Je ne sais pas si l'article est important, mais il est médiatique – disons-le ainsi. Il pose des questions tant sur la lutte contre la fraude fiscale que sur les moyens mis à la disposition de l'administration pour atteindre le but que le Parlement souhaite lui assigner.
Il en est de la fraude fiscale comme du droit commun : la voiture du voleur a tendance à rouler très vite, peut-être trop, et la voiture du gendarme doit rouler aussi vite si l'on veut que le voleur soit arrêté ; avec une Renault 4L pour poursuivre des voleurs au volant d'une voiture de très grand gabarit, les résultats des gendarmes ne peuvent être que modestes, à moins que les plus rapides aient un accident, mais la probabilité d'une telle issue est faible.
Il s'agit donc de nous adapter. Nous ne le faisons pas seulement pour le traitement des données ou l'intelligence artificielle ; nous l'avons fait en modernisant le cadre des poursuites pénales pour les infractions financières, ce qu'il est convenu d'appeler le verrou de Bercy : 80 % des dossiers sont désormais transmis au procureur de la République ; en instaurant la transaction pénale ; à l'instant, en sanctionnant les plateformes qui ne s'acquittent pas de leurs obligations ; en travaillant sur les revenus du numérique ; peut-être tout à l'heure, en agissant à l'égard des États non coopératifs en matière d'échange de données.
Monsieur Latombe, qu'est-ce que l'échange de données ? Ce sont des millions et des millions de données échangées. Tous les gouvernements se sont battus pour que ces échanges aient lieu – entre le Panama et la France, par exemple. Cela permet de prévenir des scandales tels que les Panama papers ou d'y remédier, c'est-à-dire de poursuivre les auteurs d'infractions quand un consortium de journalistes ou certaines personnes – nous en parlions avec Mme Pires Beaune – nous montrent des listes.
Le rapporteur général l'a très bien dit : l'administration ne peut pas traiter ces millions de données manuellement. Et l'administration française ne peut pas être la seule à ne pas recourir aux nouvelles technologies, notamment pour lutter contre la fraude fiscale. Parmi les moyens qui doivent être mis à la disposition de l'administration fiscale pour améliorer les contrôles fiscaux, comme je m'y suis engagé lors de ma prise de fonctions, se trouve évidemment l'intelligence artificielle : 25 % des contrôles fiscaux aujourd'hui n'aboutissent à rien, alors que la fraude est évaluée à des montants très importants – des milliards d'euros sans doute, nous verrons ce qu'en dit la Cour des comptes dans le rapport qu'elle doit rendre dans quelques jours. D'un côté, certains contribuables qui n'ont rien à se reprocher subissent un embêtement administratif – un contrôle est toujours un moment désagréable. De l'autre, nous ne parvenons pas à récupérer des montants de fraude importants. Il s'agit donc de pouvoir passer du manuel à l'informatique et d'utiliser les moyens auxquels toutes les administrations recourent – vous avez cité le Royaume-Uni, monsieur Latombe, mais on pourrait mentionner aussi les États-Unis, l'Espagne et de nombreuses autres démocraties parlementaires.
M. le rapporteur général l'a dit aussi : il est déjà possible de faire des recherches sur l'internet. Afin de vérifier qu'un contribuable a passé plus de six mois hors de France – je prends l'exemple de la domiciliation fiscale, qui me paraît le plus simple à comprendre – , un contrôleur fiscal peut chercher sur les réseaux des informations que la personne a elle-même rendues publiques ; il n'est pas question de regarder les copies cachées, ni de faire appel à la géolocalisation. Les grandes sociétés du numérique utilisent votre géolocalisation pour faire de la publicité : cela gêne certaines personnes ici, mais ce n'est pas l'objet de ce texte. Le contrôleur fiscal a les moyens juridiques de vous confondre en prouvant que votre intérêt moral, familial, ou professionnel est bien en France, et non à l'étranger.
Ce que nous proposons est d'utiliser des algorithmes, l'intelligence artificielle et les moyens du data mining – veuillez pardonner cet anglicisme – , pour appliquer un contrôle fiscal. Étant confrontés à des masses d'information extrêmement importantes, il est en effet nécessaire que nous puissions, dans un délai très court, traiter ces données, éliminer celles qui n'ont pas d'intérêt – nous pourrons en discuter au cours de la phase d'expérimentation, ou même avant – , et nous concentrer sur le critère qui mènera au contrôle. En effet, c'est bien de la définition de critères qu'il s'agit, lesquels conduiront des humains, et non des robots, à appliquer un contrôle fiscal.
Devant l'émoi que la proposition du Gouvernement, qui remonte à l'an dernier, a suscité, j'ai pris la décision de saisir la CNIL, avec laquelle nous avons eu de longues discussions. La CNIL n'a en rien qualifié la volonté du Gouvernement de liberticide. En revanche, elle a estimé qu'il serait nécessaire de l'encadrer très fortement, de garantir les libertés individuelles, de permettre l'accès des personnes à leurs données personnelles et d'assurer la destruction des données non pertinentes, puis de celles ayant servi au contrôle. Le sujet est si important qu'il doit relever du domaine de la loi, a-t-elle conclu.
Nous avons par conséquent soumis notre texte au Conseil d'État, lequel garantit le respect des libertés – notez que nous n'avons pas cherché à faire approuver notre dispositif en catimini, par l'intermédiaire d'une proposition de loi ou d'un amendement, ce qui nous aurait permis d'éviter sa saisine. Le Conseil d'État a conclu qu'il s'agissait d'un sujet important, non liberticide, mais nécessitant de nombreux garde-fous et relevant du domaine du règlement ; il nous invitait à saisir la CNIL.
Le Gouvernement a donc choisi de suivre l'avis de cette dernière et, qui peut le plus peut le moins, de proposer une mesure législative. Il appartient donc désormais au Parlement, Assemblée nationale comme Sénat, non seulement de discuter de cet article 57, mais de le modifier. Nous le ferons d'ailleurs nécessairement étant donné que j'émettrai un avis favorable sur les amendements de la commission des finances – mais pas sur le sous-amendement de M. Latombe portant sur la conception des algorithmes : en effet, si je suis entièrement d'accord sur le fait que l'exploitation des algorithmes ne doit pas être effectuée par des sous-traitants, la question prête à débat s'agissant de la conception de la machinerie.
Enfin, le Conseil constitutionnel pourra, en tout état de cause, censurer cette disposition s'il le souhaite, sachant qu'une question prioritaire de constitutionnalité pourra évidemment être posée par ceux voulant s'assurer de sa conformité à la Constitution.
Que proposons-nous par ailleurs ? Que l'expérimentation de ce dispositif ne concerne que trois champs : la domiciliation fiscale ; les commerces illicites – M. le rapporteur général a, sur ce point, évoqué le tabac et je rappelle à M. Jean-Louis Bricout que les buralistes attendent un engagement de la part de la représentation nationale en la matière – ; et les activités occultes. Cette phase d'expérimentation s'étalera sur trois ans avec, au bout de dix-huit mois, donc avant la fin du quinquennat, la remise d'un rapport au Parlement ; on décidera ensuite si l'on arrête l'expérimentation, si on la poursuit ou si on l'amplifie. Il est rare, vous en conviendrez, que l'on procède ainsi.
Je le dis à la partie gauche de cet hémicycle, qui est sans doute très attachée aux libertés, …