Intervention de Jean-Michel Bérégovoy

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 17h20
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Jean-Michel Bérégovoy, conseiller communautaire, co-président du groupe des élu.es écologistes de la ville de Rouen, adjoint au maire de Rouen :

Je ne sais pas forcément répondre à cette question. J'ai l'impression que nous avons tous dit quelque chose qui allait dans le sens du manque de culture du risque technologique et industriel dans ce pays. Il faut chaque fois qu'il y ait des catastrophes, pour que nous nous posions cette question. Le législateur agit, fait la loi. Ce qui m'interpelle, ce sont plutôt les assouplissements d'ordre législatif sur ces questions, sur lesquelles nous devrions être beaucoup plus durs.

Je donne un exemple, que je donne souvent, lorsque je rencontre des personnes. Bien sûr qu'il faut « réenchanter » la ville, j'en suis intimement convaincu. Il faut « réenchanter » notre territoire dans son ensemble ! Mais, aujourd'hui, nous sommes passés de la sidération à la colère et cette colère ne retombe pas. Elle s'exprime autrement que dans les premiers jours. Si vous avez un logement, que vous le vendez, on vous demande un diagnostic amiante. S'il y a un problème, il faut le résoudre. Quand je pilotais la reconstruction de la place des Emmurées à Rouen, nous avions trouvé un peu d'amiante dans les joints et il a fallu confiner le site pendant huit mois, avec un coût supplémentaire de plusieurs centaines de milliers d'euros. C'était légitime. Là, nous apprenons que notre appareil industriel stocke, voire enfûte dans des bâtiments obsolètes, avec des toits faits en fibrociment. Cela m'apporte la réflexion que nous sommes dans cette doctrine française, où nous avons l'impression qu'il faut nier tout risque, afin de continuer à développer un plein-emploi tout à fait illusoire. Bien sûr, ces entreprises sont extrêmement utiles. Il vaut mieux produire chez nous qu'à l'autre bout de la planète, c'est une évidence, d'abord, parce que les conditions doivent être malgré tout meilleures et que le dumping social est certainement plus fort ailleurs.

Ecoutons ce que nous disent les syndicats. J'étais à la sortie de l'usine cousine AZF en 2001 et déjà à l'époque, les salariés nous disaient : « Nous avons beaucoup plus de salariés qui ne sont pas formés. » C'était en 2001. Ils disaient : « Nous avons acheté à la SNCF des trains de stockage à simple coque, parce que ce sont des productions en continu. » La loi sort et on l'assouplit encore plus. Ce que nous vous demandons ici - c'est parce que nous vivons dans cette vallée de la Seine, mais c'est vrai dans le Rhône également - c'est que l'on durcisse ces questions, que l'on renforce les CHSCT. La question n'est pas d'opposer la production à la ville. Cela n'aurait pas de sens. Aujourd'hui, la production doit s'adapter à la ville. La ville a progressé, c'est comme cela. Nous n'allons pas revenir en arrière et supprimer des quartiers entiers. Nous sommes tous d'accord pour dire que l'étalement urbain est un véritable problème et qu'il faut essayer de lutter contre.

Vous avez tous eu raison de citer le PLUi, mais dans le PLUi, il y a encore plus de mille hectares d'artificialisation des sols. Si nous devions atteindre 1 400 hectares, cela poserait un vrai sujet pour l'avenir et tous les défis du XXIe siècle. Il faut bien construire la ville sur la ville, mais la question n'est pas de savoir si nous devons retirer un quartier ou faire en sorte de le geler, etc. La question est de savoir de quelle façon nous adaptons l'appareil industriel à cet enjeu fondamental urbain, sur lequel nous devons absolument réagir.

Il n'y a aucun exercice annuel dans notre métropole. J'en discutais avec quelques amis qui vivent ailleurs, dans d'autres lieux chauds de la planète. Ils ont des exercices fréquents. Chez nous, il n'y a aucun exercice. Je suis enseignant et sur les Hauts de Rouen, j'ai dû faire un exercice, pour voir comment réagir s'il y avait une inondation. Je ne veux pas moquer mes supérieurs ou l'État qui demandent cela, mais cela n'a pas de sens. En revanche, le nuage est passé dans ce secteur. Il a vite dévié. Pour les personnes de l'Est, c'était une bonne nouvelle, mais c'est parti vers le nord et nous savons tout ce qui s'est passé derrière. C'est catastrophique. Il n'y a aucun exercice annuel.

