Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je souhaite vous remercier de nous accueillir et de nous entendre dans le cadre de cette mission d'information sur l'incendie de Lubrizol, à Rouen. Avant toute chose, je me fais le porte-parole de notre industrie, qui pense évidemment à toutes les personnes qui ont été touchées par l'incendie à Rouen, qui traversent depuis une période difficile : les salariés, les Rouennaises, les Rouennais et l'ensemble des riverains.
Je veux également saluer le travail remarquable des pompiers, des services de secours, des services de l'État et des collectivités territoriales qui se sont mobilisés depuis le premier jour, d'abord pour circonscrire l'incendie puis pour limiter son impact. C'est un évènement très important pour notre secteur industriel ainsi que pour l'ensemble des sites Seveso en France. Nous le suivons depuis le premier jour avec la plus grande attention.
Je vais revenir, comme vous me l'avez demandé, sur le poids économique de la chimie en France et le rôle de notre fédération. Je pense qu'il est important de vous démontrer à quel point la sécurité est une priorité au quotidien, de nos entreprises. Je vais évoquer avec vous la question de la réglementation. Nous considérons notre réglementation comme l'une des plus strictes au monde. Enfin, comme vous l'avez dit, notre président s'est déjà exprimé dans la presse. Il est clair que notre industrie tirera les enseignements de cet évènement, comme nous le faisons à la suite de n'importe quel incident.
Je propose que Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie, aborde, dans un deuxième temps, la question plus spécifique de la réglementation et de son application, c'est-à-dire comment la réglementation répond au sujet du voisinage.
Vous nous avez interrogés sur la simplification de la réglementation. Est-ce que cette simplification de la réglementation est quelque chose que nous devons appeler de nos voeux ? Comment interprétons-nous les résultats du bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (BARPI) ?
Comment la question des inventaires des produits sur nos sites est-elle gérée à l'intérieur de nos sites et ailleurs ?
Pour ce qui est de la chimie en France, c'est un secteur économique majeur qui regroupe plus de 3 300 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire, qui emploie plus de 170 000 salariés et affiche un chiffre d'affaires annuel de plus de 70 milliards d'euros. Au-delà de cela, c'est un tout premier secteur industriel exportateur.
On ne le sait pas assez, c'est un secteur qui exporte énormément et notre contribution à la balance commerciale de la France atteint aujourd'hui un record de plus de 11 milliards d'euros. C'est important parce que ce n'est pas si courant. C'est un secteur à haute valeur ajoutée. Il puise sa réussite dans sa capacité d'innovation. Plus de 8 % de nos effectifs sont dédiés à des activités de recherche et de développement (R&D) et nos innovations permettent le développement de nouveaux principes actifs pour la pharmacie, des matériaux plus légers pour l'industrie automobile ou pour l'aéronautique, de nouvelles solutions pour le véhicule électrique, pour les nouvelles générations de panneaux solaires que l'on souhaite rendre recyclables, pour les nouvelles générations d'éoliennes, pour les matériaux isolants pour le bâtiment ou pour des solutions de traitement de l'eau. Vous voyez, c'est extrêmement varié. Tout cela se diffuse dans l'ensemble des secteurs économiques français. Notre rôle est vraiment au coeur de la transition écologique, que nous appelons tous de nos voeux.
Dernier point, notre industrie est une industrie en croissance continue depuis dix ans. Nous sommes le deuxième producteur au niveau européen derrière l'Allemagne et comme dans d'autres secteurs industriels, nous faisons face aujourd'hui à des métiers en tension. Nous sommes en croissance nette d'emplois et nous avons des métiers en tension. Pour ce qui est de France Chimie, c'est la voix de ce secteur et de toutes les entreprises en France. Notre fédération regroupe 900 adhérents et 1 300 établissements. Pour être plus précise, notre adhérent type, c'est une PME de moins de 250 salariés qui n'a qu'un seul site, souvent en province, et qui se répartit entre autant de process continu ou de process batch, mais là je rentre dans le détail.
En tant que fédération, nous considérons que nous avons un rôle double, c'est-à-dire que nous sommes à la fois le porte-parole de notre secteur auprès des pouvoirs publics, mais nous avons un deuxième rôle tout aussi important qui est que nos experts, dont certains sont ici présents, accompagnent quotidiennement ces établissements dans la bonne mise en oeuvre de la réglementation sur leur site et dans l'implémentation des standards de sécurité les plus exigeants, car la sécurité est la première préoccupation des industriels français. C'est une priorité que nous considérons non négociable et c'est un objectif que nous nous fixons au quotidien comme en témoignent les investissements que nous y consacrons chaque année. La chimie, en France, investit chaque année 600 millions d'euros pour la sécurité et l'environnement. Cela représente 20 % de ses investissements. Cette sécurité est au coeur de la culture de nos entreprises, c'est-à-dire que chaque poste de travail fait l'objet d'une évaluation des risques, qui conduit à la mise en place de consignes de sécurité, d'équipements de protection collectifs ou individuels et à la formation du personnel. C'est aussi un sujet qui est assez particulier à notre secteur, trois quarts de nos salariés reçoivent chaque année une formation et un tiers de ces heures de formation est consacré à la sécurité. La formation du personnel, à tous les niveaux de l'entreprise, est un point essentiel de notre politique de sécurité.
