Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures.

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Mes chers collègues, nous allons continuer les auditions qui nous réunissent dans le cadre d'une mission d'information sur l'incendie de Lubrizol, à Rouen. Nous auditionnons ce matin Mme Magali Smets, directrice générale de France Chimie, accompagnée de son équipe.

Je vais commencer par vous poser un certain nombre de questions pour introduire cette audition, suivies des questions de notre rapporteur, Damien Adam et des collègues ici présents. Vous aurez l'occasion de détailler l'ensemble des réponses que vous souhaitez apporter. Nous n'hésiterons pas, en fonction des réponses, à rebondir.

Je voudrais d'abord, de votre part, connaître le poids de l'industrie chimique, en France, d'un point de vue économique et du point de vue des emplois. Je voudrais savoir également si Lubrizol est membre de votre fédération et plus globalement quel type de groupes et entreprises vous fédérez aujourd'hui et quelles sont les missions qui sont les vôtres. On dit souvent, en tout cas nous l'avons entendu, que nous aurions, en France, une réglementation parmi les plus contraignantes au monde. Pouvez-vous confirmer ou infirmer cette assertion ? Quel regard portez-vous sur la loi Bachelot de 2003 qui a fait suite à la fois au rapport parlementaire de Jean-Yves Le Déaut, d'une commission d'enquête qui avait été décidée suite à l'accident AZF, et plus largement, quel regard portez-vous sur des directives européennes, comme les directives Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals (REACh) qui se sont succédé ou les directives Seveso ? Considérez-vous que nous sommes à chaque fois dans une forme de retour d'expérience qui apporte non pas des contraintes, mais des normes et des réglementations nouvelles pour tirer toutes les conséquences d'évènements ou d'accidents industriels qui ont pu se faire ?

Amaris, que vous connaissez, qui rassemble des collectivités qui sont voisines ou proches de sites industriels ou de sites chimiques notamment, mais pas seulement, considère qu'il y a une mauvaise gestion des risques. C'est ce que l'association dit, elle a publié un livre blanc. Êtes-vous d'accord avec ce constat ? Vous avez d'ailleurs annoncé dans un communiqué du 2 octobre de cette année, que vous souhaitiez, suite à l'accident Lubrizol, apporter un certain nombre d'améliorations dans la gestion des risques. Qu'en est-il ? Pourriez-vous nous indiquer les pistes ou les orientations qui sont d'ores et déjà prêtes ou en tout cas qui correspondent aussi à un retour d'expérience que vous avez auprès de vos adhérents ?

Est-ce que vous pourriez par ailleurs nous indiquer si, lorsqu'il y a eu des assouplissements, notamment dans la réglementation, je pense à la loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), il s'agissait d'une demande de votre part, parce qu'on évoque souvent le fait que nous ayons une réglementation parmi les plus contraignantes d'Europe ou du monde, mais en même temps, semble-t-il, il y a parfois une demande des industriels pour assouplir. Quelle est finalement la dialectique, en la matière, qui peut être utile ?

On nous a dit à plusieurs reprises que 63 % des accidents industriels étaient plutôt des incendies. Est-ce que vous confirmez ce chiffre ? Comment pourriez-vous expliquer cette occurrence de ce type d'accident ? Plus largement, le bureau d'analyse des risques et des pollutions industrielles, qui dépend du ministère de la transition écologique et solidaire a remis en septembre dernier un rapport dans lequel il est indiqué qu'entre 2016 et 2018, il y a eu 34 % d'augmentation d'accidents dits industriels. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce un manque de contrôle, un lâcher-prise de la part des industriels, le fait qu'il y ait eu des assouplissements ? J'aimerais que vous puissiez nous éclairer sur ce point.

Par ailleurs, il a souvent été évoqué devant nous l'« effet cocktail ». Je ne sais pas si en cette matière, au sein de votre fédération, vous avez un groupe de travail sur cette notion. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Et enfin, pour terminer, j'ai suggéré la création d'une sorte d'autorité de sûreté des sites classés en catégorie « Seveso » qui pourrait disposer d'inspecteurs dédiés à ces sites, avec un budget propre, c'est-à-dire une autorité indépendante du gouvernement, avec un pouvoir de sanction, une publicité des décisions qu'elle prendrait, à l'image de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dont chacun reconnaît aujourd'hui qu'elle apparaît véritablement comme un de « gendarme du nucléaire » crédible. Ne pourrions-nous pas avoir une forme de « gendarme des sites classés en Seveso ». Il y en a 1 362 à travers notre pays. Je crois que cela mériterait sans doute une attention particulière, dans l'idée de rétablir la confiance entre les citoyens qui ont des attentes et notamment celles et ceux qui vivent à proximité des sites, et bien évidemment l'industrie que vous représentez.

Je cède la parole sans plus tarder à notre rapporteur.

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J'ai aussi un petit lot de questions, en commençant tout d'abord évidemment par un retour d'expérience que vous pourriez nous faire sur cet incendie et comment vous analysez les éléments qui ont pu amener à la situation que nous vivons aujourd'hui. J'aimerais bien aussi vous entendre sur le sujet de la culture du risque. Est-ce que vous avez des recommandations pour développer cette culture du risque dans notre pays ? Je sais, par exemple, qu'à ce titre, France Chimie Normandie travaillait avec la Métropole de Rouen pour mettre en place un système de communication sur les incidents industriels, en prenant en considération ce qui s'était passé en 2013 et en estimant qu'il fallait aller plus loin sur la communication. Si vous avez des éléments par rapport à ce qui a été travaillé, n'hésitez pas à nous les fournir.

J'aimerais aussi vous interroger sur les risques incendie des sites industriels chimiques. On voit bien, comme M. le Président l'évoquait, que c'est un sujet de risques qui est très important et sur lequel il faut que l'on puisse se pencher. J'aimerais bien vous entendre sur ce sujet et voir ce qui pourrait être amélioré pour qu'on puisse réduire ce risque incendie ; le déclenchement de l'incendie, mais également la lutte la plus efficace possible pour qu'on atteigne les incendies dès qu'ils interviennent.

