Intervention de Cyrille Moreau

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 17h20
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Cyrille Moreau, président du groupe des élu.es écologistes et apparenté.es et vice-président de la MRN en charge de l'environnement, conseiller municipal de Rouen :

D'abord, merci de nous avoir invités et de nous donner l'occasion de nous exprimer. Madame la députée, vous demandiez comment les élus qui n'étaient pas maires avaient vécu ces évènements et avaient eu accès à l'information. Autant vous dire que c'était assez compliqué. Je ne suis pas maire, mais je suis vice-président de la métropole en charge des risques technologiques. Pourtant, je n'ai eu absolument aucune information. J'ai passé tout mon temps à courir après l'information pendant la crise. Je tiens tout de même à le souligner. D'ailleurs, cela a été un révélateur pour nous tous. Nous nous sommes tous rendu compte de cette situation et du fait que la gestion de crise est un binôme entre l'État et les maires. L'échelon intercommunal n'est pas reconnu dans le dispositif de gestion des risques. Cela pose un problème, puisque nous avons des compétences concernées. L'eau a posé polémique, les transports en commun ont posé polémique. Par ailleurs, des maires qui n'étaient pas dans la zone du panache avaient tout de même des populations à gérer, parce que les populations se déplacent, vont travailler dans des communes concernées et avaient besoin d'être informées. Comme cela a été souligné par Noël Levillain, le système de gestion d'alerte locale automatisée (GALA) a informé à 14 heures 20 les maires, sur les portables, qu'il y avait un incendie à Rouen. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont un rôle à jouer. Il faut revisiter la gestion de crise, en permettant aux EPCI de jouer un rôle de coordination des communes sur le territoire. Si une avancée est à faire, c'est sur ce sujet du rôle des EPCI.

Je souligne tout de même que pour travailler régulièrement avec Yvan Robert qui est à la fois maire de Rouen et président de la métropole, une chose m'a frappé. Lorsqu'Yvan Robert posait une question par écrit à l'État, au préfet, nous n'avions pas toujours les réponses. C'est quelque chose qui me pose un problème. Je comprends bien qu'en cas de gestion de crise, le préfet a un autre rôle à jouer, mais il est tout de même bien de répondre à des questions, comme celle qui vient d'être évoquée, à savoir la mise en place du registre sanitaire.

Je rentre un peu dans la polémique. Je crois que tout cela est lié à l'obsession de l'État de ne pas paniquer les populations, ce que nous comprenons. C'est très important. Dans une gestion de crise, il faut absolument éviter les effets de panique. C'est d'ailleurs pour cela que nous n'avons pas déclenché les sirènes, etc., mais nous n'allons pas rentrer dans la polémique. Du coup, il y a cette obsession de tout contrôler. On donne l'information au millimètre, on agit au millimètre, de peur qu'y compris – et je le dis, c'est là le propos polémique – les maires, qui ne maîtrisent pas le contrôle de l'information, parce qu'ils sont trop proches des populations, contribuent à l'effet de panique. Je projette quelque chose, mais il y a un peu de cela. Il faut vraiment que nous travaillions tous main dans la main. Nous l'avons dit tout à l'heure, dans un contexte où les personnes ont de la défiance, ce sont les maires qui sont les plus proches de population. Ce sont les maires qui sont capables de dire que l'eau du robinet est réellement potable. Ce n'est pas le communiqué de presse sur le site de la préfecture qui rassurera les populations. Il faut que l'État intègre davantage les élus dans sa gestion et réponde à leurs sollicitations. Cela me paraît important.

