Intervention de Jean-Yves Lagalle

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h20
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Jean-Yves Lagalle, directeur départemental du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime (SDIS76) :

Je vais d'abord vous remercier, Monsieur le Président, pour les mots de sympathie que vous avez eus à notre endroit et que je ne manquerai pas de relayer à mes équipes. En cette période un peu compliquée, je crois que des mots positifs feront du bien à tout le monde. Nous en avons besoin.

Pour répondre à vos questions sur le déroulé, je vais commencer par l'heure de l'alerte. À 2 heures 39, nous avons été alertés par la société voisine Triadis. L'appel a duré environ 48 secondes. L'appelant nous signale qu'il voit d'énormes flammes qui dépassent d'une toiture du côté de Lubrizol. Au bout de ces 48 secondes, notre opérateur du centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS) appelle immédiatement la société Lubrizol. Il est 2 heures 40. Il a au bout du fil le gardien qui, a priori, n'a pas encore idée de ce qu'il se passe dans l'établissement, mais qui a une alarme déclenchée. Il envoie immédiatement son chef de quart sur site, à peu près à l'endroit qui avait été décrit par les gens de Triadis. Il confirme qu'il y a un départ de feu sur une zone extérieure en limite du bâtiment A5 et de la société Triadis. Il s'agit d'un établissement classé Seveso, répertorié chez les sapeurs-pompiers, qui fait l'objet d'un plan particulier. Nous déclenchons immédiatement les moyens prévus au plan ; nous les renforcerons même. Les premiers engins engagés le sont à 2 heures 42 et se présentent à 2 heures 52 sur place. Ce sont les moyens du centre de Rouen rive gauche qui se situe à proximité du lieu.

Les équipes intervenantes sont confrontées à un feu violent qui prend très vite de l'ampleur, qui va très vite atteindre le bâtiment A5. Je le rappelle, le feu dans le bâtiment A5 fait l'objet d'un scénario prévu au plan d'opération interne (POI), repris dans le plan particulier d'intervention (PPI) qui concerne la protection des populations.

Lorsque je suis appelé, les informations en ma possession sont qu'il y a un feu d'hydrocarbures. Au départ nous n'avons pas le détail de la nature chimique, mais nous avons dans le plan d'opération interne, l'information que le feu part dans le stockage A5, et que ce sont des produits finis, conditionnés dans des fûts d'additifs pour les carburants et les huiles. Nous sommes confrontés à un feu d'hydrocarbures qui fait énormément de fumée noire et qui va nécessiter des moyens spécialisés, notamment des moyens de projection en émulseurs et en mousse.

C'est pour cela que lorsque j'ai été appelé à mon domicile, je me suis rendu rapidement au centre de traitement de l'alerte (CTA) du CODIS pour faire le point. Le centre opérationnel se situe à Yvetot, à mi-chemin entre Rouen et Le Havre. Depuis Yvetot, il faut 25 minutes pour aller au centre opérationnel départemental (COD). Je passe d'abord par le centre opérationnel pour voir comment nous sommes organisés. Nous avons des procédures. Le CODIS passe en phase deux. Toute ma salle est prête. L'officier présent me fait un point de situation sur la base du plan de l'établissement répertorié.

La difficulté est qu'il s'agit d'un feu de liquides inflammables, mais non contenus, c'est-à-dire en circulation libre. Les premiers intervenants vont se trouver non pas face à un feu de cuvette, contenu géographiquement, mais bien face à une sorte de mini vague d'hydrocarbures qui s'avance de proche en proche, un peu comme une coulée de lave. Cette difficulté va nécessiter trois replis opérationnels, puisque pendant ce temps, il y a également d'énormes explosions de fûts.

C'est la raison pour laquelle notre premier commandant des opérations de secours (COS), qui avait mis en place un périmètre de 300 mètres, l'a étendu à 500 mètres circulaires autour de l'usine. Ce sont nos procédures en cas d'explosion pour éviter ce que l'on appelle « les effets missiles » et « les effets de souffle ». Les effets de missiles sont des projections de matières, qu'il faut contenir dans le périmètre des 500 mètres. Nous avons appelé la personne d'astreinte de la mairie de Petit-Quevilly, puisque la commune entrait dans ce périmètre. Elle était déjà au courant. Le responsable opérationnel de la mairie de Petit-Quevilly rejoint le nôtre dans la nuit, au poste de commandement (PC), pour faire le point. Il nous informe que la police les avait également prévenus.

Pourquoi trois replis successifs ? Parce que la vague a avancé et qu'il était impossible de la contenir. Le feu est hors norme par ses dimensions. Très vite, nous nous apercevons qu'il atteint trois hectares dans l'usine de Lubrizol, 7 000 mètres carrés de l'usine voisine. Ce sont trois hectares de produits inflammables qui brûlent. C'est un fait hors norme. Nos schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) nous préparent à un feu d'hydrocarbures dans un dépôt de 1 500 mètres carrés. Au-delà de 5 000 mètres carrés, il est quasiment impossible de l'éteindre sans recourir à des moyens nationaux.

C'est pour cela que la solidarité nationale a joué. Je rappelle que quand j'étais au CODIS, conformément à nos procédures, j'ai très rapidement appelé le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIS) à Paris, pour leur signaler l'événement.

Il s'agit d'un établissement Seveso seuil haut, qui a déjà défrayé la chronique, puisqu'en 2013, il y a eu un événement important. Nous sommes en pleine nuit. C'est un élément important du cheminement intellectuel que nous suivrons avec M. le préfet, pour décider de la protection des populations. Toute la vie va reprendre au lever du jour. C'est un élément déterminant pour nous.

Il y a eu trois replis successifs opérationnels et parallèlement, deux replis au niveau des postes de commandement. Au départ, notre poste de commandement était placé dans l'enceinte même de l'usine, à côté du PC exploitant. Au vu des premiers éléments, des premières explosions, le PC exploitant de Lubrizol, installé dans l'enceinte même de l'usine, s'est déporté dans un autre bâtiment situé plus loin, le bâtiment G. Quelque temps après, il a dû quitter le bâtiment G pour rejoindre la société Total Lubrifiants qui est à côté. nous-mêmes avons connu plusieurs grandes phases avant l'extinction de l'incendie : une phase de présentation, une phase de reconnaissance, une phase de préparation. Nous avons perdu trois fois la bataille, mais nous n'avons pas perdu la guerre.

Il a fallu quand même se replier, d'autant qu'à 4 heures 15, le réseau incendie interne tombe. Il n'y avait plus de pression d'eau, plus de munitions au bout de nos fusils. Fort heureusement, nous avions encore des poteaux sur la voie publique qui nous ont permis d'assurer une protection du bâtiment.

Au départ, les actions majeures ont été faites par les employés de Lubrizol, à qui il faut rendre hommage, qui ont évacué tout le stock de pentasulfure de phosphore et qui l'ont mis à l'abri. Si le feu avait pris dans ce stockage de pentasulfure de phosphore, nous avions un drame.

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