Intervention de Xavier Lefrancois

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 16h00
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Xavier Lefrancois :

Il a été dit beaucoup de choses, et je confirme qu'il y a des anomalies, il y a des choses qui ne fonctionnent pas dans notre société. Et finalement, je me suis dit que peut-être il suffirait de lire trois témoignages que j'ai reçus. Puisqu'en tant que président du PETR, j'ai écrit à l'ensemble des maires pour leur demander justement de recenser auprès de leurs administrés les difficultés qu'ils ont pu rencontrer.

J'ai reçu plusieurs courriers, et trois que j'ai sélectionnés. Un courrier d'un agriculteur, un courrier d'une élue et un courrier d'une habitante. Si vous me permettez, je vais les lire. Je vais essayer d'être assez rapide, mais c'est important, parce que cela reflète tout ce que nous venons de dire à l'instant.

Le premier est le témoignage d'un agriculteur. Vous savez, monsieur le Président que j'ai participé à une multitude de réunions suite à cette catastrophe. Il est vrai que la Chambre d'agriculture a fait son travail, et même du bon travail, mais il y a encore beaucoup à faire, et notamment sur certains agriculteurs maraîchers entre autres et apiculteurs. Je vais y revenir tout à l'heure.

« Bonjour, monsieur Lefrançois. Suite à votre courrier du 10 octobre 2019 me demandant de vous transmettre les difficultés rencontrées suite à cette catastrophe Lubrizol, notre ferme commercialise nos bons légumes labellisés bio en vente directe aux consommateurs.

« Nous nous sommes installés en 2016. Depuis trois ans, nous nous sommes fait une clientèle très intéressante. Comme vous le savez, se créer une clientèle est difficile. Or depuis cet incendie, nous constatons une perte de 47 % de chiffre d'affaires. La clientèle n'est plus là. Va-t-elle revenir, sachant aussi que notre petite exploitation à échelle humaine progresse chaque année de 15 % ? Voici une synthèse en pièce jointe, une perte estimée à 12 000 euros. Vous y trouverez les différentes pertes et dommages ainsi que les préjudices anxiété engendrés.

« Nous sommes très touchés moralement par cette pollution. Il est difficile de trouver le sommeil. Nous nous sommes engagés, vu notre éthique, au travail du sol par traction animale, et notre label bio, label que nous payons sans la moindre aide de l'État. Vous comprendrez qu'il va de soi que nous avons besoin d'aide, car notre petite structure étant jeune n'a pas de trésorerie. Nous vivons au mois le mois, ma femme et nos deux enfants à charge.

« Nous vous demandons, comme sur votre courrier, de nous défendre et de nous aider rapidement, car nous ne pouvons pas attendre très longtemps, afin que notre petite exploitation maraîchère soit pérennisée. Bon courage à vous pour essayer de nous défendre… »

C'est un habitant de Sommery en Pays de Bray. C'est un cas de figure que je pourrais multiplier par quatre, cinq, dix, parce qu'ils sont très nombreux. Vous savez en Pays de Bray, il y a des petites exploitations, notamment maraîchères, qui essaient de vivre. Certains font des marchés, et c'est leurs seules recettes, et je peux vous dire que la fréquentation des marchés, aujourd'hui, est en berne. C'est un témoignage fort venant d'un petit exploitant en Pays de Bray.

Témoignage d'une élue qui est très intéressant.

« Notre commune a été impactée par cette pollution. Dès le jeudi matin à 8 heures 30, l'odeur était très forte sur notre commune. Les mères et enseignants du regroupement scolaire ont décidé seuls de confiner les enfants à l'intérieur. Hélas, certains enfants ont dû sortir pour se rendre à la cantine scolaire sur le temps du midi, moment du pic de pollution avec une odeur provoquant une irritation de la gorge et une véritable gêne olfactive.

« Ne recevant aucune consigne des services de l'État et constatant le commencement d'un dépôt de suite, nous avions décidé de fermer les écoles le vendredi. Mais nous avons changé d'avis devant les propos rassurants du préfet le jeudi soir. Les enfants sont restés néanmoins confinés : pas de récréation le vendredi.