Nous parlions de l'accès à l'information. Au fil de l'eau, nous avons découvert différents sujets. Je voudrais revenir sur deux d'entre eux qui me mettent personnellement, ainsi que mes collègues, comme Jean-Michel Bérégovoy qui est élu à la ville et est coprésident de notre groupe, en état de saturation. Le premier sujet est l'amiante. Au début de la crise, personne ne nous parle d'amiante, puis nous recevons un lanceur d'alerte qui nous appelle, nous informons la presse de la présence de l'amiante, et cela devient un sujet public. Nous apprenons que le directeur de l'usine déclare qu'il ne savait pas que le toit était en amiante. Les pompiers nous disent dans un premier temps qu'ils ne savaient pas que le toit est en fibrociment. Au conseil de suivi des sites, le 16 octobre, on nous annonce que bien sûr, tous les toits de tous les bâtiments industriels sont en fibrociment. Si tous les toits de tous les bâtiments industriels sont en fibrociment, comment se fait-il que les personnes ne le savaient pas ? Tout cela est à prendre avec des précautions, mais des témoignages de pompiers nous disent qu'au début, ils n'avaient pas leur tenue, que tout le monde n'avait pas de tenue, que les policiers n'avaient pas de protection par rapport à l'amiante. Comment est-il possible d'envoyer des serviteurs du service public sans protection particulière sur des sites où l'on sait que par définition, il y aura de l'amiante, puisque tous les toits sont en fibrociment ? Cette défaillance est tout de même absolument consternante dans l'analyse des risques.

Une deuxième chose est assez stupéfiante. Nous sommes sur un risque Seveso seuil haut, où l'on prend beaucoup de soin à analyser tous les risques. Il faut encore laisser l'enquête aller au bout, afin de déterminer d'où vient le sinistre. Une chose est probable, à savoir que l'incendie ne viendrait pas de l'intérieur des bâtiments, puisque tout était protégé par des systèmes de sprinkler, etc. On nous raconte également que l'on a manqué d'émulseurs et d'eau. On n'avait que deux heures de réserve d'eau. Pourtant, le colonel des pompiers nous a dit que le fait de traiter l'incendie en douze heures était un record. Si c'est un record, comment se fait-il que nous n'ayons que deux heures de réserve d'eau ? Par définition, partons-nous du principe que si un incendie vient de l'extérieur des bâtiments, on ne le traitera pas ? C'est complètement surréaliste. Il y a le soupçon que l'incendie pourrait venir du voisin, mais cela aurait pu être une autre configuration. À Rouen, nous avons déjà vécu cela. Un pont a brûlé, avec un camion-citerne. Que se passe-t-il, si un camion-citerne circule dans la rue à côté, a un accident et provoque un incendie ?

Un autre sujet est que nous avons entendu parler d'attaque. Apparemment, ce ne sont pas des missiles, mais de drones de raffinerie en Arabie saoudite. Que se passe-t-il, si un terroriste envoie un drone, avec des bombes incendiaires, alors que le système n'est pas prévu pour faire face à l'incendie ? Quelque chose ne va pas du tout. Françoise Guillotin l'a rappelé, la métropole va demander à l'État de réinterroger tous les risques industriels à l'aune de ces éléments. Pour le coup, ce n'est absolument pas sérieux. Puisque je parle des drones, nous avons demandé à l'État quelles étaient les mesures prises pour assurer la sécurité des risques industriels par rapport au risque de drones. Ce n'est pas une blague, puisque l'armée est en train de s'organiser pour faire face à ces risques. Nous n'avons absolument aucune réponse. Pourtant, nous protégeons les centrales nucléaires, mais n'étant pas partisan des centrales nucléaires, un drone aura un peu plus de difficultés à pénétrer dans les endroits sensibles d'une centrale nucléaire que dans un entrepôt. Ce sont des choses qu'il faut absolument intégrer dans les PPRT. Pour le moment, ce n'est pas le cas. Il faut que les PPRT intègrent le risque drone.

Un deuxième risque est le risque d'inondation. Je vous informe que, sur la carte du territoire à risques importants d'inondation (TRI) qui analyse les risques, Lubrizol est déjà en risque d'inondation faible. Nous savons tous que même un risque faible peut tout de même survenir. Cette analyse a été faite en 2014. En 2013, nous avions eu l'incident mercaptan. En 2014, l'ensemble des groupes du conseil municipal de Rouen avait rencontré les services de l'État. Il nous avait expliqué qu'il fallait réactualiser la carte, qu'elle ne l'était pas et que c'était sur le bureau du Préfet. La carte n'a pas été réactualisée depuis 2014. Vous avez dû voir qu'aujourd'hui, une communication est faite sur les zones qui seront inondées tous les ans en 2050. Évidemment, Rouen et ses sites en font partie. Lorsque l'on analyse la sécurité des sites, on ne peut pas la dissocier du risque d'inondation, parce que c'est absolument fondamental. Il y a donc une urgence à réactualiser le risque d'inondation. Lorsque nous avons posé la question à l'État, il nous a répondu : « Oui, c'est un sujet. Nous le verrons plus tard… »

