Intervention de Francis Chouat

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Chouat, rapporteur :

Dans les mois qui viennent, au moins deux autres commissions devront être associées aux travaux de préparation de la loi de programmation sur la recherche et l'innovation, à savoir la commission du développement durable, très concernée par ces sujets, et la commission des affaires européennes.

Seul parlementaire non spécialiste, j'ai pris le travail en cours de route, puisqu'il avait déjà été engagé par Mme Isabel Marey-Semper, M. Dominique Vernay et Mme Amélie de Montchalin, devenue secrétaire d'État et que j'ai remplacée.

Je veux également confirmer les éléments de calendrier donnés dès le début de cette réunion. Je rappelle que nous sommes à quelques jours d'un événement important pour la recherche, et notamment la recherche publique. En effet, le 26 novembre, le CNRS fêtera ses 80 ans, en présence du Président de la République, qui s'exprimera sans doute. Au cours du premier semestre 2020, nous examinerons le projet de la loi, s'appuyant sur les leçons des trois ateliers de travail, pour une application de la loi de programmation à partir de 2021.

La particularité de notre groupe était d'être à la charnière entre les enjeux de recherche publique et universitaire, d'une part, et les enjeux économiques, industriels, sociaux et sociétaux, d'autre part.

Nous sommes partis d'un constat particulièrement alarmant : alors que la France était pionnière scientifiquement et technologiquement dans différents domaines, ce sont d'autre pays qui ont créé de nouveaux marchés, des emplois et les richesses associées – parfois en rachetant des technologies françaises, notamment dans le domaine des biotechnologies.

Cette perte de puissance et de souveraineté avérée dans certains domaines, le risque sur des secteurs existants et l'absence de la France sur des marchés dits « de rupture » s'accompagnent de phénomènes sociétaux profonds, avec une perte de confiance dans les décideurs et les experts. Cela amène aussi à aborder le rôle des scientifiques dans la société, en particulier pour éclairer les décisions politiques.

Voici quelques chiffres clés. En 2018, la France compte seulement trois entreprises parmi les 100 premières entreprises du classement Forbes Global 2000, contre dix en 2006. La pertinence de ces classements peut être relativisée mais ils existent. Par ailleurs, depuis 30 ans, la France n'a pas créé de nouveaux leaders mondiaux, à l'exception de quelques grandes entreprises comme Dassault Systèmes, Gemalto ou encore Ingenico. La France est absente du top cinq des startups dites « deep-tech » par grands secteurs ; elle ne compte que 6 « licornes » sur 350 dans le monde, alors que les États-Unis et la Chine représentent à eux deux 75 % des « licornes » mondiales. Le Président de la République, au nom de la France, a fixé l'objectif clair de 25 « licornes » françaises d'ici 2025, ce qui montre l'effort qu'il faut réaliser.

La France est à un tournant de son histoire se trouve face à de très grands enjeux, à la fois sociétaux, économiques et de souveraineté nationale et européenne. Le premier objectif est de renforcer la place de la science dans la société française. Face à une crise de confiance et de défiance envers ses dirigeants et ses élites, plus que jamais, la France a besoin de la science pour donner un sens aux transformations qui la traversent mais aussi pour éclairer ses décideurs.

La recherche scientifique et l'innovation doivent retrouver leur rôle d'aiguilleur dans la société pour créer des richesses et des emplois ; pour conquérir de nouveaux marchés qui requièrent des innovations de rupture et des interactions fortes avec les acteurs industriels ; pour aborder les grands défis sociétaux en matière de santé, de sécurité, de transition numérique, d'environnement, de changement climatique et pour ainsi éclairer les décideurs, anticiper et accompagner les changements.

Face à la compétitivité des autres nations, le deuxième grand enjeu pour la France est de changer de modèle pour se hisser dans le top « 5 » des nations les plus innovantes. Elle se plaçait au quatorzième rang des 20 pays les plus innovants en 2018, pour la transformation des moyens investis en innovation, en impact économique et sociétal. Il y a donc urgence à recouvrer la souveraineté et l'indépendance de la France, dans certains marchés stratégiques à forts contenus scientifiques et technologiques.

