Nous sommes un mois après le dramatique événement. Je ne reviendrai pas sur les premières heures qui ont dénoté un certain nombre de dysfonctionnements dans la communication. L'immense majorité des maires du territoire métropolitain n'a été informée officiellement par les services de la préfecture qu'en tout début d'après-midi. C'est à travers les médias, le matin, que les maires ont pu découvrir l'ampleur de cet accident technologique de première importance.
Nous sommes sur un territoire sur lequel nous essayons de partager un avenir, qui doit nous être commun. Les communes qui ne sont pas impactées par l'accident et sont plus au sud, notamment les communes ressortissantes du groupe que j'ai le privilège de présider, auraient pu être informées. Les médias nationaux – France Bleu pour ne pas la citer – ont pris le pas sur l'information « réglementaire », ce qui a contribué à semer la panique dans les populations. À l'annonce de la fermeture de toutes les écoles, alors que ce n'était pas le sujet, très vite, la préfecture a fait en sorte que l'information soit plus précise, mais les médias nationaux ont créé une panique, y compris sur les territoires qui n'étaient pas impactés par Lubrizol. À titre personnel, il m'a fallu faire la rentrée des classes, afin de rassurer et de m'assurer que tous les enseignants étaient bien présents pour accueillir les enfants.
Sur les premières urgences, des retours que j'ai pu avoir, l'agence régionale de santé (ARS) a également été défaillante. Les médecins étaient complètement démunis face à une demande de diagnostic de la part de nombreux administrés. C'est l'aspect le plus notable, ce manque de communication, avec cette volonté de rassurer l'opinion publique, alors que dans le même temps, cette même opinion publique constatait que des policiers portaient des masques, que les ministres se dépêchaient en grand nombre. Bien évidemment, ce n'était pas de nature à rassurer. Le doute s'est donc installé. Nous vivons dans une période où la parole publique est mise à mal. Quelque part, on a contribué à alimenter le doute sur : « Ce n'est pas grave, mais tout le monde vient au chevet de la population. » Un ministre ne se déplace pas comme cela. C'est donc un doute qui subsiste encore aujourd'hui.
Nous sommes à un mois de ce triste évènement et les élus que nous sommes sont aujourd'hui invités à réfléchir à l'aménagement du territoire et au développement industriel. L'axe Seine est marqué par la présence de pratiquement toutes les filières que compte notre pays, et c'est une force. De mon point de vue et de celui de mes amis, il faut préserver cette chance que nous avons d'avoir ce bassin d'emploi très important, sur lequel pourront s'adosser de nouveaux métiers. Tout à l'heure, nous avons parlé de tertiaire supérieur, mais à quoi bon, s'il ne peut pas s'adosser sur un développement industriel conquérant et de pointe ? Il faut vraiment veiller à préserver tout cela, mais dans un cadre sécurisé.
C'est là que nous allons évoquer la culture des risques technologiques qui nous entourent. Je crois que la culture du risque n'existe pas. Elle a pu exister durant toute une période où les salariés qui travaillaient dans les usines habitaient aux alentours. Ils savaient ce qui se faisait, comment cela se faisait et quels devaient être les gestes auxquels il fallait avoir recours en cas de pépin. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans ce cas de figure. La culture du risque s'est affaiblie, parce que malgré les efforts de communication des maires et des autorités à l'échelle de l'État, il y a une méconnaissance de ce qu'est le tissu industriel à proximité de nombreuses habitations de nos administrés. Il faut bien dire également que la culture du risque a également reculé au rythme des désengagements de l'État. L'État est moins présent dans la surveillance des sites, les réglementations sont assouplies, ce qui donne un mauvais signal. C'est donner l'impression que finalement, ces entreprises ne sont pas si dangereuses que cela. Il faudra revisiter certaines dispositions, voire revenir en arrière. Par exemple, nous avons appris au bénéfice de cet accident technologique que de nouveaux conteneurs ont été stockés, avec certes une autorisation, mais très simple, peut-être signée sur le coin du bureau du préfet. En tout cas, ce n'était rien qui pouvait alerter les élus que nous sommes. Connaissant particulièrement cette entreprise qui n'est pas complètement innocente en matière d'accidents technologiques et est dans la récidive aujourd'hui, nous aurions peut-être pu peser, afin qu'il en soit autrement.
Concernant les droits des salariés dans l'entreprise, qui mieux que les salariés pour faire jouer le droit d'alerte, lorsqu'ils sentent qu'il y a péril ? Puisque les pompiers ont été remerciés à de nombreuses reprises à juste titre, que nous leur rendons hommage encore aujourd'hui, j'en profite pour rendre hommage aux salariés de l'entreprise qui ont aidé, ont été réactifs dès les premières heures, afin que cet incendie soit le plus minime possible.
Sur le plan de l'urbanisme, il va falloir tirer des enseignements. Nous partageons tous l'idée que l'étalement urbain est un autre temps. Comme l'a dit ma collègue, il faut reconstruire le territoire sur lui-même ou plutôt la ville sur la ville. Il faut à la fois développer et sécuriser les centres de production industrielle, qu'il faut conserver sur nos territoires. C'est notre richesse. Il faut également veiller à ne pas exposer davantage de population. Le quartier Flaubert est un peu le navire amiral des projets métropolitains pour les vingt ans qui viennent. Je ne dis pas qu'il faut remettre en cause tout cela, mais à l'aune de ce qui vient de se passer, il va falloir que nous examinions les choses, de façon à ne pas exposer davantage de population.
Je crois qu'il faut que la solidarité nationale s'applique pour notre territoire, bien évidemment à travers toutes les mesures de compensation financière, en particulier pour les agriculteurs, parce que sur notre territoire, nous avons une agriculture. Je pense à ceux qui sont au-delà du territoire métropolitain, dont vous avez reçu tout à l'heure un échantillon d'élus qui doivent être soutenus. Puisque sur l'axe Seine, nous sommes exposés au risque industriel, il faut peut-être que notre territoire devienne pilote en matière de protection des biens et des personnes. Il faut travailler de façon que l'axe Seine devienne un peu le laboratoire sur le plan national de ce qui doit être une gestion plus vertueuse en matière de risques.
Je m'en tiendrai là pour l'instant, mais aujourd'hui, il est certain que la crainte sur la santé de nos administrés reste la question la plus prégnante. Il faudra un suivi le plus personnalisé possible et dans le temps, afin de voir quels auront été les effets sur la santé de ce nuage toxique qui nous a été annoncé comme étant peu dangereux. Si nous ne le contestons pas, nous doutons de la véracité de tout cela. Il faut prendre la mesure de tout cela et suivre au plus près ce qu'attendent les habitants, afin de leur redonner un peu de confiance.