Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mercredi 13 novembre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Article 57 (appelé par priorité)

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

À cette question, la réponse est évidemment non. Nous ferons en sorte que cette gestion relève strictement de l'État. D'ailleurs, les deux services de renseignement que j'ai sous ma responsabilité, TRACFIN, le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, et la DNRED, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, ainsi que, plus généralement, tous les organismes qui relèvent de ce que l'on pourrait appeler la « souveraineté française », évitent de passer des contrats avec des sociétés informatiques dont les intérêts sont éloignés des intérêts nationaux et dont les systèmes de cloud ne sont pas hébergés sur le sol français ou européen.

Le Gouvernement approuve donc l'idée que la gestion des données reste à l'intérieur de la direction générale des finances publiques. Nous ne sous-traiterons ni les critères ni les données.

La seule question qui reste à trancher est celle de savoir si la construction de l'algorithme peut être sous-traitée ou si elle doit également relever des services informatiques de la DGFIP. À l'exception de cette question, dont nous discuterons tout à l'heure, je souscris à l'ensemble des propositions issues des travaux de la commission des finances.

J'ai entendu les arguments de M. Latombe et je comprends ses réticences. Chacun a bien sûr le droit de poser les questions qu'il veut. Cependant, la possibilité de faire des recherches par mots-clés à la DGFIP me paraît un argument bien pauvre et quelque peu hypocrite. On pourrait imaginer que la DGFIP n'utilise pas le mot « tabac » pour faire ses recherches ! Si votre crainte, monsieur Latombe, est que les agents du fisc – comme dirait Mme Ménard – en profitent pour surveiller vos opinions politiques ou votre orientation sexuelle, permettez-moi d'observer qu'il serait plus simple pour eux, pour satisfaire ce but ultime, caché, du Gouvernement, d'utiliser d'autres mots-clés ! Cet argument n'est pas raisonnable. Il montre, en réalité, que vous avez du mal à expliquer ce qui vous gêne.

L'utilisation des données publiques diffusées directement sur les réseaux sociaux, dans le cas, par exemple, d'une personne qui vend du tabac au vu et au su de tous sur sa page Facebook, est déjà la règle. Nous pouvons déjà intervenir. Le problème n'est pas qu'une ou deux personnes se livrent à une activité illégale, c'est que celle-ci concerne des milliers de personnes. Or, malheureusement, la voiture du voleur va plus vite que la voiture du gendarme, car les pages Facebook peuvent être anonymes, supprimées et recréées. Il faut beaucoup de temps et d'énergie pour poursuivre leurs auteurs. La cellule Cyberdouane a été mise en place à cette fin, mais elle agirait de manière bien plus rapide avec les moyens dont nous pourrions aujourd'hui la doter.

Quant à l'exemple de la caméra de vidéoprotection, je ne l'ai tout simplement pas compris. Dans quel monde vivez-vous, monsieur Schellenberger ? Aujourd'hui, les caméras de vidéoprotection du métro parisien ou des communes de France ne surveillent plus les gens dans la rue par l'intermédiaire d'un policier municipal assis derrière son écran, qui observe les faits au moment où ils se produisent. Pour pouvoir intervenir, il faudrait d'ailleurs qu'il soit là au bon moment !

Les choses sont bien différentes désormais – et la CNIL procède d'ailleurs à de nombreuses vérifications. On peut sélectionner les images en fonction de demandes précises, par exemple celles qui montrent une personne poser un sac ou, dans le cadre d'un arrêté municipal anti-regroupement, celles qui montrent le regroupement de trois personnes. Il y a des algorithmes qui s'appliquent à la vidéoprotection.

Grâce aux 200, 300, 400, 500, 1 000 caméras installées dans une ville, il est possible de faire des recherches thématiques – demandez à Christian Estrosi comment on fait à Nice, il vous expliquera ! Vous entrez dans le moteur de recherche les expressions « voiture extrêmement rapide », « personne qui grille les feux rouges », « personne qui pose son sac » ou « personne qui casse les abribus », et l'algorithme sélectionne les images en fonction de ces critères. Ce n'est ni la caméra ni un robot qui procédera aux arrestations ! L'algorithme permet de sélectionner une image parmi celles enregistrées par les très nombreux écrans de la ville ou du métro. Le policier municipal, ou le contrôleur fiscal, avec son regard humain, évalue ensuite les données sélectionnées et décide si elles sont de nature à être retenues dans le cadre d'une infraction à la loi.

Je ne crois pas, pour ma part, que la délinquance de droit commun soit forcément plus grave que la fraude fiscale. Que ce soit du fait de cols blancs ou d'autres, l'argent sale, l'argent qui manque dans les caisses de l'État, est un coup de poignard porté à la République. Il finance souvent d'autres trafics, notamment des trafics qui relèvent du droit commun.

Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable sur les amendements de suppression et j'invite l'Assemblée à adopter l'article 57.

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