Il y a aussi un sujet sur le voisinage de sites classés en « Seveso » avec d'autres activités industrielles ou même avec des riverains. Dans le cas du site Lubrizol, on ne sait pas d'où est parti l'incendie. Mais ce qui est sûr, c'est qu'un voisin a été impacté par cet incendie. Il faut certainement regarder la réglementation que nous avons quand un site industriel Seveso ou à risque plus important qu'un site classique est limitrophe d'autres sites, pour voir s'il n'y a pas des matériaux chimiques qui sont incompatibles les uns avec les autres. J'aimerais bien vous entendre sur ce sujet.

Sur l'antériorité, nous auditionnions hier Normandie Logistique qui nous expliquait que le site de Quai de France à Rouen avait été créé aux environs de 1920 et que les activités de Lubrizol France à Rouen, ont commencé, me semble-t-il, dans les années 50, donc après la présence du site Normandie Logistique, tout comme l'autre site « Seveso », l'entreprise Triadis, qui se trouve à côté. Est-ce que nous devrions interroger la logique d'antériorité des sites qui s'installent et est-ce que nous ne devrions pas notamment avoir une réglementation qui soit peut-être plus améliorée pour traiter ce sujet ?

Au cours de l'audition de Normandie Logistique hier après-midi, on nous a indiqué que la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) avait visité le site à deux reprises, sans qu'à aucun moment, elle ne communique d'informations à Normandie Logistique sur des modifications à faire pour un bon niveau de sécurité de ces sites. Est-ce que c'est quelque chose que l'on peut constater aussi sur les sites industriels chimiques, selon vous ?

Ensuite, j'ai des questions sur les contrôles de site. Beaucoup de citoyens s'interrogent sur le niveau de contrôle des sites Seveso. Il a été révélé que l'entreprise Lubrizol avait été contrôlée à 39 reprises depuis 2013. Que pouvez-vous nous dire sur le contrôle des usines à risque. Ces contrôles peuvent-ils être améliorés ?

J'ai également une question sur la formation des salariés. Est-ce que vous avez des remarques à fournir sur la formation des salariés, notamment pour faire face aux accidents industriels plus précisément au sein des sites classés en « Seveso » ?

Quelle est l'implication des sous-traitants en matière de sécurité industrielle ? Faudrait-il faire des améliorations à ce sujet ?

Il y a évidemment une question qui ressort avec cet incendie, au sujet de la place des usines dans les villes. Dans la plupart des cas, ce sont plutôt les villes qui se sont développées à tel point d'arriver à la limite des usines, mais c'est un sujet qui doit être traité, qui est d'ailleurs traité dans le cadre des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), mais faut-il, compte tenu de cette situation que nous vivons depuis le 26 septembre, modifier ces réglementations et les règles qui régissent les sites industriels et les voisinages des villes ?

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Je voulais compléter la question qui vient d'être posée sur les sous-traitants. Le président de France Chimie a dit dans le quotidien Les Échos du 13 octobre : « Nous labellisons 4 000 sous-traitants qui doivent appliquer les mêmes standards de sécurité que les 3 000 entreprises de chimie ». Nous avons pu constater hier, lors de l'audition du site Normandie Logistique, qu'effectivement, les règles de sécurité qui s'appliquaient aux deux entreprises voisines n'étaient pas identiques. Il y a une question qui me taraude, j'aimerais bien que vous m'expliquiez quelles sont les règles et quelles sont les consignes de sécurité en matière de gestion des flux « entrants » et « sortants » sur un site Seveso. Quels sont les contrôles obligatoires ? Quels sont les process incontournables ? Comment fait-on pour contrôler les produits, notamment quand ils sortent en direction d'un site de stockage voisin comme c'était le cas du site qui nous intéresse ? Comment sont-ils identifiés ?

Cet accident nous interroge sur la possibilité pour les entreprises chimiques Seveso de délocaliser leurs stocks dans des entreprises extérieures qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations en termes de gestion des risques et de sécurité.

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Beaucoup de questions vous ont été posées. J'insisterai notamment sur celle de mon collègue rapporteur, M. Adam, sur la place des usines de chimie, par rapport aux villes et aux métropoles urbaines. Vous savez que je suis un élu du « Couloir de la chimie » au sud du Rhône, on se connaît bien, puisque nous sommes de la grande famille de la chimie. C'est vraiment une question qui me taraude.

J'avais juste une question complémentaire par rapport à Lubrizol. Qu'est-ce que vous pensez des instructions qui ont été menées à l'époque de ce qu'on appelle le post-Lubrizol, en 2013 et est-ce que cela a été utile – je pense notamment à l'instruction d'août 2014 –, et si oui, en quoi ? J'aimerais bien avoir votre retour d'expérience sur ce cas précis.

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Je vais essayer de reformuler la question posée par ma collègue Anne Vidal. Clairement, ne faut-il pas interdire que les produits d'une usine Seveso soient stockés chez les voisins ? Faut-il interdire le fait, par la loi, que les fûts qui sont stockés dans une usine Seveso, en l'occurrence chez Lubrizol, dangereux ou pas, puissent être transférés dans une usine dite de logistique ?

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Vous allez pouvoir prendre le temps de répondre à l'ensemble des questions. Je vous remercie.

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Magali Smets, directrice générale de France Chimie

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je souhaite vous remercier de nous accueillir et de nous entendre dans le cadre de cette mission d'information sur l'incendie de Lubrizol, à Rouen. Avant toute chose, je me fais le porte-parole de notre industrie, qui pense évidemment à toutes les personnes qui ont été touchées par l'incendie à Rouen, qui traversent depuis une période difficile : les salariés, les Rouennaises, les Rouennais et l'ensemble des riverains.

Je veux également saluer le travail remarquable des pompiers, des services de secours, des services de l'État et des collectivités territoriales qui se sont mobilisés depuis le premier jour, d'abord pour circonscrire l'incendie puis pour limiter son impact. C'est un évènement très important pour notre secteur industriel ainsi que pour l'ensemble des sites Seveso en France. Nous le suivons depuis le premier jour avec la plus grande attention.

Je vais revenir, comme vous me l'avez demandé, sur le poids économique de la chimie en France et le rôle de notre fédération. Je pense qu'il est important de vous démontrer à quel point la sécurité est une priorité au quotidien, de nos entreprises. Je vais évoquer avec vous la question de la réglementation. Nous considérons notre réglementation comme l'une des plus strictes au monde. Enfin, comme vous l'avez dit, notre président s'est déjà exprimé dans la presse. Il est clair que notre industrie tirera les enseignements de cet évènement, comme nous le faisons à la suite de n'importe quel incident.