J'aurais dû être d'astreinte, ce jour-là. Je n'étais pas d'astreinte, parce que j'ai eu un problème de santé important quelques jours auparavant. J'ai été prévenu par des personnes qui m'ont appelé vers 6 heures 30. Aussitôt, j'ai essayé d'appeler le maire. J'ai eu le cadre d'astreinte qui m'a dit : « On ne nous a pas demandé grand-chose… » Nous nous sommes retrouvés en cellule de crise autour d'Yvon Robert et beaucoup de choses ont été entreprises. Toutes ces personnes qui m'appelaient ou que nous avons pu rencontrer demandaient ce qu'elles devaient faire, parce qu'elles n'étaient pas préparées à cela. J'attends du législateur qu'il inscrive dans le marbre de la loi ces obligations d'exercice. C'est la première chose. Cela éviterait les paniques. Dans ce cas, si les sirènes retentissent, nous saurons exactement quoi faire. Nous devons être préparés à cela. Cela n'a aucunement été fait.

Quand je parlais de colère, je ne suis pas chimiste, mais il s'avère que je connais quelques chimistes qui ont travaillé dans la production, notamment dans la sécurité. L'appareil havrais est également extrêmement conséquent et de mon point de vue relativement sécure, en tout cas plus éloigné de nous. C'est un grand lieu d'habitat et il y a des structures plus grandes faisant que si un incident arrive, il peut parfois être contenu à l'intérieur même de la structure. Ce n'est pas le cas avec Lubrizol, mais nous savons comment fonctionnent ces systèmes de noeud papillon, avec l'évènement redouté central. Cela peut être une perte de confinement, une rupture, un débordement de ce qui est produit. Dans ces cas-là, il y a des barrières de prévention en amont et si cela ne fonctionne pas, il y a des barrières de protection en aval. Visiblement, cela n'a pas extrêmement bien fonctionné.

La question que je me pose est : sommes-nous en droit de demander d'expertiser dans toutes ces entreprises la qualité de ces barrières de prévention et de protection ? Elles sont en coeur de métropole, avec 500 000 habitants. Après l'histoire d'AZF, nous avions rencontré le préfet à l'époque qui nous avait dit que s'il y avait un évènement létal très important, cela concernerait plusieurs centaines de milliers de personnes. Bien sûr, c'est le scénario le plus catastrophique, mais il peut arriver et nous ne savons pas comment fonctionnent les protections. Je ne suis pas dans ces commissions, comme mon collègue Moreau, mais je croyais que nous étions juste dans une zone de stockage, pas d'enfûtage en même temps.

Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, mais sur la pollution de la Seine, quel a été le bassin de rétention ? Quelle est sa taille, etc. ? Je discutais avec un certain nombre de personnes qui travaillent dans ce domaine. L'un de mes collègues m'a dit : « Je l'ai à peine vu sur le site », alors que quand vous allez au Havre, ces bassins sont considérables et énormes. Ils doivent être capables d'intégrer ce genre d'évènement, avec les pompiers qui interviennent fortement.

Ce sont des questions que nous nous posons. Vous l'avez dit, les uns et les autres, c'est l'image de notre territoire communal et intercommunal qui est largement touchée. Ce n'est pas la première fois, c'est la deuxième fois en six ans, de la même manière et venant de la même entreprise. Cela n'a pas été le cas et tant mieux, mais souvent, les premières victimes sont les personnes qui interviennent très vite. Elles ont été d'un grand courage, extrêmement précieux pour éviter le pire. Ce sont également les salariés, parce qu'à l'intérieur, il a fallu intervenir très rapidement, afin de faire sortir un certain nombre de produits encore plus dangereux qui auraient pu entraîner une catastrophe bien supérieure.

Il faut à la fois être prêt, avoir cette culture du risque, parce que c'est notre industrie, qu'elle est là et qu'il faut adapter notre quotidien par rapport à cela et en même temps avoir la clarté sur ce qui nous protège à l'intérieur. Ce n'est pas seulement ce qui protège l'entreprise, mais ce qui nous protège. Si l'entreprise explose et qu'il y a ce phénomène dominos qui peut aller très vite, c'est l'ensemble des populations qui est en danger.