« Je ne comprends pas que chaque année, les élèves fassent des exercices plan particulier de mise en sureté des personnes (PPMS), et là, le jour où il faut l'appliquer, aucune décision sensée n'ait été prise. Avoir fermé des écoles jusqu'à Quincampoix, alors que nous sommes juste derrière à vol d'oiseau, comme si le nuage de fumée allait s'arrêter pile à Quincampoix.

« Nous avons donc dû nettoyer nos cours et mobiliers hier et ce matin, afin que les enfants ne soient pas en contact avec la suie. Hélas, nous en avons partout. Nous allons faire un pointage ce jour pour les habitants, afin qu'ils nettoient et se protègent également. La suie recouvre tout : menuiseries, barrières, voitures, bancs, école, toboggan.

« Nous avons des entreprises agricoles aussi et plusieurs habitants possèdent des poules et des potagers. Nous regrettons de ne recevoir un appel de la cellule de crise que dimanche après-midi. C'est un peu tard.

« Je vous remercie de transmettre notre parole à qui de droit, car nous sommes petits et pas forcément entendus. Maire de Neufbosc. »

Et pour finir, un témoignage d'un habitant :

« La commune dans laquelle j'habite, à côté de Buchy, a été impactée par le panache de fumée de Lubrizol. J'ai eu l'information de cet accident vers 8 heures 15, le jeudi, alors que je m'apprêtais à emmener mon fils de quatre ans à pied à l'école maternelle avec mon fils de six semaines. J'ignore alors que le panache de fumée issu de l'incendie s'est déplacé jusqu'en Pays de Bray.

« J'apprends à l'école que les voitures sont déjà couvertes de suie. Les enseignantes nous indiquent qu'elles vont garder les enfants à l'intérieur. Ils ne sortiront que pour aller à la cantine. Elles n'ont reçu aucune consigne, puisque seules 12 communes sont concernées par les mesures de confinement. Comment a été décidée cette liste de 12 communes, qui sont proches de la nôtre ? La préfecture pensait-elle que le nuage s'arrêterait juste près de ces communes ?

« C'est au cours de la journée que je prends conscience de l'extrême gravité, et de ce qui est en train de se passer. Les odeurs entrent dans la maison, notamment dans la chambre de mon bébé. Le lendemain, les enseignantes, n'ayant toujours reçu aucune consigne, sortent les enfants en récréation à l'extérieur. De chez moi, je les entends. Je décide alors de téléphoner aux enseignants et au maire de mon village, afin de savoir si la cour et les jeux ont été nettoyés pour éviter tout risque d'exposition des enfants aux retombées. La réponse n'a pas été claire du côté du maire. Elle semble être : « non » du côté des enseignants.

« Nous avons donc alors été confrontés à un maire n'ayant absolument pas pris conscience de la gravité de la situation, et minimisant les impacts potentiels de notre territoire, à 30 kilomètres de Rouen. Après plusieurs jours d'échanges tendus, et le déplacement de l'inspectrice dans l'école, les jeux de la cour de l'Ecole, les rebords de fenêtre ont normalement été nettoyés. Le doute persiste encore aujourd'hui vu la manière dont cela a été conduit par la municipalité.

« Mon fils de quatre ans a donc, comme tous ses camarades de maternelle, été potentiellement exposé aux pollutions, le temps que le nettoyage soit correctement réalisé. Le week-end suivant l'incendie nous procédons au nettoyage des jeux et du mobilier de jardin dans notre propriété, pareil toboggan, balançoire, bac à sable, etc., voiture.

« Face à ce constat, nous sommes anéantis. La crainte que nos enfants déclarent dans quelques années une maladie du fait de cette pollution. Allons-nous devoir les regarder grandir avec le cancer au-dessus de la tête ? Je ne peux pas m'empêcher de pleurer en les regardant et en y pensant.

