Nous avons vraiment un problème culturel sur la thèse en France, et plus largement sur notre relation avec la science et la technique. Dans n'importe quel pays, la notion de docteur renvoie au doctorat, par exemple un doctor of philosophy (PHD) ; en France, on ne vous appelle docteur que si vous êtes doctor of medicine (MD). Ce n'est peut-être pas si anecdotique pour la valorisation de la thèse dans notre pays.
La définition du métier d'enseignant-chercheur ou de chercheur constitue aujourd'hui une vraie difficulté. Je ne suis pas sûr que nous soyons tous faits pour devenir des chercheurs d'excellence de 25 ans à 70 ans. Il s'agit d'un métier à part, imposant une forte implication personnelle. Dans mon domaine, j'explique souvent à mes étudiants qu'ils ne peuvent exclure de travailler le week-end, puisque la culture de cellules s'effectue tous les jours, ce qui implique de passer au laboratoire le samedi et le dimanche, quoiqu'il arrive.
Le métier d'enseignant-chercheur comporte une partie de pédagogie et d'enseignement, une partie de recherche, une partie de valorisation, sur laquelle un grand nombre de scientifiques sont désormais engagés, et une partie de management et d'administration. Ce n'est pas forcément le plus agréable de diriger un laboratoire, voire d'entrer dans un conseil d'université. Il faut aussi citer le transfert vers le grand public, afin de diffuser la culture scientifique auprès du plus grand nombre, à travers différentes structures ou différents débats ; cette partie du travail est souvent méprisée. Aujourd'hui, il faut pouvoir prendre en compte tous ces aspects du métier et ce n'est pas encore suffisamment le cas. Finalement, l'évolution des carrières se fait essentiellement à travers le nombre et la qualité des publications. C'est bien sûr un point important mais cela explique aussi pourquoi beaucoup d'enseignants-chercheurs s'efforcent de minimiser, pendant leur carrière, le temps d'interface avec l'étudiant, parce qu'à leurs yeux c'est du temps perdu pour leur propre carrière. Nous devons vraiment reconsidérer les critères utilisés pour évaluer une carrière.
Sur les risques psychosociaux, l'ambiance dans les laboratoires est en effet catastrophique. Je ressens une forme de désespérance, qui justifie pleinement notre travail d'aujourd'hui. Nous avons créé des inégalités qui peuvent avoir leurs justifications, fondées sur l'excellence, avec des laboratoires extrêmement bien notés. Ils bénéficient de financements européens et de contrats ANR et reçoivent parfois plus de moyens qu'ils ne peuvent en dépenser. Ces laboratoires peuvent se trouver juste à côté d'autres équipes, peut-être plus modestes, qui effectivement ne publient pas dans Netsearch, Science ou Cell, mais qui font un travail de qualité et avancent peut-être sur une thématique cruciale pour progresser demain dans tel ou tel domaine. Il faut trouver une péréquation plus judicieuse de moyens pour mieux accompagner les chercheurs.