Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, monsieur le rapporteur pour avis. Vos propos sont, pour moi, de précieuses incitations à agir avec vigueur, si par hasard l'envie s'en éloignait – ce n'est certes pas le cas –, et un levier puissant pour notre action d'amélioration de la justice.
Monsieur le rapporteur spécial, je tiens à vous remercier pour toutes vos « mises en garde », même si l'expression est sans doute inappropriée. Je vous remercie en tout cas de m'appeler à la vigilance sur tous ces points : le dépôt, dès le premier semestre de l'année prochaine, du projet de loi de programmation ; la nécessité de bien conforter la place du secrétariat général ; etc. Pas un des points que vous avez mentionnés ne m'a échappé, et je ne suis en désaccord avec vous sur aucun d'entre eux. Je veillerai donc à donner satisfaction sur tous.
Deux problèmes vous inquiètent.
Vous me demandez de faire preuve de vigilance sur les dépenses d'informatique et vous interrogez sur leur justification. Je le comprends parfaitement. Il est absolument nécessaire de maîtriser les crédits, et, surtout, les calendriers des projets informatiques que nous conduisons. Il est vrai que, depuis des années et malgré les efforts déployés par les personnels, les résultats ne semblent pas à la hauteur des investissements consentis. C'est la raison pour laquelle les coûts des projets présentés dans le budget sont les coûts complets : investissements, personnel, déploiement – c'est important. D'autre part, nous avons complètement revu la trajectoire budgétaire de nos différents projets pour parvenir à des coûts consolidés et approcher ce que je me permets d'appeler « la vérité des prix ». J'ai demandé qu'un schéma directeur me soit remis dans les prochaines semaines, qui fixe très clairement objectifs, calendriers et coûts complets. C'est évidemment ce qui nous permettra de déployer ce plan de transformation numérique que j'appelle de mes voeux parce qu'il est absolument indispensable pour notre ministère. L'ensemble des projets que nous avons souhaités sont concernés. J'espère qu'ainsi nous pourrons redresser la situation et utiliser pleinement les crédits qui nous sont alloués.
Quant au problème de l'aide juridictionnelle, véritable serpent de mer puisque nous nous penchons sur le problème depuis des années, j'espère parvenir à le régler. Cette année, une progression importante des crédits, que vous avez relevée vous-même, nous permet de tenir les engagements pris par les précédents gouvernements ; il y va de la crédibilité de la parole de l'État. Au-delà, notre effort porte à la fois sur la simplification du dispositif d'accès à l'aide juridictionnel, qui pourra très prochainement être entièrement dématérialisé ; un début de dématérialisation est proposé sur justice.fr, mais ce n'est pas complet comme nous le souhaitons. Nous voulons également aller dans le sens de la subsidiarité avec l'assurance de protection juridique. Nous souhaitons mettre en place des organisations nouvelles, comme des structures dédiées dans les barreaux. Enfin, je vous l'ai dit, monsieur le rapporteur spécial, j'ai confié une mission à deux inspections, qui doivent me faire des propositions sur le financement de l'aide juridictionnelle. Plusieurs pistes sont envisageables, par exemple l'extension de l'assurance de protection juridique ou une diversification des ressources. Je souhaite que les deux corps d'inspection nous fassent des propositions, que nous traduirons en textes législatifs.
Merci, madame la rapporteure pour avis, d'avoir parlé d'un budget donnant un élan ; c'est un peu comme cela que je l'envisage. Certes, ce n'est pas le budget dont nous rêverions dans un monde idéal, mais il n'est aucun budget qui puisse être bâti en faisant fi des contraintes qui pèsent sur notre État. C'est donc un budget d'élan, qui comporte un certain nombre d'investissements puissants dans différents domaines.
Quels projets applicatifs comptons-nous développer grâce à l'investissement massif dans le numérique ? Ils sont nombreux. Avec justice.fr, nous avons en quelque sorte un projet phare. J'aimerais que ce portail soit construit comme impots.gouv.fr – la finalité est différente, mais, du point de vue de la paix sociale, la justice ne rapporte-t-elle pas plus que les impôts ? C'est un autre débat. Nous voulons donc travailler sur justice.fr, qui offre déjà un certain nombre de services, mais nous voudrions que les justiciables puissent, en 2018, y suivre l'état d'avancement de leur affaire en ligne, avec le calendrier de la procédure, des audiences, des notifications et des convocations, et de recevoir des rappels de convocation par SMS. Lorsque cela peut se faire, les gens viennent davantage aux audiences, qu'il n'est donc pas nécessaire de reporter – le gain de temps et d'énergie est très appréciable pour les magistrats. À partir de la fin d'année 2018 ou du début de l'année 2019, les justiciables pourront saisir les juridictions civiles par voie électronique.
Dans le domaine pénal, nous allons travailler avec le ministère de l'intérieur pour favoriser les transmissions numériques entre les services enquêteurs et les magistrats, ce sera un atout extrêmement précieux pour les services de greffe. Nous espérons gagner beaucoup de temps et recentrer, finalement, chacun des acteurs du monde de la justice sur son coeur de métier. Toutes les simplifications procédurales que nous mènerons à bien en matière civile ou pénale devront trouver leur traduction dans les applications numériques, mais celles-ci ne peuvent devancer les simplifications procédurales.
J'espère que l'ensemble de ces éléments permettra des progrès dans la justice du quotidien, que tous les justiciables ressentent profondément comme lente, d'autant qu'il leur est souvent impossible de savoir où en sont les procédures qui les concernent. J'espère que simplification et numérisation nous permettront de réduire les délais de la justice pour les litiges du quotidien.