Je propose que Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie, aborde, dans un deuxième temps, la question plus spécifique de la réglementation et de son application, c'est-à-dire comment la réglementation répond au sujet du voisinage.

Vous nous avez interrogés sur la simplification de la réglementation. Est-ce que cette simplification de la réglementation est quelque chose que nous devons appeler de nos voeux ? Comment interprétons-nous les résultats du bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (BARPI) ?

Comment la question des inventaires des produits sur nos sites est-elle gérée à l'intérieur de nos sites et ailleurs ?

Pour ce qui est de la chimie en France, c'est un secteur économique majeur qui regroupe plus de 3 300 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire, qui emploie plus de 170 000 salariés et affiche un chiffre d'affaires annuel de plus de 70 milliards d'euros. Au-delà de cela, c'est un tout premier secteur industriel exportateur.

On ne le sait pas assez, c'est un secteur qui exporte énormément et notre contribution à la balance commerciale de la France atteint aujourd'hui un record de plus de 11 milliards d'euros. C'est important parce que ce n'est pas si courant. C'est un secteur à haute valeur ajoutée. Il puise sa réussite dans sa capacité d'innovation. Plus de 8 % de nos effectifs sont dédiés à des activités de recherche et de développement (R&D) et nos innovations permettent le développement de nouveaux principes actifs pour la pharmacie, des matériaux plus légers pour l'industrie automobile ou pour l'aéronautique, de nouvelles solutions pour le véhicule électrique, pour les nouvelles générations de panneaux solaires que l'on souhaite rendre recyclables, pour les nouvelles générations d'éoliennes, pour les matériaux isolants pour le bâtiment ou pour des solutions de traitement de l'eau. Vous voyez, c'est extrêmement varié. Tout cela se diffuse dans l'ensemble des secteurs économiques français. Notre rôle est vraiment au coeur de la transition écologique, que nous appelons tous de nos voeux.

Dernier point, notre industrie est une industrie en croissance continue depuis dix ans. Nous sommes le deuxième producteur au niveau européen derrière l'Allemagne et comme dans d'autres secteurs industriels, nous faisons face aujourd'hui à des métiers en tension. Nous sommes en croissance nette d'emplois et nous avons des métiers en tension. Pour ce qui est de France Chimie, c'est la voix de ce secteur et de toutes les entreprises en France. Notre fédération regroupe 900 adhérents et 1 300 établissements. Pour être plus précise, notre adhérent type, c'est une PME de moins de 250 salariés qui n'a qu'un seul site, souvent en province, et qui se répartit entre autant de process continu ou de process batch, mais là je rentre dans le détail.

En tant que fédération, nous considérons que nous avons un rôle double, c'est-à-dire que nous sommes à la fois le porte-parole de notre secteur auprès des pouvoirs publics, mais nous avons un deuxième rôle tout aussi important qui est que nos experts, dont certains sont ici présents, accompagnent quotidiennement ces établissements dans la bonne mise en oeuvre de la réglementation sur leur site et dans l'implémentation des standards de sécurité les plus exigeants, car la sécurité est la première préoccupation des industriels français. C'est une priorité que nous considérons non négociable et c'est un objectif que nous nous fixons au quotidien comme en témoignent les investissements que nous y consacrons chaque année. La chimie, en France, investit chaque année 600 millions d'euros pour la sécurité et l'environnement. Cela représente 20 % de ses investissements. Cette sécurité est au coeur de la culture de nos entreprises, c'est-à-dire que chaque poste de travail fait l'objet d'une évaluation des risques, qui conduit à la mise en place de consignes de sécurité, d'équipements de protection collectifs ou individuels et à la formation du personnel. C'est aussi un sujet qui est assez particulier à notre secteur, trois quarts de nos salariés reçoivent chaque année une formation et un tiers de ces heures de formation est consacré à la sécurité. La formation du personnel, à tous les niveaux de l'entreprise, est un point essentiel de notre politique de sécurité.

Pour revenir à votre question sur la réglementation, nos usines mettent effectivement en oeuvre les réglementations les plus strictes au monde. Elle est particulièrement riche et exigeante. Plus le potentiel de danger du site est élevé, plus les exigences réglementaires seront croissantes. La réglementation Seveso est une sécurité de plus pour les Français. Pour illustrer ce propos, il faut bien avoir conscience que nos industriels peuvent parfois étudier jusqu'à 1 000 scénarios de risque et produire des centaines de pages pour leur étude de danger. Ils doivent démontrer qu'ils ont réduit au maximum les risques liés à leurs activités et les conséquences qui pourraient leur être associées.

Cela passe en premier lieu par une action « à la source », par la réduction des quantités de matières dangereuses ou par leur substitution et, à défaut, par la mise en place de barrières de prévention et de protection qui prennent la forme technique, organisationnelle ou encore en matière de formation.

L'autre point qu'il est vraiment essentiel de mettre en avant, c'est qu'il s'agit d'une réglementation de proximité. C'est-à-dire qu'elle est mise en oeuvre avec les DREAL, sous la supervision des préfets, ce qui permet d'agir au plus près du terrain. Nous avons l'habitude de dire que la deuxième personne, après l'exploitant, qui connaît le mieux nos installations, c'est la DREAL. À la suite des études qui sont menées par les industriels, c'est le préfet qui délivre une autorisation d'exploiter ainsi qu'une liste d'exigences à respecter.

Dernier point, c'est une réglementation qui évidemment évolue avec son temps. Elle a été fortement renforcée, comme vous l'avez dit, par la loi de 2003, avec la mise en place des PPRT. Pour l'industrie, pour la chimie, cela a eu pour conséquence l'investissement de plus de 500 millions d'euros pour renforcer nos installations et améliorer la prévention des risques technologiques.

Depuis, en 2010, 300 millions d'euros supplémentaires ont été consacrés à la modernisation des sites pour maintenir le niveau de sécurité attendu. Bien sûr, le risque zéro n'existe pas, mais notre rôle est de s'en approcher le plus possible et de limiter son éventuel impact. Nous considérons que c'est bien la philosophie de la réglementation à laquelle nous nous conformons.