Non, nous ne le verrons pas plus tard. Il faut définitivement savoir si le risque est plus large en périmètre et plus haut en intensité et ensuite, regarder si les dispositifs de sécurité sont adaptés au risque d'inondation. C'est absolument fondamental. Ce n'est pas la même chose d'intervenir sur un site sec que sur un site inondé. Je ne comprends pas que ces sujets soient dissociés, que l'on prescrive des PPRT, alors que l'on n'a pas actualisé cette question du risque d'inondation, même si cela reste un sujet complexe, avec différents scénarii.

Vous nous avez interrogés sur les indemnisations. Le principe des indemnisations me pose un souci. D'abord, elles sont plafonnées. Ensuite, ce sont des indemnisations de court terme. Un laitier normand est dans une région de réputation mondiale. Quand les Chinois ont eu des problèmes, ils sont venus acheter le lait en Normandie, parce qu'ils étaient sûrs qu'ils n'auraient pas de problème. On va indemniser le laitier pour sa perte journalière de production. Mais qui va indemniser le préjudice de long terme ? Il ne sera pas indemnisé. Pourtant, potentiellement, ces agriculteurs verront leur marché se restreindre, du fait de ce préjudice. Il ne faut pas penser qu'une fois que l'on a fait ces indemnisations qui en plus sont plafonnées, on a réglé le préjudice.

Comme l'a rappelé le président de la mission d'information, il y a également la question des particuliers. Je trouve que sur les questions de dépollution, ils ont été abandonnés à eux-mêmes. On leur disait : « Prenez des lingettes, humidifiez-les. » Pense-t-on vraiment que tout le monde lit attentivement le site de la préfecture, afin de savoir comment faire exactement pour mettre en place les bons systèmes de dépollution ? Ce n'est pas très sérieux.

Lors du même comité, que je cite, parce que c'est la seule réunion à laquelle j'ai été invité, j'ai demandé si quelque chose avait été prévu quant aux systèmes d'aération, aux VMC dans les copropriétés qui étaient sous le panache. Pour les sites médicaux, le jour même, cela a été coupé et ensuite, les entreprises spécialisées sont intervenues pour nettoyer. C'est très bien, mais qu'en est-il des copropriétés ? Tous ici, croyons-nous vraiment que toutes les copropriétés vont nettoyer leur VMC et que ce sera bien fait ? Ce jour-là, le secrétaire général a découvert le problème, a demandé si c'était traité. Il lui a été répondu que non, qu'il fallait s'en occuper. C'était le 16 octobre. Cela signifie que s'il y a de la pollution, pendant vingt jours, les personnes ont été de nouveau contaminées par leur VMC. C'est quand même incroyable. On aurait dû s'occuper de cela et missionner immédiatement une entreprise, de la même façon que l'on a missionné une entreprise pour collecter l'amiante. C'est la base. Les professionnels médicaux ont tout de suite identifié la problématique des VMC.

