de la loi 2014 sur les instances représentatives des Français de l'étranger, ce sont avant tout les élus qui représentent les Français de l'étranger. Jusqu'à présent, on ne citait que les instances – conseils consulaires et AFE – ; désormais, on citera les élus. Surtout, le Gouvernement souhaite, par cet amendement, confier la présidence des conseils consulaires aux élus, ce qui constitue une véritable révolution copernicienne. L'idée est de constituer un binôme avec les chefs de poste, ceux-ci ayant un rôle de rapporteur général. C'est là la reconnaissance de l'engagement des élus consulaires auprès des communautés.

En outre, le Gouvernement est ouvert à l'inscription du principe d'un accès à la formation. Il va missionner la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire pour élaborer des formations, soit en présentiel à l'occasion des sessions de l'AFE, soit à distance, grâce aux nouvelles technologies.

S'agissant du vote par internet, un dernier test grandeur nature sera effectué du 22 au 26 novembre, qui nous permettra de nous prononcer de façon définitive sur notre capacité à le faire. Mais, comme l'a dit le Président de la République, la France ne serait pas la France si elle n'était pas capable de faire du vote par internet. Je touche du bois pour que les tests soient conformes aux attentes.

Denis Masséglia a évoqué l'amélioration du déficit commercial – le recul du recul commercial, si je puis dire. On voit là l'importance de faire de la pédagogie. Depuis maintenant deux ans que je suis ces sujets-là, j'observe que les observateurs sont tentés de faire de grandes manchettes sur le déficit qui s'enfonce. C'est une quasi-incitation à nous mettre sous Prozac collectivement ! En réalité, la moitié du déficit commercial est due à la facture énergétique. Dès lors que nous aurons fait notre transition écologique, nous regarderons peut-être les choses différemment. Par ailleurs, les chiffres du premier semestre ont livré des signaux d'amélioration : davantage d'entreprises exportatrices, le meilleur niveau d'entreprises exportatrices depuis 2003, l'amélioration de plusieurs soldes, etc. Mais je concède qu'il reste encore beaucoup à faire.

Dans cette pédagogie, il faut aussi signaler que notre présence dans le monde s'exerce différemment de celle d'autres États, tels que l'Allemagne ou l'Italie qui sont avant tout exportateurs. Nous sommes aussi – peut-être est-ce le fruit de l'histoire – très présents sur les marchés eux-mêmes en tant que producteurs locaux, ce qui génère de l'ordre de 70 milliards de revenus qui remontent vers le territoire national et qui servent à investir dans l'outil national. Je ne dis pas que l'un équivaut à l'autre, mais cette dimension est à prendre en compte pour relativiser ou en tout cas avoir une vision complète de la façon dont nous sommes présents à l'international.

S'agissant de la possibilité pour des retraités d'apporter une expertise aux PME et TPE en matière d'exportations, il me semble que l'association ECTI est déjà particulièrement engagée en la matière et qu'elle propose de mettre au service des TPE et PME le savoir-faire d'anciens d'entrepreneurs ou cadres commerciaux.

J'ai bien entendu les éléments de vigilance mentionnés par Frédéric Barbier. En matière de réciprocité, il rejoint assez largement le consensus de votre commission. Les sujets industriels sont davantage de la compétence de Bruno Le Maire et d'Agnès Pannier-Runacher, mais j'entends bien que le passage sous drapeau indien des scooters Peugeot mérite une attention de tous les instants. Les exemples d'actionnaires indiens qui ont pris des positions fortes dans l'automobile – je pense à l'Angleterre avec Range Rover – montrent qu'ils ont trouvé les moyens de se développer. Il faut donc veiller à ce que ces nouveaux actionnaires donnent à cette filière les moyens de se développer. Le dossier du rapprochement entre Peugeot et Fiat-Chrysler est sur la table à Bercy, et votre message sera transmis.

Madame Clapot, si l'Ukraine exporte des céréales vers l'Union européenne, la France, elle, exporte des céréales à travers le monde, notamment dans le bassin méditerranéen, et ma préoccupation est que nous restions compétitifs et à notre place sur ces marchés avec l'Algérie, l'Égypte et le Maghreb, en particulier. Pour l'instant, la qualité de nos approvisionnements fait de nous les meilleurs, et il faut veiller à le rester.

Quant à la présence d'atrazine et de néonicotinoïdes dans le maïs ukrainien, j'avoue ne pas avoir d'éléments. Nous allons vérifier ce point pour vous donner une réponse.

Jean François Mbaye a parlé de la préservation de la forêt mondiale. Le Président de la République a pris une initiative forte, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, avec le lancement d'une alliance pour l'Amazonie et les forêts tropicales. Il ne faut pas oublier que l'Afrique centrale est aussi très concernée, en particulier le Gabon et la République démocratique du Congo. Certains de ces États sont, d'ailleurs, déjà très engagés. Nous sommes en train de travailler à cette charte et les réunions vont bon train. Parmi les alliés que nous pouvons compter en Amérique du Sud, les présidents du Chili, de la Bolivie et de la Colombie étaient présents lors de cet événement. On voit donc que plusieurs États de la région sont déterminés à s'engager.

S'agissant des leviers dont nous disposons vis-à-vis du Brésil, à un moment, il faut hausser le ton. La position sur le Mercosur a été entendue clairement, ce qui permettra peut-être d'obtenir un infléchissement ou le respect des objectifs auxquels le Brésil a souscrit. Sinon, comme avec les États-Unis qui ont notifié leur retrait de l'Accord de Paris, il faut continuer à travailler avec les entités subfédérales, les États, les entreprises et les ONG, parce qu'un certain nombre d'entre eux souhaitent avancer sur ces sujets-là.

En matière de relations avec l'Afrique, je crois, monsieur Berville, que l'Union européenne est consciente de la nécessité d'un partenariat avec ce continent. La feuille de route de Phil Hogan inscrit d'ailleurs, noir sur blanc, parmi les priorités le partenariat en matière de commerce et d'investissements avec l'Afrique, notamment parce que celle-ci s'est structurée avec la nouvelle zone de libre-échange continentale (ZLEC). L'objectif à long terme est d'aboutir à un accord de zone à zone qui soit bénéfique à tous les peuples.

S'agissant de la négociation de l'accord post-Cotonou, l'idée est d'avoir un socle commun aux trois piliers Afrique, Caraïbes, Pacifique, avec un pilier Afrique particulièrement fort. Nous insistons régulièrement sur la priorité qui doit être donnée, dans tous nos outils d'aide au développement, aux pays les moins avancés, qui sont souvent en Afrique subsaharienne. Le commerce est une dimension, mais ce n'est pas la seule. En tout cas, nous sommes très mobilisés pour partager cette vision avec les États membres, sachant qu'un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale ont plutôt une appétence pour la politique de voisinage que pour celle du développement. Les crises de réfugiés les ont cependant amenés petit à petit sur ces sujets-là, et il convient maintenant de les ancrer sur l'importance du partenariat avec l'Afrique.

En ce qui concerne l'aéronautique, évoqué par Pierre Cabaré, nous appelons de nos voeux un cadre agréé qui éviterait d'avoir à agir par contentieux interposé entre les États-Unis et l'Europe. Nous avons mis des éléments sur la table ; jusqu'à présent, ils y ont peu fait écho du côté américain. Mais nous ne renonçons pas, pour le bien de tous. Pendant ce temps, en effet, d'autres acteurs, d'autres puissances – vous aurez reconnu lesquelles – sont en train de se structurer et seront sur le marché mondial d'ici à dix ans. Il faut donc être très lucide et en tirer toutes les conclusions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.