Au-delà d'encourager la parfaite application de la réglementation en vigueur, notre secteur a effectivement pris une série d'engagements volontaires, déterminants, qu'il me semble important de vous lister ici. Nous sommes engagés depuis 30 ans dans une démarche de progrès continu mondiale, qui s'appelle Responsible Care. Ce programme tire l'ensemble de la profession vers les meilleures pratiques en les diffusant et en les mettant en valeur. Les industriels, au travers de ce programme, partagent leur performance sur la sécurité et sur l'environnement. Cela leur permet de se comparer à leurs pairs, on sait bien qu'il y a toujours une émulation positive au travers de ce genre de programme.

Vous l'avez évoqué, effectivement, nous certifions également nos entreprises sous-traitantes. Chacune d'entre elles doit suivre un programme obligatoire de formation à nos standards de sécurité, qui s'appliquent aussi bien à nos salariés qu'à ses intervenants extérieurs. À ce jour, ce sont plus de 4 000 sous-traitants qui sont certifiés en France dans le cadre de ce programme.

Par ailleurs, nous avons également lancé des initiatives qui permettent de partager des moyens techniques d'expertise, dans le cadre de la gestion d'un certain nombre d'accidents. Par exemple, pour le transport, nous avons mis en place un programme qui s'appelle Transaid et qui a fait l'objet d'une convention avec la sécurité civile.

S'agissant maintenant du cas de l'incendie intervenu sur le site de Lubrizol, comme vous le savez, une enquête judiciaire est en cours pour déterminer les origines de l'incendie et des analyses sont mises en oeuvre pour identifier les conséquences. Nous ne disposons pas des conclusions de l'ensemble de ces procédures, je m'abstiendrai donc de tout commentaire spécifique à cet évènement. En revanche, je peux vous assurer que notre industrie tire les enseignements de chaque incident, de chaque évènement. Nous l'avons toujours fait. Et nous continuerons à le faire aux côtés des pouvoirs publics. Pour tirer les enseignements d'un tel évènement, le processus consiste à faire le recueil des faits, à en analyser les causes, les impacts afin de définir d'éventuelles recommandations. Les éléments de l'enquête seront évidemment essentiels dans ce processus.

En revanche, pour ce qui concerne la gestion de l'accident, je peux d'ores et déjà dire que nous nous associons aux recommandations du Livre blanc d'Amaris, sur l'utilisation des nouvelles technologies pour alerter les populations et sur l'importance d'améliorer encore ce qu'ils ont appelé la culture du risque et ce que je qualifierai de communication, en permanence, auprès des riverains.

Enfin, s'agissant des PPRT, il y a un point essentiel à souligner, c'est que le travail réalisé pour leur mise en oeuvre a été considérable, tant pour les exploitants que les autorités et les collectivités locales. De notre point de vue, il s'agit aujourd'hui de finaliser ce processus, et notamment de terminer les travaux de renfort de bâti des logements qui sont concernés.

En conclusion de ce propos liminaire, nous souhaitons réaffirmer que la sécurité est une priorité non négociable de notre industrie. Nous estimons que la réglementation actuelle est riche et qu'elle doit permettre de tirer les enseignements de cet incendie. Nous serons aux côtés des pouvoirs publics dans ce processus.

Je laisse la parole à Philippe Prudhon, pour les précisions sur la réglementation et les quelques sujets que vous avez abordés.

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques

En complément des informations que vient de vous donner Magali Smets, je vais vous fournir des renseignements plus détaillés sur la partie réglementation, notamment avec les aspects flux de marchandises. La première chose qu'il faut faire sur un site, c'est l'inventaire des produits qui sont présents sur le site, de façon à obtenir son classement. Plus le potentiel de danger est important, plus on va monter haut dans l'échelle de classement, le plus simple étant une simple déclaration, puis l'enregistrement, puis l'autorisation, puis Seveso « seuil bas », puis Seveso « seuil haut ». Donc plus le potentiel est important, plus les exigences associées sont strictes et importantes pour les exploitants.

Vous avez posé la question de la reconnaissance du produit. Dans le cadre d'un règlement européen qui s'appelle Classification et étiquetage, nous devons définir quelle est la classification du produit. Un exemple : « Ce produit est inflammable », ce qui fait que quand il va rentrer sur un site industriel, il va être classé suivant la rubrique inflammable. Si un produit est toxique, quand il va rentrer sur un site industriel, il va être dans la rubrique installations classées pour l'environnement (ICPE) toxiques. Il appartient à l'exploitant de faire l'inventaire de toutes ces familles de produits, en nature et en quantité. Est-ce que j'ai 50 tonnes de produits inflammables ? Est-ce que j'ai 10 tonnes de produits toxiques ? Cela va permettre de définir le classement du site. Par exemple, compte tenu des quantités que j'ai, je suis un établissement Seveso « seuil bas ». C'est absolument indispensable.

Sur cette base-là, on va faire des études de danger, on va donc étudier tous les scénarios possibles et imaginables. C'est un des apports de la loi Bachelot, qui a demandé aux exploitants d'étudier tous les phénomènes dangereux. Magali Smets parlait par exemple d'un millier de cas possibles. Je confirme, puisqu'on doit prendre tous les cas de figure possibles, de façon à voir quel est l'aléa.

Toutes ces informations-là sont adressées à l'inspecteur DREAL en toute transparence, de façon à ce qu'il juge la qualité des informations qu'il a reçues. Si besoin, il va nous redemander un certain nombre d'informations voire faire de tierces expertises, parce qu'il aura besoin d'un complément d'information ou d'un avis sur tel ou tel point.

Ceci étant, une fois que les PPRT en termes d'études de danger ont été réalisés, l'inspecteur DREAL va pouvoir délivrer une autorisation, mais pour avoir cette autorisation d'exploiter, il y a un certain nombre d'exigences à respecter. Bien entendu, l'exploitant doit absolument respecter ces exigences. Les PPRT ont une deuxième ambition, c'est de corriger les erreurs du passé en termes d'urbanisme, ce qui permet justement d'informer les voisins, qu'il s'agisse des activités économiques ou des riverains, sur les différents risques et de prendre un certain nombre de mesures appropriées. Il y a des mesures du type de l'expropriation quand le risque est trop important, des mesures du type du délaissement, c'est-à-dire que le riverain peut dire au bout de x mois ou années : « Je ne souhaite plus rester dans cette zone-là, je souhaite que vous me repreniez mon logement » ou, dans les situations pour lesquelles les risques sont plus faibles en termes d'intensité, le renfort sur le bâti. S'il y a un nuage toxique, c'est avoir une pièce de confinement de façon à rester protégé à l'intérieur de son domicile et ne pas prendre la voiture.