Pour revenir à votre question sur la réglementation, nos usines mettent effectivement en oeuvre les réglementations les plus strictes au monde. Elle est particulièrement riche et exigeante. Plus le potentiel de danger du site est élevé, plus les exigences réglementaires seront croissantes. La réglementation Seveso est une sécurité de plus pour les Français. Pour illustrer ce propos, il faut bien avoir conscience que nos industriels peuvent parfois étudier jusqu'à 1 000 scénarios de risque et produire des centaines de pages pour leur étude de danger. Ils doivent démontrer qu'ils ont réduit au maximum les risques liés à leurs activités et les conséquences qui pourraient leur être associées.
Cela passe en premier lieu par une action « à la source », par la réduction des quantités de matières dangereuses ou par leur substitution et, à défaut, par la mise en place de barrières de prévention et de protection qui prennent la forme technique, organisationnelle ou encore en matière de formation.
L'autre point qu'il est vraiment essentiel de mettre en avant, c'est qu'il s'agit d'une réglementation de proximité. C'est-à-dire qu'elle est mise en oeuvre avec les DREAL, sous la supervision des préfets, ce qui permet d'agir au plus près du terrain. Nous avons l'habitude de dire que la deuxième personne, après l'exploitant, qui connaît le mieux nos installations, c'est la DREAL. À la suite des études qui sont menées par les industriels, c'est le préfet qui délivre une autorisation d'exploiter ainsi qu'une liste d'exigences à respecter.
Dernier point, c'est une réglementation qui évidemment évolue avec son temps. Elle a été fortement renforcée, comme vous l'avez dit, par la loi de 2003, avec la mise en place des PPRT. Pour l'industrie, pour la chimie, cela a eu pour conséquence l'investissement de plus de 500 millions d'euros pour renforcer nos installations et améliorer la prévention des risques technologiques.
Depuis, en 2010, 300 millions d'euros supplémentaires ont été consacrés à la modernisation des sites pour maintenir le niveau de sécurité attendu. Bien sûr, le risque zéro n'existe pas, mais notre rôle est de s'en approcher le plus possible et de limiter son éventuel impact. Nous considérons que c'est bien la philosophie de la réglementation à laquelle nous nous conformons.
Au-delà d'encourager la parfaite application de la réglementation en vigueur, notre secteur a effectivement pris une série d'engagements volontaires, déterminants, qu'il me semble important de vous lister ici. Nous sommes engagés depuis 30 ans dans une démarche de progrès continu mondiale, qui s'appelle Responsible Care. Ce programme tire l'ensemble de la profession vers les meilleures pratiques en les diffusant et en les mettant en valeur. Les industriels, au travers de ce programme, partagent leur performance sur la sécurité et sur l'environnement. Cela leur permet de se comparer à leurs pairs, on sait bien qu'il y a toujours une émulation positive au travers de ce genre de programme.
Vous l'avez évoqué, effectivement, nous certifions également nos entreprises sous-traitantes. Chacune d'entre elles doit suivre un programme obligatoire de formation à nos standards de sécurité, qui s'appliquent aussi bien à nos salariés qu'à ses intervenants extérieurs. À ce jour, ce sont plus de 4 000 sous-traitants qui sont certifiés en France dans le cadre de ce programme.
Par ailleurs, nous avons également lancé des initiatives qui permettent de partager des moyens techniques d'expertise, dans le cadre de la gestion d'un certain nombre d'accidents. Par exemple, pour le transport, nous avons mis en place un programme qui s'appelle Transaid et qui a fait l'objet d'une convention avec la sécurité civile.
S'agissant maintenant du cas de l'incendie intervenu sur le site de Lubrizol, comme vous le savez, une enquête judiciaire est en cours pour déterminer les origines de l'incendie et des analyses sont mises en oeuvre pour identifier les conséquences. Nous ne disposons pas des conclusions de l'ensemble de ces procédures, je m'abstiendrai donc de tout commentaire spécifique à cet évènement. En revanche, je peux vous assurer que notre industrie tire les enseignements de chaque incident, de chaque évènement. Nous l'avons toujours fait. Et nous continuerons à le faire aux côtés des pouvoirs publics. Pour tirer les enseignements d'un tel évènement, le processus consiste à faire le recueil des faits, à en analyser les causes, les impacts afin de définir d'éventuelles recommandations. Les éléments de l'enquête seront évidemment essentiels dans ce processus.
En revanche, pour ce qui concerne la gestion de l'accident, je peux d'ores et déjà dire que nous nous associons aux recommandations du Livre blanc d'Amaris, sur l'utilisation des nouvelles technologies pour alerter les populations et sur l'importance d'améliorer encore ce qu'ils ont appelé la culture du risque et ce que je qualifierai de communication, en permanence, auprès des riverains.
Enfin, s'agissant des PPRT, il y a un point essentiel à souligner, c'est que le travail réalisé pour leur mise en oeuvre a été considérable, tant pour les exploitants que les autorités et les collectivités locales. De notre point de vue, il s'agit aujourd'hui de finaliser ce processus, et notamment de terminer les travaux de renfort de bâti des logements qui sont concernés.
En conclusion de ce propos liminaire, nous souhaitons réaffirmer que la sécurité est une priorité non négociable de notre industrie. Nous estimons que la réglementation actuelle est riche et qu'elle doit permettre de tirer les enseignements de cet incendie. Nous serons aux côtés des pouvoirs publics dans ce processus.
Je laisse la parole à Philippe Prudhon, pour les précisions sur la réglementation et les quelques sujets que vous avez abordés.