Nous avons travaillé sur des propositions fortes afin de réagir rapidement, pour que la France redevienne un moteur puissant au sein d'une Europe forte dans la recherche et l'innovation. Cela est possible puisqu'au cours des 20 dernières années, la France a déjà montré ses capacités à initier des succès et des entreprises dans des secteurs très différents. Cependant, ces succès sont bien trop peu nombreux au regard du potentiel de notre pays et sont bien trop aléatoires pour rester dans la course mondiale.

Par ailleurs, certaines de ces entreprises ont été rachetées par des sociétés étrangères, en particulier américaines, et n'ont pas créé suffisamment d'emplois ni de valeur sur notre sol. Il faut donc changer de modèle et de paradigme pour ancrer durablement une nouvelle dynamique vertueuse au sein de notre pays. Nous avons donc défini cinq grands axes dans notre rapport.

Premièrement, nous devons favoriser l'émergence des leaders de demain, en sélectionnant cinq à sept grands défis, pour lesquels la France a des atouts et à partir desquels elle bâtira des leaderships mondiaux, sur la base d'un soutien plus affirmé à la recherche fondamentale publique, par définition non sélective.

Deuxièmement, nous devons consolider le rôle leader de la France en matière d'innovation au sein d'une Europe forte, en définissant une politique de recherche partenariale et d'innovation en lien étroit avec les territoires. L'agenda européen nous y invite et c'est un défi que nous devons relever. Nous pouvons prendre le leadership dans le développement d'une Europe de la recherche et de l'innovation, et pas seulement dans les secteurs que nous connaissons et maitrisons bien, comme le spatial ou l'aéronautique.

Cela nécessite de changer d'optique dans nos propres organisations nationales, s'agissant de la structuration des politiques nationales et régionales de recherche et d'innovation. Les compétences des régions doivent s'affirmer bien plus, dans la lignée des exemples du Grand Est et de la Nouvelle-Aquitaine notamment.

Le rôle des universités, notamment des universités d'excellence, évolue pour développer non seulement la recherche fondamentale, mais aussi l'innovation et le développement des innovations de rupture, en lien très étroit avec les grands organismes de recherche. Cette évolution est déjà à l'oeuvre, il faut la développer. Des alliances territoriales doivent être nouées avec le secteur industriel.

Notre troisième proposition est de créer des entreprises de taille intermédiaire de rupture à partir de startups « deep-tech » issues de la recherche publique, en leur consacrant 5 milliards d'euros sur les 10 fonds de capital innovation, dotés chacun d'un milliard d'euros pour les entreprises non cotées, comme proposé par le rapport de Philippe Tibi remis au Président de la République.

Quatrièmement, il faut renforcer les liens de la recherche publique avec ses partenaires, en s'appuyant sur l'existant ; d'ici cinq ans, il faut doubler les dispositifs de recherche partenariale efficaces, tel que les CIFRE, changer significativement la politique des ressources humaines, en reconnaissant réellement le personnel de recherche, et mutualiser les expertises en faisant coopérer les acteurs de la valorisation entre eux.

Dernier grand axe de propositions il est nécessaire de développer la culture scientifique de l'innovation dans les différentes sphères de la société, en associant systématiquement les citoyens aux expérimentations – je pense notamment aux territoires d'innovation ; en formant à la culture scientifique et à l'entreprise, de la terminale au master, voire au doctorat ; en imposant un quota de 20 % de docteurs dans le recrutement des futurs hauts fonctionnaires.

Par sa géographie, la France est un pays de taille moyenne, mais par son histoire, par ses combats, par son rayonnement, par la culture scientifique qu'elle a pu développer, notamment au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la création des grands organismes de recherche, elle pèse au premier rang des puissances européennes et mondiales. À la lumière des rapports que nous avons remis au Premier ministre, nous avons collectivement conscience que la future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche et l'innovation marquera un tournant décisif pour l'avenir scientifique, économique, industriel et sociétal de notre pays. Nous devons nous doter des moyens qui nous permettent d'anticiper et d'accompagner les mutations et les transformations du pays, ainsi que de retrouver confiance dans l'avenir. Il en va de notre souveraineté nationale comme de notre souveraineté européenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.