Par rapport à ces trois phénomènes dangereux qui sont l'incendie, la partie toxique et la partie explosion, on définit des zones et à partir de ces zones-là, il y a des règles qui sont établies en termes de protection.

Vous avez parlé du Livre blanc d'Amaris, dont nous partageons l'esprit en termes de conclusion. Je crois qu'il faut parler de « culture de la sécurité ». Les experts peuvent faire des distinctions entre « culture du risque » et « culture de la sécurité », ce qui est important c'est d'avoir une « culture de la sécurité » qui consiste à diminuer le risque « à la source ». L'exploitant diminue ainsi ses risques et doit définir des barrières pour éviter que le phénomène dangereux arrive. Que faut-il faire pour ne pas avoir d'incendie ? Et quand malheureusement, puisque le risque zéro n'existe pas, même si l'on cherche à s'en approcher, on n'a pas pu l'éviter, alors il faut à nouveau des barrières pour en limiter les conséquences. C'est vraiment un phénomène important.

Après, par rapport aux riverains, il faut pouvoir échanger en toute situation, pas seulement en situation de crise, de façon à partager cette culture sécurité que certains appellent parfois résilience du territoire. Je pense que sur ces aspects-là, on a pu répondre sur les différents points.

Sur la partie BARPI. Il s'agit d'une base extrêmement importante pour nous, car quand on fait une étude de danger, la première des choses que l'on doit faire est d'interroger cette base pour récupérer tous les évènements liés à notre type d'activité et démontrer à l'inspecteur de la DREAL qu'on a mis en place un certain nombre de dispositions qui permettent d'éviter l'incident qui est décrit dans la base du BARPI. C'est vraiment important et cela montre bien la boucle de progrès qui doit être faite pour s'assurer d'une bonne gestion des risques. C'est vrai que le BARPI a mentionné un certain nombre d'augmentations des incidents, pas que des accidents, ce qui peut être un signe plutôt positif en termes de culture sécurité, c'est-à-dire faire remonter davantage les incidents. Plus il y aura une liste exhaustive des incidents, plus la base sera riche et plus les exploitants pourront en tirer profit.

Concernant les sites Seveso, je n'ai plus le rapport sous les yeux, mais à ma connaissance, il n'y avait pas cette croissance. Mais peu importe, ce n'est pas l'objet. Ce que je voudrais retenir sur la base du BARPI, c'est qu'il est absolument important de continuer à l'alimenter, c'est une richesse pour nous. Un exemple très concret : les équipements sous pression n'étaient pas enregistrés, il y a quelques années. Il a été décidé d'enregistrer tous ces évènements liés aux équipements sous pression, ce qui pour nous est aussi une richesse, parce que malgré tous les efforts que peut faire la fédération pour rédiger des guides, faire des formations... Cette base-là est partagée par nous tous.

Peut-être un troisième point sur la partie simplification de la réglementation. Premièrement, nous sommes pour la réglementation, nous avons besoin d'un cadre réglementaire de façon à voir comment travailler dans de bonnes conditions. Il faut qu'elle soit proportionnée et efficace. Un exemple pour illustrer les propos. Si vous êtes en Ile-de-France et que vous avez deux phénomènes à étudier, l'inondation et le séisme, il nous paraît plus pertinent de focaliser nos travaux, nos efforts et nos actions sur l'inondation plutôt que sur le séisme, l'Ile-de-France n'étant absolument pas réputée pour être une zone sismique. C'est ce que signifie être proportionné et efficace.

Vous avez également parlé de la loi Pacte, je pense que c'est plutôt la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) et la loi « Énergie ». Peut-être un petit historique, parce qu'en fait, pour nous, ce n'est pas tellement une simplification, c'est plutôt une organisation des services de l'État qu'il ne nous appartient pas de juger, mais il faut avoir en tête qu'au niveau de l'autorité environnementale, il y a deux directives qui avaient été mises en oeuvre en 2001 et 2011. La France a traduit ces deux directives en droit français, en 2016. Le deuxième moment, c'est quand le Conseil d'État a annulé en partie cette loi. À partir de décembre 2017, on s'est retrouvé dans un flou juridique qu'il était donc important de corriger. Les lois ESSOC et « Énergie Climat » ont contribué à clarifier ce flou juridique entre, d'une part, l'autorité environnementale qui donne un avis sur la qualité des études qui ont pu être menées et, d'autre part, l'autorité qui examine au cas par cas, pour savoir s'il faut aller sur une évaluation environnementale complète. Mais l'évaluation environnementale complète est la fin, l'aboutissement, en sachant qu'il faut faire une étude d'incidence, donc ce n'est pas l'abandon, c'est au contraire essayer de voir comment être le plus efficace. Sachez qu'en France, il y a quand même 10 000 modifications par an, pour un peu plus de 40 000 installations autorisées. Une fois de plus, il ne nous appartient pas de juger si les effectifs doivent être mis à droite ou à gauche ! Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas une simplification, c'est une clarification sur le plan juridique, des différentes équipes. Après, quand on parle de la loi ESSOC, c'est vrai qu'avant août 2018, c'était l'autorité environnementale qui faisait systématiquement une analyse au cas par cas. À partir de cette date avec la loi ESSOC, et notamment son article 62, c'est le préfet, avec tous ses services compétents, qui juge ce point-là et qui a autorité pour dire s'il faut y aller ou pas. Ce n'est pas une simplification et nous aimerions en avoir une parce que c'est important pour être efficace et mettre tous nos efforts là où c'est absolument prioritaire.