Je voudrais dire un mot sur le quartier Flaubert. Je le répète, nous ne pouvons pas à la fois demander la lutte contre l'étalement urbain, nous battre contre la rarification des sols et ne pas se poser cette question du quartier Flaubert. Je ne l'ai jamais appelé « écoquartier », parce qu'il y avait justement une usine Seveso juste à côté et deux autoroutes urbaines. Il n'y en a plus qu'une, parce que l'autre est aujourd'hui en partie un site propre. C'est très bien comme cela. Un nouveau quartier a du sens. Je le dis ici avec un peu de force, en revanche, ce n'est pas à ce quartier de s'adapter à l'entreprise. C'est l'entreprise qui doit s'adapter à cette question de l'urbanisme. Par la loi, il faut que nous soyons capables d'instaurer des règles permettant de continuer à travailler, afin de donner de l'attractivité à notre territoire, mais dans des conditions de sécurité absolument maximales. C'est le minimum que nous devons à nos habitants.

Sur la question de l'indemnisation, nous n'avons pas parlé d'une chose. Après AZF, j'ai discuté avec des personnes de Toulouse. Cela a mis des années à repartir et c'est une ville qui avait une attractivité naturelle beaucoup plus forte que celle de Rouen, pour des tas de raisons. Des personnes avaient décidé de vendre leur bien, en se disant : « Je suis à la retraite, je vais vendre ma petite maison. J'ai travaillé pendant toute ma vie. Je suis enfin à la retraite et j'ai décidé de partir quelque part. J'ai ce pécule qui est ma maison. » Aujourd'hui, comment vendent-ils et à quel prix ? Quel type d'indemnisation par rapport à cela ? S'est-on posé la question ? Pourtant, nous savons que sur un territoire comme le nôtre, en permanence, des personnes s'en vont et d'autres arrivent. C'est normal et naturel, mais aujourd'hui, quelle est la suite de l'histoire pour ces personnes ? Trouveront-elles des personnes qui auront envie de venir ? Quelqu'un qui hésiterait aujourd'hui entre Caen et Rouen choisirait-il naturellement Rouen ? Comment indemnise-t-on cela ? Comment avoir une réflexion approfondie sur cette question ? C'est vraiment une question que je me pose.

Des préjudices sont tout de suite palpables et il était normal d'indemniser les commerçants. Les jours qui ont suivi, c'était vraiment dramatique. Dans notre ville, tout était vide. D'habitude, sur le grand marché de Rouen, les personnes cherchent une place pour boire un verre. Là, nous cherchions les personnes sur le marché. Vous avez parlé de l'agriculture. C'est la filière qui est touchée durablement et pas seulement sur ce qu'elle a produit ces jours-là, qu'elle a dû jeter. Ce sont également tous ces préjudices moraux qui sont aujourd'hui extrêmement forts et auront du mal à s'effacer. Notre territoire doit rebondir, mais cela va mettre du temps. Si j'entends un peu les discussions que nous avons eues autour de cette table, une chose est certaine : nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faudra le faire ensemble et pratiquer certainement une réflexion nouvelle sur ce qu'est la ville et ce qu'est également l'appareil industriel au sein de notre ville.

Il y a également une vraie réflexion sur sa conversion et cette conversion ne se fait pas contre les salariés, mais avec eux. Ils ont des savoir-faire, des choses à nous apprendre. Ce sont tous ces chimistes, toutes ces personnes qui travaillent dans ces productions. Des tas de pays ont créé cette chimie verte. Nous devons être capables de maintenir un appareil industriel fort dans nos régions, dans notre pays, tout en ayant des procédés différents qui sécurisent les habitants autour et respectent l'environnement. Ce qui a été touché là, ce ne sont pas seulement les personnes. Les personnes ont été touchées dans leur chair, blessées par ce qui s'est passé et heureusement, il n'y a pas eu de mort, mais l'environnement a été touché durablement.

Je ne reviendrai pas sur la santé, mais sur le registre, c'est déjà trop tard. Il faut absolument que dans la loi, il soit prévu qu'un registre de santé soit tout de suite instauré dans ce cadre. Si ce n'est pas le cas, la mémoire est ainsi faite, nous perdrons le fil de ce qui s'est passé ces dernières semaines. Les symptômes que nous avons pu avoir disparaîtront avec la mémoire. Il est essentiel que dans le marbre de la loi, ce registre de santé soit tout de suite inscrit. C'est votre rôle et c'est ce que nous venons plaider tous ensemble, afin que si une catastrophe se reproduisait ailleurs, nous puissions avoir des outils extrêmement fiables de ce point de vue.

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