« Notre potager que nous n'avons pas récolté, cette perte de légumes ayant nécessité du temps, et qui nous aurait permis aussi de nourrir nos enfants avec des produits de qualité, qu'en est-il des prochaines années ? Pourrons-nous jardiner à nouveau ? Nos arbres sur lesquels nous avons laissé les fruits pourrir ? Nos abeilles qui se sont vues exposées aux suies. La planche d'envol de ruche en était couverte, qu'elle sera l'impact pour la ruche. La cire sera-t-elle polluée ? Les poules, pourrons-nous les manger ? Que faire des oeufs ? Pendant combien de temps ne pourront-ils pas être mangés ?

« Nous ne pourrons pas consommer en toute confiance les aliments, lait, fromages, fruits et légumes venant du Pays de Bray. Le choix de l'échantillonnage pour les analyses n'ayant nulle part été précisé. Les particuliers habitants ne sont jamais évoqués dans les communications officielles ou les médias. Pourtant, le préjudice est bien réel.

« Outre le préjudice sur la santé, qu'il est impossible aujourd'hui d'évaluer, le préjudice est moral depuis l'accident, avec l'inquiétude portant sur la santé et la remise en cause du mode de vie. Les enfants pourront-ils rejouer demain dans la terre sans risque d'intégrer des polluants ? Il y a le préjudice financier, avec la perte des fruits et légumes, et donc la nécessité d'en acheter. Tout comme les essaims des abeilles, qu'en est-il de la perte de la valeur immobilière ?

« Toutes ces questions sont partagées avec nos voisins et amis, qui ont été impactés de la même manière. Serons-nous, particuliers, habitants du territoire, reconnus victimes de cet accident industriel ? »

Voilà trois témoignages, monsieur le Président, qui sont poignants. Ils sont bien réels et reflètent tout à fait les questions qui sont posées et les réponses qui ont pu être apportées jusqu'à maintenant.

Sur l'agriculture, il y a eu effectivement un énorme travail qui a été accompli, mais qui n'est pas suffisamment. Effectivement des agriculteurs ont été un peu abandonnés, un peu délaissés, ceux qui produisent différemment, qui ne produisent pas nécessairement du lait. Je pense qu'il faut quantifier un peu tout cela encore. Il est encore temps de se rattraper.

En plus, j'ai l'impression qu'on a beaucoup parlé de Rouen, mais cela s'est arrêté là. Et le nuage de suie : « C'est juste un simple nuage. Il ne faut pas s'inquiéter, il n'est pas dangereux ! » Non, cela ne suffit pas comme réponse. L'accompagnement des particuliers aussi, à mon avis, est très important.

L'analyse sanguine supplémentaire ? Il faut aussi envisager, peut-être, d'être suivi sur le plan médical à long terme.

Concernant le dispositif d'alerte de la commune. Moi aussi j'ai une sonnerie, mais qui ne suffira certainement pas, parce que la ville de 5 000 habitants est assez importante et assez éparpillée. On ne l'entend pas systématiquement, je suis tout à fait d'accord avec toi, mon cher Éric.

On aurait tellement de choses à dire.

L'appel d'urgence téléphonique : il y a des zones blanches encore en Pays de Bray, je le reconnais.

Apprendre les choses par la presse, par France Bleu, j'avoue que là France Bleu a fait un excellent travail et a garanti une bonne communication. Mais cela ne suffit pas, tout le monde n'a pas la radio branchée sur France Bleu.

Je pense qu'encore une fois la ruralité a un peu été laissée pour compte. Le Pays de Bray, c'est une zone de revitalisation rurale (ZRR), elle est déjà très en difficulté. Le monde rural souffre. Nous n'avions pas besoin de cela pour l'image de ce territoire qui est en train de se préparer pour une étude de faisabilité d'un parc interrégional naturel. Ce n'était pas le bon moment.

Nous venons de sortir un Guide du Routard justement pour promouvoir notre région. Or, nous avons tout faux ! Nous sommes en train de déstabiliser un peu toutes les initiatives en faveur de notre territoire qui vaut pourtant le coup d'être visité. Il vaut aussi le coup d'y vivre !

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