Vous avez parlé d'un bureau accidents et risques. Aujourd'hui, nous estimons qu'il y a deux aspects. Premièrement, Magali l'a répété, l'inspecteur DREAL est celui qui, après l'exploitant, connaît le mieux le site. Pourquoi ? Parce qu'il est deux à trois fois par an en visite sur nos sites et vous avez compris qu'on lui remet beaucoup d'études donc il analyse tous ces documents qui peuvent représenter des centaines de pages. S'il y a bien quelqu'un qui connaît l'installation qu'il supervise, c'est l'inspecteur. C'est en ce sens-là qu'il nous paraît tout à fait crédible et indépendant pour juger de la qualité de nos propos.

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Peut-être pour compléter les questions, vous nous dites en effet répertorier et référencer l'ensemble des accidents que vous avez à connaître, comment qualifiez-vous celui de Lubrizol ? Est-ce que c'est le plus gros accident que nous ayons connu en France depuis AZF ? À quel niveau le situez-vous, au regard des effets et des impacts sur la santé et l'environnement ?

Sur la question de l'incendie, on nous a donné ce chiffre de 62 % pour les accidents industriels, est-ce une réalité ? Par rapport à ce type d'accident, vous citez en effet beaucoup de scénarios qui sont identifiés, travaillés au niveau de chaque site, dans le cadre notamment des études de danger, pour avoir la parade en quelque sorte, à travers des barrières ou à travers d'autres aspects de diminution du risque. Mais plus spécifiquement, sur cet aspect incendie, quels sont les outils de mesure précise et particulière ? Est-ce une meilleure formation, une meilleure détection ?

Il y a une question qui me taraude, qui est celle de l'émulseur ou de la présence ou pas d'émulseur. On sait que pour éteindre un feu d'hydrocarbures, il est nécessaire d'utiliser de la mousse plutôt que de l'eau. Est-ce qu'il y a des obligations en la matière, sur chacun des sites ? Si ces obligations existent, est-ce que vous les jugez satisfaisantes et est-ce que tous les sites en disposent ?

Je vous ai tout à l'heure posé la question de savoir si Lubrizol était membre de votre fédération, parce que vous avez cité avec raison le label Responsible Care. Lubrizol est labellisé dans cette démarche, mais en quoi cela consiste ? Vous évoquiez les bonnes pratiques. De quelle façon sont-elles diffusées par la suite ? J'entends bien ce que vous dites par rapport aux inspecteurs de la DREAL, personne ici ne remet en cause leurs compétences, mais on voit bien qu'il faut rétablir de la confiance, à la fois vis-à-vis des citoyens, de celles et ceux qui vivent à proximité des sites. On pourrait tout à fait imaginer une autorité dans le sens où cela introduit une idée d'indépendance aussi. Vous avez rappelé le rôle du DREAL, vous avez rappelé le fait qu'il connaissait parfaitement les sites, soit dit en passant, il dépend malgré tout du préfet, c'est un service de l'État. Vous ne pensez pas que le fait de créer une autorité indépendante permettrait de rétablir une forme de confiance qui paraît nécessaire aujourd'hui. Vous avez rappelé les efforts qui ont été les vôtres, ne serait-ce qu'en termes d'investissement, en termes de bonnes pratiques, sans doute en termes de formation. Or, depuis des années, on voit que l'acceptabilité et la confiance s'érodent. Est-ce que vous pensez que vous auriez à craindre d'avoir une telle autorité ou cela permettrait au contraire de continuer ce travail avec les inspecteurs ? Une autorité serait finalement dotée des inspecteurs aujourd'hui qui font ce travail au niveau des DREAL.

Pour terminer les questions. Notre rapporteur a posé cette question qui me semble toujours essentielle, qui est celle de la culture du risque ou de la culture de la sécurité, pour reprendre vos mots. Au regard des retours d'expérience qui sont les vôtres, pensez-vous que le document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM), qui est un document diffusé par les collectivités auprès de la population. Est-il un document « grand public », utile, qui utilise les bons mots ? Vous avez dit, madame la directrice générale, qu'il fallait une culture permanente. Sauf que l'expérience nous le montre, avec l'ensemble des collègues, à chaque fois que nous avons interrogé différents acteurs, nous avons le sentiment que le DICRIM, c'est une fois pour toutes, c'est très rare qu'il y ait des piqûres de rappel. Est-ce qu'en la matière, vous auriez des propositions pour faire en sorte de rendre ce type de document à la fois plus lisible, entre guillemets, mais surtout imaginer une forme qui permettrait de le diffuser quasiment en permanence ?

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Si on se compare par exemple à l'Allemagne, qui est un autre pays européen où la chimie est importante et où on ne peut pas présager que la réglementation ne le soit pas, est-ce qu'il y a plus d'incidents ou d'accidents qu'en France ? En termes de réglementation, est-ce qu'il n'y a pas des bonnes pratiques en Allemagne dont on pourrait s'inspirer si jamais il n'y avait moins d'accidents ou d'incidents que chez nous ?

Je vous ai entendu nous évoquer plein de sujets, mais je ne vous ai pas vraiment entendu faire des propositions. J'ai bien entendu votre processus pour tirer les enseignements d'un incident, avec trois étapes, je comprends que l'on n'ait pas encore totalement la troisième étape, puisque la deuxième n'est pas encore complètement certaine, ne sachant pas comment l'incendie est arrivé, mais je pense que par rapport à la situation que nous vivons, par rapport au stress post-traumatique des citoyens de la Métropole de Rouen quand ils ont vu ce panache de fumée, quand ils ont vu la suie dans leur jardin, quand ils ont vu ces fibrociments, quand ils ont senti ces odeurs, il y a quand même déjà des enseignements à tirer pour que cela ne puisse plus arriver si jamais un autre incident industriel devait intervenir dans notre pays, même si, évidemment, nous ne le souhaitons pas.

Donc j'aimerais bien vous entendre sur ces recommandations par rapport à ça.

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Magali Smets, directrice générale de France Chimie

Pour répondre à votre question, Lubrizol est adhérent de France Chimie, il applique le programme Responsible Care. Comme je l'ai évoqué, c'est un engagement volontaire, une démarche de progrès continu où l'on partage les bonnes pratiques entre pairs. Nous organisons chaque année des Trophées pour mettre en valeur les plus belles réussites de nos industriels dans ce domaine. C'est d'ailleurs un programme que nous avons fait évoluer très récemment pour lui donner une connotation plus responsabilité sociale des entreprises (RSE). Nous avons récemment mis à disposition de nos petites et moyennes entreprises (PME) un outil d'auto-évaluation en termes de maturité RSE. C'est une chose importante pour notre fédération, dans laquelle nos industriels se sont engagés.