Monsieur le rapporteur pour avis, votre travail sur l'administration pénitentiaire et la PJJ rejoint – vous-même l'avez dit – l'une de nos préoccupations majeures. Je ne rappellerai pas le problème de la surpopulation carcérale, une véritable plaie, à la fois pour la sécurité des agents de l'administration, pour la dignité des détenus et pour le suivi des parcours de détention, qui ne peut être correct dans de telles conditions de détention. Vous avez souligné à juste titre la faible attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire ; c'est l'une de nos difficultés majeures. Créer des postes, comme nous le faisons cette année, est une chose, les pourvoir en est une autre, à laquelle nous ne parvenons que difficilement en raison d'un turn over incessant et de départs pour d'autres métiers de la sécurité que ceux de l'administration pénitentiaire. Cela crée des difficultés. Aussi souhaitons-nous que l'ensemble de ces chantiers de transformation de la justice s'accompagne d'un sixième chantier, que je n'ai pas présenté publiquement car il est interne à notre ministère : le chantier de la gestion des ressources humaines (GRH), que je souhaite présenter dès le 6 novembre prochain aux organisations syndicales. Un pan important sera celui du recrutement et de la fidélisation de nos personnels, notamment – mais pas seulement – dans l'administration pénitentiaire. Nous envisageons plusieurs types de mesures pour fidéliser les personnels et rendre plus attrayantes leurs carrières, avec une forme de diversification ; je songe aux surveillants pénitentiaires qui peuvent intégrer les équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS), plus spécialisées, ou, désormais plus aisément, le renseignement pénitentiaire.
Vous me posez deux questions sur le sens et la place de l'emprisonnement. J'ai eu l'occasion, Monsieur le rapporteur pour avis, de m'exprimer sur ce sujet : la peine de prison a un sens précis, et ne doit pas être mise de côté, elle doit être pleinement utilisée pour ce qu'elle est. Je n'ai aucune approche idéologique de ce point de vue. Et c'est une peine qui permet et d'assurer la sécurité de nos concitoyens, et de faire un travail, s'ils sont incarcérés dans des conditions décentes, avec les détenus et d'assurer une réinsertion. Dans ce cadre, nous avons du travail à faire sur l'emprisonnement, notamment autour du suivi du parcours des détenus, pour permettre une réinsertion positive. Cela suppose de renforcer les conseillers d'insertion et de probation. Vous savez qu'il y a 150 emplois supplémentaires cette année, et tout au long de la période d'application de la loi de programmation, nous les renforcerons car ils jouent un rôle majeur en lien avec la peine de détention.
La mise en détention n'est cependant pas la seule peine que nous devons utiliser. Tout le travail que nous allons faire dans ce chantier sur le sens et l'efficacité de la peine, c'est de permettre aux juridictions, aux magistrats de prononcer des peines qui seront des peines autonomes, non des peines d'aménagement de la peine d'emprisonnement. Nous allons déverrouiller la possibilité de prononcer des peines autonomes ; je pense évidemment au bracelet électronique, aux travaux d'intérêt général, que nous devons multiplier. Il y a toute une série de peines autonomes que nous donnerons aux tribunaux la possibilité de prononcer. Ce ne sont pas là que des mots, c'est une logique un peu différente de ce qui existe à l'heure actuelle, et cela suppose que nous donnions aux magistrats la possibilité d'être plus responsables de la peine qu'ils prononcent au moment où ils prononcent. Il faut par exemple que nous renforcions les enquêtes de personnalité menées préalablement au prononcé de la peine, pour que le magistrat sache à qui il a affaire et si, oui ou non, il peut prononcer une peine autonome telle qu'un travail d'intérêt général. C'est là tout un travail qui, finalement, redonnera tout son sens à l'emprisonnement. Quand une juridiction prononcera une peine d'emprisonnement, ce ne sera évidemment pas par défaut, ni parce qu'elle n'aura pas eu le temps ou la possibilité de faire autrement, c'est parce qu'elle saura exactement à quoi cette peine correspond – je ne prétends évidemment pas là que les magistrats ne savent pas ce qu'ils font aujourd'hui, mais nous voulons que les conditions soient les meilleures possibles.
La lutte contre la radicalisation est un problème extrêmement difficile. S'il existait une solution univoque précise, nous l'aurions déjà mise en oeuvre ; ce n'est pas le cas. À la fin du mois de novembre prochain, le Premier ministre doit présenter un plan global de lutte contre les processus de radicalisation. Le ministère de la justice y prendra toute sa place. Nous avons à établir de ce point de vue un continuum entre les différentes situations de prise en charge que nous devons gérer. Nous devons prendre en charge des mineurs ; encore faut-il que nous soyons capables de les accueillir sous divers types de prise en charge, d'une prise en charge en milieu ouvert dans certains cas, avec un suivi extrêmement attentif, à une prise en charge dans des centres qui seront construits selon une logique très particulière. Il y a là une diversité de solutions à mettre en oeuvre. Ensuite, nous devons également pouvoir prendre en charge des adultes placés sous main de justice mais qui ne sont pas des détenus. Plusieurs expérimentations sont menées en France, comme le programme RIVE (Recherche et intervention contre la violence extrémiste), ou d'autres menés dans l'est de la France. Nous devons très rapidement évaluer quelles sont les meilleures manières de prendre en charge ces adultes placés sous main de justice mais qui ne sont pas des détenus – s'ils ne sont pas détenus, c'est sans doute qu'il y a encore d'autres possibilités de travailler avec eux. Enfin, nous devons travailler sur les détenus. Si les détenus radicalisés sont placés dans des situations différentes selon leur degré de dangerosité, nous ne pouvons pas les laisser sans un accompagnement singulier – je ne parle pas des détenus les plus dangereux, que nous savons placer à l'isolement mais non prendre en charge.