Elle le sera.
La première fois que le Président était venu chez nous, il y a deux ans, pour apporter des bonnes nouvelles aux ouvriers de Whirlpool, son hélicoptère s'était posé à la caserne des gendarmes – c'est un camarade du foot, un brigadier, qui m'avait prévenu. Cette fois, j'ai entendu une rumeur : l'aérodrome de Glisy, juste à côté d'Amiens, s'apprêterait à recevoir le Falcon présidentiel. On peut, certes, plaider l'agenda chargé, les responsabilités, la sécurité, mais je serai déçu qu'il ne préfère pas le train. Pas seulement à cause de la pollution – les émissions, vous le savez, sont cinquante fois supérieures en avion – , pas seulement pour ne pas faire exploser les comptes de la candidate désormais En Marche : cela me décevrait surtout parce que c'est l'occasion de voyager avec les gens – des enseignants, des éboueurs, des informaticiens, des milliers de travailleurs, qui font l'aller-retour sur l'une des pires lignes de France, d'après la SNCF elle-même.
Les voyages sont rythmés par des locomotives en panne, des caténaires sectionnées, des accidents de personnes, des retards chroniques – parfois des heures de retard. Ce matin, les wagons étaient bondés. Certains, y compris des personnes âgées, voyageaient debout dans le couloir, d'autres assis sur le sol, une dame sur le siège des toilettes. Dans le haut-parleur, un peu avant Creil, la voix du contrôleur a résonné : « Mesdames, messieurs, pour des difficultés de circulation, le train est arrêté en pleine voie ». Un passager a murmuré « Tous les jours ! Tous les jours, on y a droit », mais guère plus : la résignation a triomphé.
Il serait bon que le Président voie ça, qu'il le sente. D'où mon modeste cadeau. Mon indemnité parlementaire ne me permet pas, malheureusement, d'étendre ma générosité aux 1 700 policiers qui doivent l'accompagner, sans doute pour faciliter le contact avec les habitants.
Quand je voyage dans ce train Amiens-Paris, monsieur le secrétaire d'État, quand je regarde mes voisins, j'ai moins mal aux reins qu'à l'âme : est-ce ainsi que les hommes vivent ? Et les femmes ? Des milliers de salariés de Picardie, mais aussi de Normandie, de Champagne, du Centre, viennent apporter leurs services, leurs compétences à Paris. Pour leur métier, ils sont prêts à faire deux heures de transport le matin, deux heures le soir. Ils partent alors que leur famille se lève à peine, ils rentrent juste à temps pour un bisou et un câlin au petit dernier. Ils paient leur abonnement fidèlement – 210 euros par mois – et il faut encore qu'on les convoie le cul par terre. Ce que j'éprouve, alors, c'est un manque de respect. Un manque de respect pour mes concitoyens, qui font la France.
J'ai déjà interrogé votre ministre de tutelle, Élisabeth Borne. Elle m'a répondu « Depuis vingt ans, on a abandonné les trains du quotidien ». Elle accusait presque. Mais qui est ce « on » ? Qui se cache derrière ce « on » ? Mme Borne a été directrice de la stratégie de la SNCF. Avec d'autres, parmi d'autres, elle a élaboré, entériné cette stratégie : tout pour les grandes lignes ; tout pour le TGV ; tout pour les liaisons des métropoles ; rien pour les autres, rien pour les campagnes, rien pour les ploucs.
Le reste donc fut sacrifié. En quarante ans, 9 000 kilomètres de lignes, soit 20 % du réseau, ont été fermées, parfois remplacées par des autocars. On compte aujourd'hui plus de 5 500 kilomètres de ralentissement : Paris-Cherbourg prend ainsi cinquante minutes de plus qu'en 1974, Paris-Clermont Ferrand trente-cinq minutes de plus, Paris-Amiens, quinze. On n'accélère pas, on ralentit.
Voilà pour les voyageurs, mais le constat est le même pour les marchandises. En vingt ans, les stratèges ont divisé le fret par deux. C'est volontairement que la SNCF a brisé le fret. Oui, volontairement. Elle a délaissé ses clients, elle les a prévenus : « nous n'assurerons plus ce service, débrouillez-vous ». Les conseillers clientèle étaient chargés de faire fuir la clientèle. Et dans ce mouvement, dans cette stratégie, le train Perpignan-Rungis, c'est la queue de la comète, la fin du fret.
Car la casse se poursuit : 2 100 postes supprimés, cette année, à la SNCF. Deux mille cent postes – un plan social géant ! Deux mille cent postes ! Mais vous nous l'enseignez partout, dans les hôpitaux, dans les écoles : on peut faire mieux avec moins. Deux mille cent postes, donc.
Et en même temps, nous votons une loi d'orientation sur les mobilités, une loi d'affichage, une loi de mesurettes, peut-être positives mais qui restent des mesurettes, une loi sans ambition pour les usagers du Amiens-Paris, ni pour les Françaises et les Français qui ne se déplacent ni en Uber, ni en trottinette électrique, ni en hélicoptère, ni en Falcon.