J'ai du mal à comprendre. Vous raisonnez comme s'il ne devait y avoir que des algorithmes. Les critères que nous mettons en place fonctionneront certes comme un moteur de recherche, avec des mots qui permettront d'indiquer, le cas échéant, une suspicion forte de vente de tabac sur internet ou de résidence manifeste en France pour des personnes domiciliées fiscalement à l'étranger, et les données qui remonteront seront analysées par des algorithmes que nous nous efforçons de rendre aussi performants que possible, mais il y aura évidemment une vérification humaine. Quelqu'un pourrait assurément remonter du lac de données et être confondu, par exemple, pour vente de tabac sur internet si ses amis les plus proches placent des commentaires destinés à attirer l'attention sur lui – car c'est là, je l'ai compris, votre crainte la plus absolue – , mais le vérificateur dispose de données variées, car les informations de l'administration fiscale ne se limitent pas au seul internet. Madame Pires Beaune, les indications fournies par les aviseurs sont vérifiées et le contrôle n'est déclenché que si ces informations sont sérieuses.
En deuxième lieu, je comprends aussi que vous tentez de faire en sorte que le Conseil constitutionnel, en se penchant sur nos débats, considère que l'article 57 ne serait pas constitutionnel – comme si le principe de la proportionnalité et des libertés individuelles était son seul critère. Mais, comme l'ont relevé la CNIL et le Conseil d'État, et comme le relèvera sans doute le Conseil constitutionnel lui-même, qui l'a du reste fait dans plusieurs décisions – notamment à propos du verrou de Bercy, alors qu'on faisait le même procès pour dire qu'il n'était pas constitutionnel de pouvoir être condamné deux fois pour la même chose – le Gouvernement, conformément à la loi votée par le Parlement, doit obéir aussi au principe qui lui commande de lutter contre la fraude fiscale. Il lui appartiendra donc de fixer le bon équilibre.
C'est précisément cet équilibre que nous offre le dispositif proposé par le Gouvernement et amendé par le Parlement, avec l'expérimentation et le passage par la loi et par le décret, ainsi que par la CNIL et le Conseil d'État, puis avec l'évaluation de l'expérimentation rendue au bout d'un an et demi, et encore au bout de trois ans. S'y ajoute aujourd'hui une nouvelle clé de contrôle : le Parlement ad hoc, si je puis dire, qui sera associée à toutes les étapes.
Cela me paraît le bon équilibre entre l'objectif de protection des libertés individuelles, auquel nous sommes tous attachés, et celui de la lutte contre la fraude. Ce texte n'est donc pas déséquilibré. Malgré les prises de parole consistant essentiellement à nous reprocher de nier la liberté individuelle et la protection des données personnelles – car c'est ainsi que le débat pourrait être lu – , j'espère que ceux qui jugeront de la constitutionnalité de la loi y trouveront cet équilibre.