Pour ce qui est des propositions, effectivement, j'en ai évoqué certaines. L'enquête judiciaire est en cours, cela ne nous permet pas de tirer tous les enseignements, on va attendre. Pour autant, compte tenu de ce qu'on lit dans la presse, je dirais qu'il y a des éléments qui sont peut-être de bon sens et qui font que nous allons, nous, en tant que fédération, engager des réflexions avec nos adhérents. Au-delà de ce qu'Amaris a mis en lumière sur une meilleure communication concernant notamment les consignes de sécurité aux riverains, au-delà de réfléchir à comment nous pouvons engager un dialogue plus permanent ou à renforcer ces démarches de dialogue permanent avec les riverains et les collectivités, des choses sont déjà faites dans ce domaine. Nos industriels ont une démarche d'ouverture de leur site pour accueillir le public, pour qu'il puisse comprendre ce qu'est un site industriel de la chimie. Je pense qu'effectivement il y a lieu de réfléchir et qu'au-delà d'un document, ce sont vraiment des moments d'échange qui sont à organiser, et sur lesquels nous allons réfléchir.

Au-delà de ça, je crois que c'était effectivement un des éléments qui était évoqué par notre président dans son interview, il y a une réflexion à engager sur l'inventaire des produits, c'est-à-dire comment est-ce qu'on met à disposition, en cas d'accident, un inventaire des produits sur le site ? Il faudra aussi réfléchir à la diffusion des meilleures pratiques en termes de configuration des stockages.

Ce sont des éléments que nous allons explorer, compte tenu de ce que nous pouvons connaître à ce stade, de ce que nous avons lu dans la presse concernant l'incendie.

Je voudrais revenir sur la notion d'autorité indépendante ou pas indépendante. Déjà, premier message, vous n'allez pas être surpris, mais nous sommes en train de parler de l'organisation de l'État et moi, en tant qu'industrielle, c'est un peu compliqué de faire mes propres recommandations, voire assez inopportun.

En revanche, ce qu'on a vraiment voulu mettre en avant, c'est de dire qu'aujourd'hui, la DREAL est la personne qui connaît le mieux notre site, après l'exploitant lui-même. Cette réglementation de terrain qui prend le plus en compte la réalité du terrain nous semble indispensable et comme l'a dit Philippe Prudhon, les contrôles ont lieu sur les sites classés en « Seveso », deux à trois fois par an. Il y a également des autocontrôles qui nous sont demandés mais il y a aussi des contrôles inopinés.

Ensuite, je vais sortir du cas Lubrizol, je vais m'extraire du cas de la réglementation Seveso, pour tenir un commentaire d'ordre plus général, c'est peut-être même la citoyenne qui parle, mais on a quand même souvent bon dos de dire que nos autorités ne sont pas indépendantes ! Je pense que cela devient dangereux. Nos autorités sont censées être indépendantes. Et si vous considérez qu'elles ne le sont pas, vous avez les moyens de vous en assurer. Pardon, mais pourquoi aller demander à constituer, à construire, à définir et à mettre en place une nouvelle autorité indépendante... Vous aurez la même question : est-ce qu'elle sera suffisamment indépendante ?

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques

Vous avez posé la question de l'information, que ce soit pour les collectivités locales ou pour les industriels. J'ai apporté cette petite plaquette qui existe dans le domaine de Rouen. En termes de pédagogie, elle est simple, très lisible sur ce qu'il y a lieu de faire. Cela ne suffit pas. On sait bien que quand ce genre de document arrive, cela peut passer à la poubelle, cela peut être mis dans une pile de documents et on ne le retrouve pas. C'est évident qu'il faut renforcer la partie alerte et le dialogue avec les riverains. Magali Smets l'a dit, c'est une proposition que l'on fera pour intensifier et augmenter le nombre d'échanges avec les riverains et s'assurer que les consignes soient bien prises en compte.

Il faut réaliser aussi qu'à l'ère des réseaux sociaux, il y a de nouveaux outils, ce que l'on pensait être bien il y a dix ans est totalement dépassé aujourd'hui. Nous l'avons bien compris et nous ferons des propositions dans ce sens-là. D'autres l'ont fait et je crois que le président Yves Blein, pour Amaris, en a parlé aussi.

Il y a aussi des entreprises qui mènent des programmes localement, pour avoir des contacts réguliers avec les riverains et les associations. C'est une bonne pratique. Réglementairement, il y a le comité de suivi de site, mais on nous dit parfois que M. le préfet, avec sa stature, intimide… Il faut donc faire en sorte que ce soit plus facile de communiquer au sein de ces instances. Nous aurons des propositions à faire.

Concernant les émulseurs, la réglementation exige déjà sur cet aspect-là, d'avoir des quantités d'émulseur et d'eau suffisantes pour combattre un incendie. Cela s'appelle l'autonomie et si ce n'est pas suffisant, il y a une convention à signer avec les pompiers, de façon à faire face à une telle situation. Concernant Lubrizol, je n'ai pas les éléments, je ne sais pas quels ont été les calculs. Bien entendu, je pense que les inspecteurs feront le nécessaire pour savoir ce qu'il y avait lieu de faire. En termes de culture sécurité, on a parlé de plus de 5 000 tonnes, la question est de savoir comment on diminue cette quantité. Dans les propositions, nous allons travailler la question par rapport aux configurations d'entrepôts pour voir comment, si par malheur nous n'avons pas pu éviter l'incendie, on diminue la quantité mise en oeuvre de façon à diminuer les conséquences.