Sur la question du registre, pourquoi ce qui est proposé par le gouvernement ne nous convient-il pas du tout ? D'abord, parce qu'en mars, mais surtout depuis le début, on a dit aux personnes : « N'encombrez pas les services d'urgence. » C'est tout à fait légitime, les services d'urgence sont là pour traiter les urgences vitales. Ensuite, Santé Publique France a analysé le risque en fonction des remontées au niveau des services d'urgence, ce qui crée déjà un premier biais. Comme peu de sujets remontent, il n'y a pas de problème. Le préfet a écrit au président de la métropole, en disant : « Il n'est pas nécessaire de mettre en place un suivi médical approfondi au vu des remontées. » Oui, mais qu'en est-il des généralistes ? Dans les mêmes documents de Santé Publique France qui sont en ligne, en page 2, vous verrez qu'il n'y a aujourd'hui aucune remontée des médecins généralistes. Pour autant, une enquête régionale a été menée et indique que 74 % des généralistes ont dit avoir reçu des patients en lien avec Lubrizol. La réaction, normale, de Santé Publique France a été de dire : « Nous sommes passés à côté de quelque chose. Il faut réintégrer les généralistes dans notre base d'analyse. » Non, cela n'a pas été fait. La première chose à faire pour le registre de santé est de contacter les généralistes, afin de leur demander de faire remonter cette base de données de patients venus les voir. Il ne s'agit pas d'attendre le mois de mars pour finir des études environnementales et savoir s'il faut faire des suivis. Je vais vous donner les résultats des études environnementales : elles vous diront que les polluants n'ont pas dépassé les effets de seuil. Ce n'est pas le sujet. Le sujet est que nous ne savons pas ce qui se passe, quand ces composants brûlent. C'est « l'effet cocktail ». Ce ne sont pas les études environnementales qui nous diront s'il y a un problème. Ce sont les suivis biologiques des personnes qui nous diront si leurs fondamentaux biologiques se dégradent ou non. Qui mieux que les généralistes qui connaissent leurs patients pour dire : « Je constate que M. Dupont a un problème. Ce n'est pas normal » ? Dans ce type de dispositif, il faut impérativement intégrer les généralistes dès le début. C'est vrai pour Rouen, mais c'est aussi vrai pour plus tard.

Pour terminer sur Flaubert, puisqu'un petit sujet s'est engagé sur le quartier Flaubert, ne nous trompons pas de débat. Dans les PPRT sont analysés deux aléas : l'explosion et l'aléa thermique, mais ce n'est pas ce qui nous inquiète. L'aléa empoisonnement nous inquiète et il n'est pas traité pas dans les PPRT. Les habitants du quartier Flaubert ne seront pas plus ou moins exposés à l'empoisonnement que d'autres habitants. Il est normal que lorsqu'on construit un nouveau quartier, l'on se préoccupe donc de cela, mais il faut également songer à tous les autres habitants de toutes les autres communes qui sont aussi soumis à ces aléas. Comme l'ont justement rappelé les collègues, en plus, il y a des enjeux environnementaux : économiser la consommation de foncier agricole, permettre aux personnes de se déplacer en transports en commun, etc. C'est un peu un faux débat de se concentrer là-dessus, en disant qu'il n'y aurait que les futurs habitants de Flaubert qui seraient exposés. Si j'ai bien compris le périmètre de l'enquête de santé envisagée par l'État, ce sont 300 000 habitants. C'est ce sujet d'analyse des risques à cette échelle.

Comme l'a souligné Noël Levillain, nous ne pouvons pas nous passer de l'industrie et il faut faire monter le niveau de sécurité qui est visiblement un peu léger au vu de ce à côté de quoi nous sommes passés. Le quartier Flaubert n'est pas une menace pour l'industrie. Les deux sont liés. L'industrie utilise de plus en plus de tertiaire et accessoirement, nous savons qu'à Rouen nous avons un déficit d'emplois très important et nous avons besoin de ce type de projets de développement. En dehors de cette enceinte, on a opposé le projet industriel et le projet tertiaire, mais il ne faut pas opposer les deux. Il faut faire le développement du tertiaire, préserver l'industrie, mais à des conditions acceptables. Je le redis, la première condition est qu'il faut impérativement et au plus tôt que l'on nous réponde sur la question des inondations. Cela ne va pas concerner que les risques industriels, cela va aussi concerner le PLUi. Nous sommes en train d'approuver un PLUi, mais nous n'avons pas la version définitive du risque d'inondation. C'est tout de même un sujet. Nous pouvons faire des PLUi modificatifs, etc., mais l'État doit traiter rapidement ces questions d'inondation.

Voilà pour les premiers éléments et je laisserai mon collègue compléter.

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