Vous avez parlé de l'Europe. Seveso est une directive qui a été traduite en droit national et c'est différent du règlement que l'on applique en l'état. Par exemple, Reach est un règlement donc on n'a pas besoin de le traduire en droit français, puisqu'il s'applique en l'état. La directive a été traduite en droit national et donc tous les pays l'appliquent. De ce côté-là, il n'y a aucun problème. Les PPRT font partie des réglementations les plus exigeantes au monde. On ne le regrette pas, ce n'est pas la question, cela nous a fait faire des efforts considérables avec l'approche probabiliste, comme je l'ai dit tout à l'heure. Il faut corriger les erreurs du passé. Nous n'allons pas regretter d'avoir corrigé ces erreurs et d'avoir une densité de population plus faible. Par contre, nous savons que ce n'est pas fini, nous rejoignons les propos d'Amaris, il est impératif de terminer les PPRT. Ce n'est pas la peine d'aller réécrire une nouvelle réglementation. La réglementation est riche : « Seveso », les liquides inflammables, les entrepôts, et j'en passe, mais il faut impérativement terminer les PPRT.

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J'ai une question au regard de toute cette réglementation très dense et très riche. Au nord de Rouen, nous avons un site Seveso « seuil haut », qui a été autorisé l'année dernière, et pour lequel il y a un certain nombre de recours, sans rentrer dans le détail. Quoi qu'il en soit, il y a un recours qui est revenu positif au motif, tout cela à vérifier par les autorités compétentes, que le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) de la commune la plus proche n'aurait pas été respecté. Puisque l'on parle de réglementation, comment est-ce possible, avec toutes les réglementations qui existent et toutes les autorités qui se penchent sur ces questions, quand il s'agit d'autoriser l'installation d'un site seuil haut, comment peut-on arriver à ne pas prendre en compte des éléments de base ; le PLUI de la commune la plus proche me semble être un élément de référence et de base. Je ne m'explique pas comment on arrive à des situations comme celle-ci ?

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Juste une précision. Vous me confirmez qu'il y a 3 300 entreprises en France qui dépendent du secteur chimique ? Vous me confirmez qu'il y a 40 000 sites ? Vous disiez tout à l'heure qu'il y a eu 10 000 modifications sur 40 000 sites ?

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques

Quand on parle d'installations classées, c'est toutes activités confondues. Là-dedans, vous avez même la pêcherie. Cela fait plus de 40 000 installations classées pour l'environnement. En termes de déclaration, vous en avez plus de 400 000 déclarées, un peu plus de 40 000 autorisées et 1 400 Seveso. Ce n'est pas que la chimie, pour les Seveso, la chimie représente à peu près 400 établissements.

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Vous me confirmez qu'il y a 1 362 sites Seveso en France ? C'est le chiffre qu'on nous a donné. Pour préciser un peu ma pensée, aujourd'hui, vous avez donc des inspecteurs de la DREAL qui inspectent plus que les sites Seveso, qui inspectent d'autres types de sites ?

Le fait d'avoir une autorité indépendante permet de concentrer des moyens spécifiquement sur la question des sites Seveso. Je comprends votre interrogation sur la notion d'indépendance, mais il existe, comme vous le savez, une autorité de sûreté nucléaire, qui est une autorité indépendante, mais qui bénéficie de moyens publics, puisque ce sont des agents publics. Elle est reconnue, et c'est ça l'intérêt d'une autorité indépendante, à la fois par les exploitants et en même temps par les citoyens ou les organisations dites ONG. Il ne s'agit pas bien évidemment de remettre en cause le travail, au contraire, il s'agit peut-être de regrouper celles et ceux qui procèdent à des inspections sous une même autorité, en leur donnant un peu d'indépendance. C'est pour bien distinguer le travail de ces inspecteurs en proximité, sur d'autres types de site. Même si vous avez dit que l'inspecteur DREAL est la deuxième personne, après l'exploitant, à connaître le mieux le site, on peut imaginer qu'il y ait une forme d'inspecteur dédié, il n'en demeure pas moins que la DREAL a beaucoup d'autres missions que celle d'inspecter les sites Seveso.

Nous retenons vos idées et vos propositions en ce qui concerne l'amélioration en termes de culture du risque.

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Sur la comparaison avec l'Allemagne, vous ne m'avez pas répondu. Est-ce que vous avez identifié le nombre d'incidents et d'accidents qu'il peut y avoir en Allemagne, comparé à ceux que l'on a en France dans le BARPI, pour voir si éventuellement ils ne sont pas mieux que nous sur ces éléments-là, et donc identifier ensuite quels sont les éléments spécifiques de la réglementation allemande, puisque j'imagine bien qu'effectivement il y a des directives. Je doute que les parlementaires allemands n'aient pas eu l'ambition d'avoir des choses spécifiques pour leur pays. J'imagine qu'il y a peut-être des choses qui pourraient être intéressantes à récupérer, si jamais ils se montraient plus efficaces que nous sur ces sujets.

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Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques

En termes de chiffres, je ne les ai pas en tête. On peut essayer de vous les apporter en dehors de l'audition. Au niveau de l'Europe, on discute entre professionnels pour savoir ce qu'il y a lieu de faire. Par exemple, PPRT a fait l'objet de nombreux échanges, pas uniquement entre les autorités, mais aussi entre les industriels. Le plan de modernisation, c'est d'ailleurs pour cela que dans Seveso, vous voyez « ageing », c'est la France qui l'a apporté pour indiquer qu'il y avait quelque chose à faire. Nos installations vieillissent. Cela ne veut pas dire que cela va mal, la Tour Eiffel est une belle dame et on n'a aucun problème ! Le tout c'est de bien l'entretenir. Il y a donc eu un plan de modernisation qui a été mis en place pour nos installations, en 2010, avec des inspections, des méthodologies. La profession s'est mobilisée pour rédiger un certain nombre de guides que nous avons proposés à la direction générale et prévention des risques technologiques qui nous a « challengés » et qui a reconnu ces guides en termes de méthodologie à appliquer.

Nous discutons, bien entendu, avec nos collègues allemands ou italiens.

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Nous vous remercions de votre contribution et des éléments que vous avez bien voulu nous apporter. N'hésitez pas aussi si vous avez un certain nombre de documents ou même si des recommandations finissent par aboutir par rapport à l'incendie Lubrizol, elles seront les bienvenues.

Merci, au nom de la mission.

La séance est levée à dix heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du jeudi 7 novembre 2019 à 9 heures

Présents. - M. Christophe Bouillon, M. Pierre Cabaré, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Luc Fugit, Mme Nicole Le Peih, M. Emmanuel Maquet, Mme Annie Vidal

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Pierre Cordier, M. Jean Lassalle, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Sira Sylla